Monsieur Audebrand, plumitif versaillais, préfère les militaires, comme Rossel et Dombrowski, à la population mêlée, journalistes et cordonniers, de la Commune. En conséquence, sa description de Dombrowski s’accorde avec son préjugé: il est

grand, bien découplé, brave.

Les autres ont vu Dombrowski petit. Qu’importe?

Voici une très romanesque histoire de Dombrowski, général de la Commune, racontée par le journal La Commune, et reproduite par Le Cri du peuple daté du 19 avril.

En 18.., chef de l’insurrection polonaise, il avait été promu au gouvernement secret de la ville de Varsovie. Fait prisonnier par les Russes, il fut incarcéré. C’est là ce que [ces] messieurs de Versailles appellent être repris de justice.

Tandis qu’il était sous les verrous, une jeune femme riche, d’excellente famille, devenue son admiratrice, faisait tous ses efforts pour le sauver. Elle usait de toute son influence, intercédait partout, et se montrait admirable de dévouement.

Un beau jour, on s’avisa de lui demander à quel titre elle s’occupait de cet homme.

— Est-il votre frère, votre parent?

— Il est, dit-elle, mon fiancé.

On apprit ces démarches et cette réponse au prisonnier, qui, ému par cette tendresse inconnue, fit immédiatement demander la main de celle qui s’empressait pour protéger sa vie.

L’union fut permise. La bénédiction nuptiale donnée, l’autorité, sans doute par amour de l’ordre, sépara les époux. Une heure après, Dombrowski apprenait sa condamnation et partait pour la Sibérie.

Sa femme demeura à Varsovie.

Là, on lui tendit un piège.

Quelqu’un, dont elle ne se défiait point, lui ayant emprunté sa maison de campagne, y introduisit secrètement des caisses d’armes et de munitions.

Puis il advint que des soldats se présentèrent chargés d’opérer une perquisition et accusant de conspiration la maîtresse du logis.

— Je suis innocente, dit-elle; vous pouvez ici fouiller partout, vous ne trouverez rien.

On trouva les armes. Grâce à ce procédé imité de la coupe de Benjamin, l’autorité, toujours juste, put envoyer l’héroïne en Sibérie.

Ici l’histoire se change en roman. Dans cet intervalle, Dombrowski s’était échappé, et, après mille dangers, avait pu gagner Paris. Il apprit ici la déportation de sa femme et sa déportation.

Il n’hésite pas, il retourne. Il serait trop long de raconter comment il atteignit de nouveau les frontières asiatiques. Il rejoignit sa femme et, employant pour elle les procédés qui avaient servi à sa propre évasion, il parvint à l’arracher à sa prison glacée; ils ne se sont plus séparés.

Un bref résumé, moins romancé:

  • Jaroslaw Dombrowski est né en 1836,
  • c’était un militaire et patriote polonais,
  • il a été condamné et s’est évadé lors de son transfert en Sibérie.
  • Il était à Paris depuis 1865.
  • Il était membre de l’Internationale.
  • Général de la Commune, il fut commandant de la place de Paris à partir du 6 avril.

En anticipant un peu: Jaroslaw Dombrowski a été tué le 23 mai sur une barricade rue Myrrha.

(à suivre)

Le 6 novembre 2022, pendant la publication sur ce blog d’une série consacrée aux portraits de communards (cet article et les suivants), j’ai remplacé la photographie qui illustrait à l’origine cet article par une photographie qui est réellement celle de Jaroslav Dombrowski et qui vient du musée Carnavalet. Je remercie Cédric Piktoroff de m’avoir signalé cette erreur! Voici l’ancienne image, qui est un portrait d’un autre Dombrowski!

Livre cité

Audebrand (Philibert)Histoire intime de la Révolution du 18 mars, Dentu (1871).