D’après Monsieur d’Almeras, historien du vingtième siècle, Tony-Moilin,

pauvre honnête homme, désintéressé,

mourut

victime de ses convictions.

Non, non. Le Docteur Tony-Moilin a été fusillé. C’est bel et bien de balles de chassepots qu’il a été victime.

Mais qui était donc Tony-Moilin?

  • Jules Antoine Moilin, connu sous le nom de Tony-Moilin
  • né en 1832 dans la Nièvre
  • médecin, oculiste renommé
  • élève de Claude Bernard
  • auteur de deux communications à l’Académie des sciences en 1859, que l’on peut trouver dans les Comptes rendus (ici le volume dans lequel sont ces deux communications),
    • l’identité du fluide électrique et de l’agent qui détermine la contraction musculaire
    • et l’antagonisme des veines et des artères
  • militant socialiste
  • décoré pour son dévouement pendant l’épidémie de choléra de 1865
  • auteur de leçons de médecine physiologique en 1866
  • connu de Marx, qui le consulta sur les qualités de Paul Lafargue (qui était alors étudiant en médecine), quand celui-ci voulut épouser sa fille Laura
  • auteur de l’utopie Paris en l’an 2000
  • condamné à cinq mois de prison au procès de Blois en 1870 « pour avoir communiqué des formules chimistes aux révolutionnaires » (oui, oui)
  • signataire de l’affiche rouge de janvier 1871
  • occupe la mairie du sixième quelques jours entre le 18 mars et les élections du 26 mars
  • participe aux réunions du Comité central de la Garde nationale (jusqu’au 12 avril)
  • chirurgien du 193e bataillon (le bataillon du sixième arrondissement que commandait Eugène Varlin)
  • nommé à la commission municipale du douzième et remplacé dans son bataillon
  • dénoncé durant la nuit du 27 au 28 mai par un confrère médecin

Le Figaro, dans son numéro du 30 mai 1871 (si le cœur vous en dit, c’est là, sur Gallica), raconte « Les exécutions » avec jubilation.

Le docteur Tony-Moilin, arrêté avant-hier aux alentours du Luxembourg, après un interrogatoire sommaire, avait été condamné à mort. — Avant de mourir, le docteur Tony-Moilin demanda avec beaucoup d’instance [sic] à être marié avec une demoiselle avec qui il vivait depuis bon nombre d’années. — La cour martiale lui avait refusé cette faveur, mais sur les instances de M. Hérisson, maire du VIe arrondissement, elle lui fut enfin accordée. Après la célébration du mariage, le docteur Tony-Moilin fut fusillé.

Voici l’acte de mariage:

L’an mil huit cent soixante et onze le vingt-huit mai à six heures et demie du matin par devant nous Anne Charles Hérisson, maire du sixième arrondissement de Paris, officier de l’état civil

Vu le jugement prononcé par la cour martiale du deuxième corps d’armée siégeant au palais du Luxembourg et condamnant le sieur Moilin ci après prénommé, qualifié et domicilié à la peine de mort; sur la réquisition du sieur Moilin, nous sommes transporté au rez de chaussée du palais du Luxembourg, où étant, les portes restées ouvertes et accessibles au public, sont comparus

M. Jules Antoine Moilin, docteur en médecine, demeurant à Paris, rue de Seine, no 36, né à Cosne (Nièvre) le vingt et un mai mil huit cent trente-deux, fils majeur de M. Jean Louis Eugène Moilin, rentier demeurant à Périgueux et de Mme Virginie Moreau, son épouse décédée, le tout ainsi déclaré

& Mlle Lucie Marie Repiquet sans profession, demeurant à Paris rue de Seine no 36, née à Orléans (Loiret) le vingt-neuf octobre mil huit cent quarante, fille majeure de M. Jules Aignan Repiquet, rentier, et de Mme Marie Anne Angélique Coutant, son épouse, demeurant ensemble à Orléans, le tout ainsi déclaré

Lesquels nous ont requis de procéder à la célébration de leur mariage dont les publications n’ont pu avoir lieu par suite des circonstances politiques

Les futurs époux ont déclaré qu’il n’a pas été fait de contrat de mariage.

Faisant droit à cette réquisition nous avons procédé publiquement au mariage et après avoir donné lecture du chapitre six du titre du code civil intitulé du mariage, avons demandé aux futurs époux s’ils veulent se prendre pour mari et femme, chacun d’eux ayant répondu affirmativement et séparément, déclarons au nom de la loi que M. Jules Antoine Moilin et Mme Lucie Marie Repiquet sont unis par le mariage.

De tout ce, nous avons dressé acte en présence de MM. Jean Baptiste Charlet, âgé de vingt quatre ans, sous officier au dix-septième bataillon de chasseurs à pied, Jean Pierre Marcherez, âgé de vingt six ans, sous officier au même bataillon, Dominique François Pacioni, âgé de vingt deux ans et Joseph Terrollion âgé de vingt deux ans, tous deux caporaux au dix-septième bataillon de chasseurs à pied, tous quatre casernés au palais du Luxembourg; lesquels après lecture ont signé avec nous et les parties contractantes.

L’exécution suivit. Les témoins du mariage furent-ils les exécuteurs?

Voici l’acte de décès:

Du trente mai mil huit cent soixante et onze, à quatre heures du soir, acte de décès dûment constaté de Jules Antoine Moilin, docteur en médecine, décédé au Jardin du Luxembourg, le vingt-huit de ce mois à huit heures et demie du matin, âgé de trente neuf ans, né à Cosne (Nièvre), demeurant rue de Seine no 36, marié à Lucie Marie Repiquet, fils de Jean Louis Eugène Moilin et de Virginie Moreau son épouse décédée sur la déclaration faite par MM. Jacques Michel, âgé de trente ans et Charles Martel, âgé de quarante quatre ans, tous deux employés demeurant rue Jacob no 47, qui ont signé avec nous, adjoint au maire du sixième arrondissement de Paris, officier de l’état civil.

Mariage à six heures, exécution à huit heures et demie.

Tony-Moilin et Lucie Repiquet attendaient un enfant. Elle avait demandé que le corps de son mari lui fût rendu, ce qu’on lui avait accordé. Les exécuteurs reçurent l’ordre de tirer au visage. Ainsi, on dit à Lucie Repiquet qu’on ne pouvait pas le reconnaître et il fut emporté avec les autres cadavres vers une fosse commune. Lui, au moins, a bénéficié d’un acte de décès…

*

Une dernière citation, pour accompagner la photographie qui sert de couverture à cet article, de Maxime Vuillaume (qui a eu, lui, la chance de survivre à la cour martiale du Luxembourg):

C’est à cette place, adossé au piédestal de l’un des lions de pierre (celui de gauche) qui ornent l’entrée de l’avenue de l’Observatoire [en contrebas, donc, de la balustrade de la photographie] que fut fusillé, le matin du 28 mai, le docteur Tony-Moilin.

(à suivre)

Livres cités ou utilisés

D’Almeras (Henri)La vie parisienne pendant le siège et sous la Commune, Paris, Albin Michel (1927).

Moilin (Tony), Leçons de médecine physiologique, Paris, Adrien Delahaye (1866), — Paris en l’an 2000, Librairie de la Renaissance (1869).

Marx (Karl) et Engels (Friedrich)Correspondance, Éditions sociales (1985).

Vuillaume (Maxime)Mes Cahiers rouges Souvenirs de la Commune (avec un index de Maxime Jourdan), La Découverte (2011).