La première manifestation, celle du 23 mai 1880, elle est à nouveau à la une, le 19 mai 1935. À la une du Populaire.

L’occasion de quelques digressions et parenthèses.

Pour celles et ceux qui ignorent ou ont oublié ce qu’était Le Populaire, une parenthèse sur les quotidiens « socialistes » de la première moitié du vingtième siècle.

  • Le journal fondé par Jaurès en 1904, L’Humanité, est devenu communiste après la scission de 1920 — ce n’est pas le sujet de cet article mais il est impossible de ne pas signaler ici que ceci dut beaucoup au communard Zéphirin Camélinat.
  • Il y a aussi, depuis 1918, Le Populaire, devenu le quotidien socialiste après cette scission — et qui n’est pas sans lien avec Jean Longuet, fils du communard Charles Longuet et de Jenny Marx, petit-fils de Marx, donc.

Ces incises pour signaler la proximité (relative) de ceci avec la Commune.

Voilà pour Le Populaire.

Mai 1935, maintenant.

Après des années de désunion et de manifestations séparées au Père Lachaise (les uns le dernier dimanche de mai, les autres le précédent, ou alors les uns le matin, les autres l’après-midi), après l’émeute fasciste du 6 février 1934 et les manifestations qui la suivirent, les principales formations de la gauche et en particulier, pour ce qui nous intéresse dans cet article et le suivant, le PCF et la SFIO organisent ensemble une manifestation (unitaire…) au Mur. Elle a lieu le 19 mai 1935 et il y aurait beaucoup à en dire, ce que je ne ferai pas ici, puisque c’est un article consacré à la manifestation de 1880… vue de 1935.

Ah oui, et il y a eu des élections municipales. Les deux dimanches précédents. Ni Paris, ni ses arrondissements n’auront de maire, mais la banlieue rouge, elle, est rouge.

Revenons à notre article et à son auteur.

L’auteur de l’article du Populaire s’appelle Amédée Dunois.

Nouvelle parenthèse.

Amédée Dunois (1878-1945)
Amédée Dunois (1878-1945)

Amédée Dunois est, en 1935, un « vieux » militant. Il a plus d’un titre de gloire, je me contente ici de vous suggérer de lire sa notice sur Lissagaray dans l’édition de 1929 de l’Histoire de la Commune de Lissagaray — c’est une biographie toujours inégalée, chaleureuse et passionnée (cette édition est disponible sur Gallica). Juste un petit extrait, pour une parenthèse dans la parenthèse, assez à sa place dans un site sur la Commune (Dunois parlant de Lissagaray, donc):

Son récit de la bataille des rues, il l’a vécu heure par heure, avant que de l’écrire. Et je crois bien le reconnaître dans ce fédéré impavide qui, le dimanche 28 mai, défendit un quart d’heure, rue Ramponneau, l’ultime barricade.

C’est peut-être bien la source de la légende (fausse) qui veut que Lissagaray ait été le « dernier soldat » de la Commune. Lui, Lissagaray, dit simplement:

La dernière barricade des journées de Mai est rue Ramponneau. Pendant un quart d’heure, un seul fédéré la défend. Trois fois il casse la hampe du drapeau versaillais arboré sur la barricade de la rue de Parsi. Pour prix de son courage, le dernier soldat de la Commune réussit à s’échapper.

Fin de la parenthèse Lissagaray. Retour à Dunois.

Amédée Dunois a été anarchiste, communiste, il est maintenant (1935) socialiste. Dans dix ans, il mourra à Bergen-Belsen, un mois avant la libération du camp.

Il a une conscience historique très forte. J’ai très envie d’écrire qu’il est un morceau du « grand cœur de la classe ouvrière » dans lequel est « ensevelie la mémoire des martyrs » de 1871 (c’est une citation…).

Vous pouvez lire son article en entier, Le Populaire est sur Gallica (ici, le numéro du 19 mai 1935).

Il commence par donner sa source.

Il y a une quinzaine d’années, le citoyen Georges Crépin (décédé en 1925), qui avait été […] l’un des lieutenants de Guesde […], m’apporta à L’Humanité, le récit copié par lui dans L’Égalité du 23 mai 1880, de la première manifestation qui ait eu lieu au Mur des Fédérés.

Je l’interromps ici pour faire remarquer aux lecteurs peut-être inattentifs une petite subtilité: « une quinzaine d’années », en 1935, c’est assez vague pour qu’on ne puisse déterminer si c’était au temps de L’Humanité socialiste, avant le congrès de Tours (décembre 1920), ou au temps de L’Humanité communiste, après ce congrès — Amédée Dunois a travaillé à L’Humanité avant et après.

Pour des raisons que je me rappelle mal, l’article de L’Égalité ne fut pas utilisé. Je l’ai retrouvé ces jours derniers dans une liasse de papiers concernant la Commune.

En ce jour de commémoration militante, où s’affirme la continuité du socialisme, le récit en quelque sorte officiel de L’Égalité intéressera les lecteurs du Populaire.

Il informe ses lecteurs, qui pourraient l’avoir oublié, de ce qu’est L’Égalité et de la situation des « socialistes » en 1880 — où ils étaient tous dans le même « Parti Ouvrier ».

Et puis il cite l’article en entier. Comme vous pouvez le lire dans le numéro de L’Égalité reproduit dans l’article précédent.

Livres cités

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (nouvelle édition précédée d’une notice sur Lissagaray par Amédée Dunois), E.S.I (1929).

Marx (Karl)La Guerre civile en France, adresse à l’Internationale, 30 mai 1871, Éditions sociales (1972).