Suite des histoires du Mur des fédérés. Pour cet article, une photo de photographe (ci-dessus), du contexte, un roman, une petite histoire, de l’histoire et une chanson…

Du contexte. Il y eut des slogans directement liés à la Commune et d’autres à l’actualité, par exemple, en 1900, la couronne du Parti socialiste révolutionnaire du quatrième arrondissement portait l’inscription:

Aux victimes du nationalisme

— allusion à l’Affaire Dreyfus.

Un roman. Une citation littéraire, à propos de cette même année 1900, et pour le plaisir:

[…] en parcourant les journaux, je lus:
« Hier, comme tous les ans, un certain nombre de survivants de la Commune, célébrant le 29e anniversaire de la semaine sanglante, ont défilé au Père-Lachaise, devant le Mur des fédérés. »
[…] C’était un bouquet d’immortelles rouges que Philémon avait mis au cadre d’un portrait [de Varlin] telle une cocarde au chapeau.

Elle est extraite de Philémon, vieux de la vieille, le beau roman de Lucien Descaves auquel il faudra bien que je consacre un jour un article!

Les journaux ont rapporté pas mal de petites histoires. D’autant plus que, à partir de 1904, il y avait, durablement, L’Humanité, qui aimait bien se moquer des policiers.

La petite histoire, c’est celle d’un manifestant, monté au Mur le 28 mai 1905. Un jour où les manifestants ont subi de nombreuses provocations policières, écrit L’Humanité du lendemain. Il est difficile de résister au plaisir d’intercaler quelques citations sur

les trognes armées qui ne se souviennent pas de leurs origines prolétariennes,

ces policiers qui

ont l’air assez honteux du rôle qu’on leur fait jouer.

On note leurs numéros et on les publie dans le journal, celui par exemple d’un

argousin à face renégate — nous l’avons prié de nous foutre la paix.

Mais c’est l’histoire du manifestant, à qui un de ces agents de police cherche noise:

— D’où êtes-vous?
— Je suis gascon.
— Gascon? Qu’est-ce que ça veut dire?
— Ben quoi? Vous ne connaissez donc pas la géographie?
— Circulez!

Leurs origines prolétariennes n’empêchent pas les socialistes et leur journal de « se foutre » d’eux…

De l’histoire un peu plus sérieuse. En décembre 1907… Mais il faut revenir un peu en arrière. À l’histoire des hésitations du conseil municipal de la ville de Paris. En 1883, le 24 décembre précisément, il avait refusé la concession à perpétuité du terrain (tertre, mur) au Père Lachaise. Mais décidé de ne pas le lotir pendant vingt-cinq ans. Ce qui nous amène en 1908. C’est le 20 décembre 1907 qu’il décide enfin d’affecter perpétuellement à la sépulture des fédérés l’emplacement ainsi réservé.

En 1908, la SFIO (parti socialiste), qui existait depuis trois ans, s’intéressa à la manifestation au Mur des fédérés et noua un accord avec l’Association: elle participerait à la manifestation… qu’elle organiserait.

« L’Association », c’est la « Solidarité des proscrits de 1871 », devenue « Solidarité des militants de 1871 » puis « Société fraternelle des anciens combattants de la Commune », quand il restera moins d’anciens de la Commune son titre incorporera les amis. En 1908 elle s’appelle encore « Association fraternelle des anciens combattants de la Commune ».

C’est un « Comité du Mur des fédérés » qui s’est occupé de tout. Voici ce que dit L’Humanité du 24 mai 1908:

Par ses soins, des fleurs ont été semées, des arbustes plantés sur la tombe des martyrs. des vertes frondaisons ferment aujourd’hui l’enclos où dorment, devant le Mur, les morts de la Commune, et le long du chemin, six anciens combattants qui ont tenu à être enterrés près de leurs camarades […].

La plaque de marbre, que le comité a fait placer sur le Mur porte cette simple inscription:

Aux Morts
De la Commune
21-28 mai 1871

Le même jour le « Comité Pottier » faisait inaugurer le monument sur la tombe d’Eugène Pottier. Et le lendemain, le même quotidien  publiait des photographies. En voici une:

MurVaillant1908

Je ne sais pas quand la plaque, cette belle plaque de marbre noir que l’on voit très nettement sur le mur et sur les photos de 1908, je ne sais pas pourquoi cette plaque est devenue blanche, comme elle l’est aujourd’hui, comme elle l’est depuis longtemps… car c’est très nettement une plaque de marbre blanc que l’on voit sur les photographies des grandes manifestations unitaires des années 1930 et il me semble bien que c’est aussi une plaque blanche que l’on voit sur les photos des années 1910 et 1911…

Mais restons en 1908.

Une chanson, que l’on commence à entendre et à chanter cette année-là.

Salut, salut à vous, braves soldats du dix-septième.

Une histoire de fraternisation:

Vous auriez, en tirant sur nous, assassiné la République.

Cette chanson a une histoire, qui n’a pas de lien originel avec la Commune mais qui l’a faite résonner souvent devant le Mur des fédérés. Le dix-septième n’est pas un siècle, ni même un arrondissement de Paris, c’est le numéro d’un régiment, le 17e d’infanterie de ligne, dont les soldats ont fraternisé, à Béziers, avec les vignerons révoltés, le 21 juin 1907. Il faut dire qu’il y avait des enfants de la région dans ce régiment et qu’ils auraient, en tirant, assassiné, non seulement la République, mais aussi leurs pères, mères et frères. C’est d’ailleurs (digression inévitable) cette mésaventure qui décida ensuite l’armée à envoyer les appelés un peu loin de chez eux… La chanson fut composée par Montéhus presque aussitôt et devint instantanément populaire. Dans les années qui suivirent, où la présence de la police et souvent de la garde à cheval, était massive et visible le long de la montée au mur, il devint traditionnel de la chanter sous le nez des flics dont beaucoup, malgré leurs « trognes de brutes », comprenaient parfaitement ce qu’on leur signifiait ainsi. Si vous ne l’avez jamais chantée ni entendue dans une manifestation, vous pouvez l’écouter en cliquant ici.

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J’ai copié la photographie d’Eugène Atget que j’ai utilisée en couverture sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France, et plus précisément ici.

(à suivre)

Livres utilisés

Descaves (Lucien)Philémon, vieux de la vieille, Ollendorff (1913).

Rebérioux (Madeleine)Le mur des Fédérés, Les lieux de Mémoire La République (dir. Pierre Nora), Gallimard (1984).

Tartakowsky (Danielle)Nous irons chanter sur vos tombes Le Père-Lachaise XIXe-XXe siècle, Collection historique Aubier (1999).