Le plan dont j’ai utilisé un morceau en couverture vient, comme toujours, de Gallica. Il porte le titre de « Plan de Paris avec indication exacte des Maisons et Monuments incendiées [sic], des Batteries et Barricades construites en Mai 1871 et numérotage des Bastions de l’Enceinte ». Pourtant, il n’est pas si exact que ça.

En particulier, pour ce qui concerne cet article,

  • la rue du Faubourg du Temple traversait le canal par un pont
  • et la rue prolongeant la rue de l’Orillon de l’autre côté du boulevard de Belleville est la rue Ramponneau — sur laquelle il y avait aussi une barricade, vous savez bien, la dernière barricade, selon Lissagaray (il en est question dans cet article).

Ce plan appartient, comme certains des textes cités ci-dessous, à l’histoire immédiate versaillaise.

*

Rue de la Fontaine-au-Roi.

Sûrement vous avez entendu parler de ce lieu. Le 13 novembre 2015 a ajouté une couche à son histoire.

Longue histoire…

La rue de la Fontaine-au-Roi s’est appelée « des Fontaines au Roi », « Fontaine-au-Roy »…

Le roi? Philippe-Auguste, le roi c’est lui, et c’est depuis son temps que l’eau de Belleville arrivait à Paris par cet itinéraire.

Longue histoire…

Les barricades de la Semaine sanglante, pour nous ici.

La rue commence (au sens de la numérotation) du côté du canal Saint-Martin, eh non, il n’y avait pas de boulevard Jules-Ferry, et encore un tout petit peu de canal par là, en un lieu où se trouvent aussi la rue du Faubourg du Temple, la rue de la Folie-Méricourt.

Il y avait une barricade, là, en mai 1871, qui pouvait tirer sur la caserne du Château-d’Eau (République), et une autre un peu plus haut, au coin de la rue de la Pierre-Levée. L’une ou l’autre fut, avec celle de la rue Ramponneau, l’une des dernières barricades de la Commune.

Quelques extraits de quelques livres.

N’oublions pas que l’histoire a été écrite, d’abord, par les vainqueurs. Alors commençons par un de leurs écrivaillons. Celui-là s’appelle Ernest Daudet (oui, c’est le frère de l’autre).

Nous n’avons pas signalé, tant s’en faut, tous les membres ni tous les complices actifs de la Commune. Mais, nous le disions plus haut, il en est un grand nombre dont le sort n’est pas connu. Ce n’est que peu à peu qu’on parviendra à le connaître, à établir une liste complète des coupables, en nommant ceux qui ont disparu, par la fuite ou dans la lutte, et ceux qui ont été arrêtés, reconnus ou fusillés.

Voici, d’ailleurs, un récit emprunté aux journaux, qui complètera, autant que cela peut être fait, les détails groupés ci-dessus:

Alors que l’on se battait encore à Belleville, dimanche matin, Gambon, Géresme, les deux Ferré, Lacord et d’autres membres de la Commune, s’étaient retirés à la mairie du vingtième arrondissement, accompagnés d’une garde d’honneur composée d’une quarantaine de gardes nationaux et de quinze enfants de quatorze à seize ans, impuissants à porter leur fusil, qu’ils étaient allés prendre la veille aux Enfants-Trouvés, dans la rue d’Enfer, et auxquels ils avaient mis un képi à liseré jaune, donné un fusil et des balles, en leur disant: « Vous tirerez sur qui nous vous dirons, et quand nous vous le dirons. » Ils portaient avec eux le dernier drapeau rouge qui flottât dans Paris. Gambon, que l’on disait avoir été fusillé le jeudi, était le seul qui eût les insignes de la Commune à sa boutonnière; il avait même placé sur le ruban frangé d’or une tête de Liberté, encadrée dans le triangle maçonnique, en argent, sur les trois côtés duquel étaient ces mots: Liberté, Égalité, Fraternité, Commune de Paris.

À onze heures, on vint les prévenir que les derniers partisans de leur horrible cause étaient vaincus sur tous les points, et que les troupes régulières s’avançaient pour occuper la mairie du vingtième arrondissement. Ils n’eurent que le temps de se sauver, emportant leur drapeau; ils descendirent vers le boulevard extérieur, qu’ils traversèrent, et ne s’arrêtèrent qu’à la rue Fontaine-au-Roi, au numéro 32, faisant le coin de la rue Parmentier, dans un restaurant où ils se firent servir un frugal déjeuner, le brouet spartiate. Les enfants trouvés, restèrent à la porte, les gardes furent envoyés en éclaireurs; un clairon devait donner le signal si l’ « ennemi » approchait.

Tout en mangeant, les membres de la Commune délibéraient; tous étaient pour la résistance. Gambon seul parlait de se rendre. À deux heures et demie, ils descendirent dans la rue. La majorité s’étant prononcée pour la résistance, les membres de la Commune, aidés des enfants trouvés, de quelques mégères et communards du quartier, se mirent à l’œuvre, et un semblant de barricade commença à s’élever.

Au bout de quelques instants, le clairon se fit entendre; on se mit à la recherche des gardes, ils avaient tous cru prudent de se cacher. C’est alors que Gambon monta sur la barricade.

« J’ai passé trente années de ma vie, dit-il, à me sacrifier pour la République et la liberté; j’ai tout donné au peuple, et le peuple aujourd’hui m’abandonne; j’ai fait le sacrifice de ma vie pour des lâches qui fuient le danger lorsqu’il se présente en face. Je jure bien que si j’en réchappe, je ne donnerai plus un instant de ma vie, une de mes pensées à ces hommes. Citoyens, la grande cause est encore une fois perdue; la Commune est tuée par ceux qui avaient juré de la faire triompher ou de mourir, et qui n’ont pas su la défendre. »

Ses compagnons lui arrachèrent alors ses insignes de membre de la Commune et lui enlevèrent le képi qu’il portait, afin qu’on ne le reconnût pas. Le clairon envoya un nouveau signal; le drapeau rouge fut placée sur la barricade à peine ébauchée, les armes furent jetées à terre, et tous s’enfuirent.

Ainsi finit la Commune, dispersée, écrasée, noyée dans le sang répandu par sa faute et sa volonté […]

Le grotesque (si l’on ose dire) de l’histoire des enfants trouvés saute aux yeux: bien évidemment, aucun communard n’est allé chercher personne rue d’Enfer le 27 mai, ce quartier était aux mains des Versaillais depuis trois jours… Le reste est plus ou moins du même sérieux.

Une chose est avérée: Gambon était bien rue de la Fontaine-au-Roi le 28 mai. Aristide Claris, qui écrit sur les communards exilés en Suisse, dont était Ferdinand Gambon, dit:

Après l’affreuse catastrophe de Paris et l’écrasement du parti socialiste [c’est-à-dire de ceux qui voulaient la révolution sociale] en France, nombre de cœurs vaillants se laissèrent gagner par le découragement et le dégoût. Gambon ne fut pas de ce nombre. — Arraché par une population sympathique à une mort certaine derrière la dernière barricade de la Commune, rue Fontaine-au-Roi, dépouillé de son fusil et de ses insignes, entraîné de force dans une maison amie, — sauvé malgré lui — sa foi ne fut pas ébranlée un seul instant.

Jean-Baptiste Clément, qui, lui aussi, y était, confirme la présence de Gambon, mais pas seulement.

Je n’ai jamais su ce qu’était devenu l’Intrépide [un ouvrier républicain d’une quarantaine d’années, père de cinq enfants et montmartrois]; quant au vieux de 48 [une autre des personnes dont il est question dans les pages précédentes], nous le retrouverons avec les citoyens Gambon, les deux frères Ferré, Géresme, Lacord, Penet, et quelques autres combattants de la dernière heure, le dimanche 28 mai, rue Fontaine-au-Roi, faisant le coup de fusil à la barricade où flottait encore le drapeau de la Commune!

Et, dans ces derniers moments, le grand respect de la propriété qu’avait montré la Commune est resté entier — ne nous étonnons pas que Clément, qui a tant râlé à propos des Monts-de-piété, le note:

Je dois dire que j’ai vu à la dernière heure, aux derniers moments de cette lutte terrible, des citoyens, et des meilleurs, et des plus convaincus, n’ayant aucun espoir d’échapper au massacre, avoir encore le respect de la propriété, au point d’obéir aux ordres d’un concierge, qui ne voulait pas qu’on fît une meurtrière au mur de la maison dont il était le gardien. Et cela se passait, rue Fontaine-au-Roi, le 28 mai, vers les onze heures du matin!

L’infâme Du Camp (une antéposition), lui, n’a rien vu. Il le dit (c’est précisément dans le passage de son livre dans lequel il raconte qu’il a rencontré Vallès le 28 mai):

Le 28 était un dimanche; la lutte n’était pas encore terminée, mais l’insurrection était réduite et tout allait finir. Sauf un point très-restreint du onzième arrondissement, tout Paris appartenait, après sept jours de combat, à l’armée de la France. J’étais sorti de fort bonne heure; j’avais été du côté de la place du Château-d’Eau, dans l’espoir de pouvoir parvenir jusqu’à la Grande-Roquette et jusqu’au Père-Lachaise; toute circulation était interdite dans ces quartiers à peine domptés, et il me fut impossible de passer. On entendait des coups de fusil du côté de la rue Saint-Maur; des soldats racontaient la prise de Belleville et des Buttes-Chaumont; des fusiliers marins, très-émus et furieux, parlaient de l’assassinat de l’archevêque. Vers une heure, si ma mémoire me sert bien, on annonça que la dernière barricade élevée rue Fontaine-au-Roi, défendue par une soixantaine de fédérés, venait de tomber aux mains de la troupe de ligne. Je continuai ma route.

Il n’a rien vu, mais ça ne l’empêche pas de savoir (bon, nous non plus…). Il ne semble pas croire ce qu’a écrit Daudet (bon, nous non plus…).

Avant de raconter l’histoire de la mort de Varlin, il est nécessaire de dénigrer encore les membres de la Commune. Et c’est ce qu’il fait:

Le dimanche 28 mai, vers trois heures de l’après-midi, Varlin était assis, place Cadet, à la table extérieure d’un café. Il n’avait en rien modifié sa physionomie; il portait comme d’habitude ses cheveux grisonnants rejetés en arrière et sa forte barbe acajou qui lui cachait le menton et découvrait les lèvres. On a dit que le matin, il avait été un des combattants de la dernière barricade, dans la rue Fontaine-au-Roi; c’est une erreur. Cette barricade, commandée par un clerc d’huissier, membre du Comité central, nommé Louis-Fortuné Piat, était défendue par une soixantaine de fédérés de toute provenance, parmi lesquels on ne comptait aucun membre de la Commune. Pas plus que ses anciens collègues de l’Hôtel de Ville, Varlin n’était là […]

Voici un historien plus sérieux, Louis Fiaux:

Acculés, cernés, poussés par Vinoy et Ladmirault, quelques centaines de fédérés veulent résister encore: ils rabattent par les rues des Bois, des Prés-Saint-Gervais, les alentours de l’église de Belleville, où les soldats de ligne consignés la veille restent sains et saufs, et le haut de la rue de Paris. Ils sont définitivement rejetés dans le Faubourg du Temple, la rue des Trois-Bornes, des Trois-Couronnes, Ramponneau et Fontaine-au-Roi. Rue Fontaine-au-Roi, Louis Piat, voulant éviter toute lutte inutile, arbore le drapeau blanc et se rend avec une soixantaine de fédérés. Varlin, Gambon, tentent de résister dans le Faubourg du Temple, rue Oberkampf, rue Saint-Maur, mais les soldats arrivent par l’hôpital Saint-Louis, absolument sans défense, et bientôt la fusillade s’éteint.

La Commune a vécu.

Et pour finir avec les livres, la parole à Lissagaray, bien sûr:

À dix heures, la résistance est réduite au petit carré que forment les rues du Faubourg du Temple, des Trois-Bornes, des Trois-Couronnes et le boulevard de Belleville. Deux ou trois rues du XXe se débattent encore, entre autres la rue Ramponneau. Une petite phalange, conduite par Varlin, Ferré, Gambon, l’écharpe rouge à la ceinture, le chassepot en bandoulière, descend la rue des Champs et débouche du XXe sur le boulevard. Un garibaldien d’une taille gigantesque porte un immense drapeau rouge. Ils entrent dans le XIe. Varlin et ses collègues vont défendre la barricade de la rue Faubourg du Temple et de la rue Fontaine-au-Roi. Elle est inabordable de front, de face; les Versaillais, maîtres de l’hôpital Saint-Louis, parviennent à la tourner par les rues Saint-Maur et Bichat.

*

Bien entendu, ce n’est pas fini… Et là, je ne fais pas allusion à la mention du 13 novembre 2015 au début de cet article. Mais encore à une écriture de l’histoire de la Commune. Encore une plaque commémorative — mais celle-là m’a trop énervée pour que je la prenne en photo. Elle est apposée sur le numéro 17 de la rue de la Fontaine-au-Roi et dit:

Dans la rue de la Fontaine-au-Roi résista
la dernière barricade de la Commune de Paris
défendue par ses chefs:
E. VARLIN, T. FERRÉ et J.B. CLÉMENT
Elle succomba vers midi le 28 mai 1871
au terme de la « Semaine sanglante ».
120 ans après, le Parti Socialiste
et son Premier Secrétaire Pierre MAUROY
rendent hommage au Peuple de Paris
qui voulut changer la vie
et aux 30.000 fusillés du « temps des cerises ».
28 mai 1871/28 mai 1991

Oui, exactement comme ça, avec tous ces chefs et toutes ces majuscules.

Théophile Ferré avait réussi à dire, pendant le Conseil de guerre, qu’il confiait à l’avenir le soin de sa mémoire et de sa vengeance. Sa vengeance, je ne sais pas. Mais pour sa mémoire, nous avons au moins une rime: récupérer/Ferré…

Livres cités

Hillairet (Jacques), Dictionnaire historique des rues de Paris, Minuit (1963).

Daudet (Ernest), L’Agonie de la Commune, Lachaud (1871).

Clément (Jean-Baptiste)La revanche des communeux, Jean Marie (1886-87).

Claris (Aristide), La proscription française en Suisse 1871-72, Vve Blanchard, Genève (1872).

Du Camp (Maxime)Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).

Fiaux (Louis), Histoire de la Guerre civile de 1871, Charpentier (1879).

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).