Sur le site archivesautonomies.org, auquel j’ai déjà fait souvent appel, on trouve des numérisations d’un magazine d’histoire populaire, Gavroche, qui a malheureusement cessé de paraître en 2011 et qui a publié, entre autres très belles choses, des articles sur tel ou tel épisode de l’histoire de la Commune.

Dans le numéro 44 (mars-avril 1989), on trouve un article de Michel Auvray, « La Commune démolit la colonne Vendôme » très intéressant et très bien illustré (même si les images n’y ont ni auteur ni source). Je reviendrai sur la décision de la démolition dans un article ultérieur. Pour celui-ci, je retiens cette image… et sa légende.

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En cliquant pour l’agrandir,  vous serez peut-être étonnés comme je l’ai été. Le monsieur au haut de forme ne ressemble pas à Courbet, et d’ailleurs, je ne vois pas Courbet avec ce genre de chapeau dans un moment pareil. Il n’y a pas d’explication à ce commentaire dans l’article.

Dans le numéro 147 (juillet-août-septembre 2006, dix-sept ans plus tard, Gavroche était devenu trimestriel), il y a un article de Joël Petitjean, « Courbet et la Commune: représentations photographiques, identification et mystification ». Une des questions qui y sont posées est: « Courbet était-il place Vendôme le jour où on abattit la colonne (16 mai 1871)? » L’auteur de l’article en doute. En tout cas, dit-il, on ne voit pas Courbet sur les photographies faites ce jour-là. Pourtant, quelques historiens ont proposé, dit-il toujours, de reconnaître Courbet… non, pas dans le monsieur au haut de forme de la photo ci-desssus, mais comme son voisin barbu sur la (même) photographie ci-dessous.

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L’auteur de l’article n’y croit pas, il voit tout au plus une vague ressemblance.

Très vague, en effet.

J’ajouterai que, non seulement le képi me semble au moins aussi invraisemblable que le haut de forme, mais qu’en plus, le numéro de bataillon sur le képi n’est pas celui d’un bataillon de l’arrondissement du peintre, le sixième (ceux du sixième sont les 18, 19, 83, 84, 85, 115, 193 (celui de Varlin) et 249).

Et d’autre part, pour répondre plus généralement à la question de la présence de Courbet, je dirai que, oui, il était présent, c’est avéré, et qu’en plus, on sait très bien comment il était habillé — et pas en uniforme!

Bien entendu, vous n’attacherez pas d’importance à la déposition du « témoin » Duchon, un concierge, qui déclare au Conseil de guerre:

Le Témoin: Le 16 mai, étant sous la porte cochère, j’entends dire: Voilà Courbet, voilà Courbet qui monte; quant à moi, je ne le connais nullement.

Le Président: Quelle heure était-il?

Le Témoin: Entre quatre heures et demie et cinq heures du soir. Voilà la tenue de la personne: un petit chapeau et une jacquette de…

M. le président arrête le témoin dans sa déposition, dénuée d’intérêt.

Courbet: Puis ce n’était pas moi; je n’avais pas de jacquette et je ne monte pas aux échelles.

Si même le Président ne l’a pas écouté…

Sûrement vous n’aurez pas confiance non plus en l’infâme Du Camp, alors je n’insiste pas sur le fait qu’il était présent, et qu’il a vu Courbet.

Mais vous accepterez Maxime Vuillaume. La scène commence rue Montmartre.

Sanglé dans sa vaste redingote bleue, Courbet nous accoste.

— Tu viens place Vendôme? lui dit Vermersch.

Le pauvre Courbet est embarrassé de toutes les lettres d’injures qu’il reçoit déjà. Vermersch et Vuillaume le rassurent de leur mieux.

Courbet finit par rire avec nous. Il est complètement rassuré lorsque nous arrivons place de l’Opéra.

Et vous accepterez certainement aussi Jules Vallès:

Le jour où la colonne fut renversée, il était là, sur la place, avec sa canne de vingt sous, son chapeau de paille de quatre francs, son paletot coupé à la confection, acheté à la Redingote grise, peut-être.

Courbet, oui. Mais sans chapeau haut de forme ni képi, donc…

*

La caricature de Cham utilisée en couverture (et sa légende) viennent du Monde illustré du 6 avril 1872. On y remarquera un couvre-chef qui pourrait bien être le « chapeau de paille de quatre francs ». La légende est un peu une anticipation: c’est seulement en 1873 que Courbet fut condamné à payer la réédification de la colonne.

L’origine des deux autres images est précisée dans l’article (la photographie originelle est, il me semble, due à Disdéri, et se trouve au Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis).

C’est Yves C. qui m’a suggéré d’utiliser les articles de Gavroche sur Courbet, je l’en remercie!

*

Livres et articles utilisés

Auvray (Michel)La Commune démolit la colonne Vendôme, Gavroche 44 (1989).

Petitjean (Joël), Courbet et la Commune: représentations photographiques, identification et mystification, Gavroche 147 (2006).

Valat (Rémy)Les archives de la Garde nationale, Université de Versailles Saint-Quentin et Archives départementales des Yvelines (2004).

Troisième conseil de guerreProcès des membres de la Commune, Versailles (1871).

Du Camp (Maxime)Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).

Vuillaume (Maxime)Mes Cahiers rouges Souvenirs de la Commune (avec un index de Maxime Jourdan), La Découverte (2011).

Vallès (Jules), article paru dans Le Réveil, le 6 janvier 1878, reproduit dans le recueil d’articles Le Cri du peuple, Éditeurs français réunis (1953), et dans un choix d’articles, deuxième volume des Œuvres, Pléiade, Gallimard (1989).