Le dimanche 21 mai, Gustave Courbet est à l’Hôtel de Ville, il est assesseur de la dernière séance de la Commune.

Les troupes versaillaises entrent dans Paris ce même après-mdi.

Le mardi, se souvint Jules Vallès, on demande de ses nouvelles chez Laveur, une « pension » où il a ses habitudes.

L’a-t-on vu? Que devient-il? Où est-il? Se cache-t-il? Se bat-il?

— Il est venu tout à l’heure pour réclamer sa canne à pêche.

Eh! lon lon laire, lon là!

Le Figaro, le 30 mai 1871, se réjouit des beaux résultats de la Semaine sanglante:

Courbet, dit-on, a été tué dans une armoire au ministère de la marine.

Le même journal, le lendemain, fait une liste de supplices à lui appliquer (au cas où l’information précédente soit fausse, sans doute). Le 1er juin, il cite un de ses confrères, le Journal de Paris:

Pris dans les premiers jours de la semaine, il [Courbet] avait été emmené à Versailles en même temps qu’un certain nombre d’insurgés de rang inférieur.

M. Gustave Courbet, on le sait, était très gros; fatigué, épuisé déjà avant de se mettre en route, il n’avait pu faire le chemin qu’avec la plus grande difficulté. Arrivé à Satory, il voulut à toute force qu’on lui donnât à boire; il avait chaud. Il résulta de cette imprudence une sorte d’apoplexie qui l’emporta au bout de quelques heures.

Il est ainsi seul responsable de sa propre mort. Mort de ses vices et non de sévices…

Pourtant, ce même 1er juin, on l’a vu à Salins, dans le Doubs, le préfet de ce département communique avec la police parisienne. Le 3 juin, notre Figaro préféré affirme:

Le peintre de La Vague est passé dans les rangs des Bavarois campés à Charenton, et qui doivent l’avoir maintenant remis aux autorités françaises.

Le 7 juin, la préfecture de police reçoit une information (?):

Monsieur le Préfet

Je puis vous affirmer que le trop fameux Courbet est caché au quartier latin, qu’il a même un passeport américain, pour gagner New York. À vous monsieur le préfet d’aviser et je crois que ce ne sera pas trop difficile. Ce misérable n’aura que ce qu’il mérite.

Garaud

Au moins, cette dénonciation est signée, même si vague. C’est d’ailleurs ce jour-là (le 7 juin) que l’inspecteur Dominique Vauchelet, du service des garnis, finit par arrêter Gustave Courbet, 12 rue Saint-Gilles (ce qui n’est pas au quartier latin mais dans le troisième arrondissement), chez un de ses amis, Lecomte, fabricant d’instruments de musique. Courbet a rasé sa célèbre barbe pour ne pas être reconnu, mais c’est insuffisant.

Un procès verbal en date du lendemain et issu du commissariat de police de Saint-Germain-L’Auxerrois, lui fait dire:

Je n’ai fait partie de la Commune qu’à partir du 20 avril sur la demande qui m’en a été faite par les membres qui la composaient. Le sentiment qui, de leur part, les entraînait vers moi était de chercher dans ma notoriété une importance et un poids qui leur manquaient encore et de mon côté si j’ai cédé à leur désir, c’était précisément pour m’opposer aux excès qui pourraient survenir; je n’accepte donc en aucune manière la solidarité des forfaits qui ont été commis.

Lui-même, dans une lettre du 24 janvier 1872, se souviendra:

Quand je fus arrêté, je déclarais au commissaire de police que, si je croyais aux récompenses, je mériterais une récompense nationale, car les arts qui étaient à ma charge sous les deux sièges étaient intacts et que, grâce à moi (j’ose le dire), ils étaient les seules choses qui n’aient pas souffert dans ce désordre général. Il resta étonné, ce qui ne l’empêcha pas de m’envoyer coucher sur la terre dans la vermine des cachots de la Conciergerie.

Les deux points de vue ne sont pas incompatibles. Je reviendrai dans un article ultérieur sur le système de défense employé par les communards cet été 1871.

Voici comment il annonce son arrestation à ses parents (il ne le sait pas encore, mais sa mère est morte le 3 juin):

Paris, 11 juin. Dimanche

Mes chers parents,

Je ne puis pas encore retourner près de vous aussitôt, parce que les horreurs qui viennent de se passer nécessitent ma présence à Paris. J’étais président des arts, et je dois pour ma réputation rendre des comptes très sévères à la France de ma gestion sous le gouvernement du 4 septembre, ainsi que sous celui du 18 mars. Dans ce moment, je provoque une enquête sur mon compte ainsi qu’un jugement devant un tribunal, pour qu’il ne reste aucune équivoque à mon égard en Europe.

[…]

Je suis prisonnier dans ce moment, jusqu’à ce qu’un temps plus tranquille, qui ne tardera pas, soit à même de m’entendre.

J’espère faire voir à la France ce que c’est qu’un homme qui a l’honneur de faire son devoir en toutes circonstances.

Je vous embrasse de tout mon cœur. N’ayez aucune inquiétude sur mon compte.

Votre fils,

Gustave Courbet

À Londres, Robert Reid, qui était pendant la Commune le correspondant à Paris du Daily Telegraph de Londres et du Herald de New York, se lance dans une lutte contre les calomnies qui ont cours en Angleterre sur la Commune. Le 27 juin, il envoie au Times une lettre de Courbet datée du 20 mai, avant l’entrée des troupes versaillaises dans Paris. Il l’accompagne de ce commentaire (ma traduction):

Les nombreuses accusations fausses qui ont été lancées contre lui par la presse, et la situation critique dans laquelle il se trouve réclament notre sympathie comme le devoir de rendre la vérité publique.

Avec beaucoup de mauvaise foi, la presse française republiera l’article du Times en prétendant que Courbet voulait dégager sa responsabilité des « actes de vandalisme commis par la Commune ». Voici cette lettre, comme elle a paru dans le Moniteur universel du 29 juin:

Monsieur

Non seulement je n’ai ordonné la destruction d’aucune œuvre d’art du Louvre, mais au contraire, c’est moi qui ai fait réunir de nouveau au musée tous les objets qui en avaient été distraits, et placés par plusieurs ministres dans divers édifices de la capitale. On a agi de même à l’égard du Luxembourg. C’est encore moi qui ai réservé et arrangé les collections de M. Thiers. On m’accuse d’avoir détruit la colonne Vendôme, et cependant le décret qui s’y rapporte a été rendu le 14 avril [12] et je n’ai été élu membre de la Commune que le 20 [16 pour l’élection, 20 pour la première réunion], six jours plus tard. Alors, j’ai réclamé avec insistance que les bas-reliefs de ce monument fussent conservés intacts, et qu’on en formât un musée dans la cour des Invalides. Si j’ai conscience de la pureté des motifs qui ont inspiré ma conduite, je ne me fais pas illusion sur les difficultés au milieu desquelles se meut un gouvernement qui succède à un régime pareil à l’empire.

Il s’agit d’une (double) traduction, emplie d’ambiguïtés, la dernière phrase était beaucoup plus claire dans la version de Robert Reid:

Knowing the purity of the motives by which I have been actuated, I also know the difficulties one inherits in coming after a régime such as the Empire [Je connais la pureté des motifs qui m’ont fait agir, mais aussi les difficultés dont on hérite lorsqu’on succède à un régime comme l’empire.]

Et pour terminer ces préliminaires au procès qui va s’ouvrir le 7 août, une information donnée par L’Opinion nationale le 24 juillet:

On mande de Versailles que Courbet est toujours dans un état de prostration complète. Il ne répond à aucune des questions qui lui sont adressées et refuse toute nourriture, lui qui passait pour un des gros mangeurs du quartier latin. Il est arrivé à un degré de maigreur relative qui fait craindre pour ses jours. Son transfert à l’infirmerie a été ordonné hier dans l’après-midi.

En effet, Gustave Courbet est malade. Il souffre de ce que la presse appelle « une inflammation d’intestins », qui lui vaudra une première, puis une deuxième opération, « on sait laquelle », écrira un journaliste. Il est vrai que, cent ans plus tard, une de ses biographes (dont j’ai déjà mentionné le goût pour les euphémismes dans un autre article) parlera de cette maladie sans nom comme « d’une affection douloureuse ». Il s’agit simplement d’hémorroïdes dont Courbet souffrait depuis des années.

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L’image de couverture est un dessin au fusain fait par Courbet en 1871. Je l’ai copié sur un site que j’ai déjà mentionné, « l’Histoire par l’image », ici dans la page sur la répression de la Commune.

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Plusieurs des informations contenues dans cet article viennent du dossier Courbet aux archives de la Préfecture de police. Avec mes remerciements à ce service pour (son existence et) son accueil. J’en dirai plus long sur ce dossier dans un article ultérieur.

Livres cités

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).

Vallès (Jules)Courbet, portrait-charge, article paru dans Gil Blas le 9 mai 1882, reproduit dans le recueil d’articles Le Cri du peuple, Éditeurs français réunis (1953).

Forges (Marie-Thérèse de), Biographie, in Courbet, catalogue de l’exposition, Paris, 1977-78, Éditions des musées nationaux (1977).

Chu (Petra ten-Doesschate)Correspondance de Courbet, Flammarion (1996).