Je prends ce bus, le 76, depuis plus de trente ans. Surtout à l’intérieur de Paris. Hier, c’était le 1er novembre, il faisait beau et j’étais à Bagnolet (je ne vous raconte pas ma vie), pas très loin du terminus. Qui se nomme « Bagnolet-Louise Michel ».

bus76

J’ai décidé de faire une pause dans mon feuilleton « Courbet » et j’ai écrit ceci.

1. Louise Michel. J’ai marché dans la rue Louise-Michel, pleine de verdure, malgré la saison avancée, jardins familiaux, arbres, les charmes du Neuf-Trois (comme on dit). Je monte dans le bus. Quartiers très populaires. Je n’ai aucun doute que Louise Michel aurait adoré ces gamins. Le lieu est bien nommé. Quartiers populaires mais verts.

Rue Anna. Il me serait facile de vérifier qui était cette « Anna », mais je ne le fais pas et préfère penser à Anna Jaclard, sœur de ma mathématicienne préférée. De petites maisons, dont certaines existaient peut-être il y a cent-cinquante ans, et des immeubles de toute sorte (mais la plupart plutôt vilains).

L’arrêt Pierre Curie, qui s’appelle aussi bien Pierre Curie sur le plan que sur le terrain, est annoncé oralement comme « Pierre et Marie Curie ». Ah (appelons ça une digression).  Grande descente — l’est de Paris on le sait a un relief un peu accidenté.

2. Église de Bagnolet. Celle-là était là il y a cent cinquante ans et même bien avant (treizième siècle). Évoque peut-être le Bagnolet du temps de la Commune, où se trouvaient des soldats prussiens, si je crois Lissagaray (et en général je le crois), dont certains furent même blessés le 27 mai par des obus versaillais tirés vers Belleville. Ou peut-être le dit « dernier communard », Adrien Lejeune, qui en était, de Bagnolet, une histoire édifiante dont il faudrait parler sur ce site. Une place de village charmante.

Moins charmante, la suite, malgré les noms des arrêts (mairie, poste, centre de santé), centre commercial, échangeurs d’autoroute, terminus de la ligne 3 du métro, gare routière.

3. Séverine. À la porte de Bagnolet où, je le signale, la couleur des passagers du bus change, le beau parc vert jaunissant porte le nom de Séverine, disciple, amie, soutien, de Jules Vallès. L’arrêt du tram en haut du parc aussi. En traversant les voies du tram, je regarde à gauche et distingue l’ancien poste-caserne, vestige des fortifications de l’enceinte Thiers.

4. Église Saint-Germain de Charonne. De celle-ci nous avons une image qui donne une idée de ce qu’était le quartier à l’époque (et même avant l’annexion du village de Charonne à Paris, mais après 1830 puisqu’on y voit un drapeau tricolore).

Charonne vers 1830 par Étienne Bouhot
Charonne vers 1830 par Étienne Bouhot

De cette église et de son cimetière, j’ai déjà parlé dans un autre article, parce que le cimetière contient les restes de nombreux fédérés assassinés pendant la semaine sanglante.

La station « Charonne » de la petite ceinture est à proximité et visible, même si les rails ne sont plus là, si la gare est devenue un café, et si la rue du Chemin de fer a été englobée dans la rue des Pyrénées.

5. Le Père Lachaise. La rue de Bagnolet longe le cimetière du Père Lachaise (j’ai déjà discuté cette assertion avec précision dans un autre article), plusieurs impasses la quittent pour se cogner contre l’enceinte. L’extrémité de l’une d’elles, la villa Godin, est exactement sous le mur des Fédérés. À l’arrêt « La Réunion », une des impasses mène à une entrée du cimetière (mais aller au cimetière le 1er novembre…  ce n’est pas mon truc, je reste dans le bus).

Je remarque un café nommé « Quartier rouge » (on peut rêver…). Et, mais celui-là je le connaissais, « Génie de la Bastille » — un endroit d’où on ne voit pas, jamais, en aucune circonstance, le génie de la Bastille.

6. Charonne-Voltaire. En plein milieu de la trajectoire des boulets des canons versaillais qui tiraient de la place du Trône (Nation) sur la mairie du onzième (Voltaire-Léon Blum), le métro Charonne, place du 8 février 1962. J’évite une nouvelle digression: c’est un site sur la Commune de Paris. Le bus passe aussi.

Après quoi il dépasse la rue Jules-Vallès et ignore (mais pas moi) la rue Charles-Delescluze, puisqu’elle est parallèle à la rue de Charonne. Il passe encore la rue Basfroi, où se réunissait, le 18 mars, le Comité central de la Garde nationale, et d’ailleurs passe aussi un endroit d’où l’on peut apercevoir, par dessus les toits, le génie de la Bastille.

7. Charonne-Keller. Non loin de là, rue Keller, avait été la mairie du onzième, quand celui-ci n’était pas le onzième, et il y avait de la place, de sorte que l’un des parcs à canons du 18 mars était là.

C’est normalement mon arrêt, mais je ne descends pas.

8. Faubourg-Saint-Antoine. Des combats et des barricades, celle ou Leo Frankel fut blessé, des massacres.

À gauche la petite rue Saint-Nicolas, qui m’évoque cet acte

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lu dans le registre des décès du douzième arrondissement. Une petite fille morte le 28 mai 1871 au matin. Comment sait-on le nom d’un bébé d’un mois dont on ne sait pas qui sont les parents?

La courbe de la rue empêche d’abord de voir le génie de la Bastille, mais on ne perd rien pour attendre.

9. Place de la Bastille. Il regarde vers le centre de Paris, nous montre ses fesses.

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Il ne brandit plus depuis longtemps le drapeau rouge du printemps 1871.

À gauche, il y avait le grenier d’abondance, dont Theisz nous a raconté l’incendie (on vend de l’ « art » par là, aujourd’hui), à droite le lieu où Theisz nous a dit que se tenait Eugène Varlin le matin du 25 mai. Rue Saint-Antoine, le temple protestant, nous sommes toujours sur les lieux de cette page du cahier d’Albert Theisz. Le bus avance dans la rue de Rivoli.

10. Mairie du quatrième. Elle me rappelle que les élus de cet arrondissement réunirent leurs mandants (au Châtelet) pour leur demander leur avis sur la « sécession de la minorité », les électeurs leur demandèrent de retourner à l’Hôtel de Ville.

Juste après, il y avait la caserne Lobau, où l’on exécutait à la mitrailleuse, pour aller plus vite, les condamnés de la cour martiale du Châtelet. Je vois, pas très loin devant, la tour Saint-Jacques. J’avais pensé aller jusqu’au terminus, mais je n’ai pas envie d’évoquer les morts (et peut-être les pas tout à fait morts) enterrés (ou pas tout à fait) dans le square. Je décide de descendre avant.

11. Hôtel de Ville. Je ne suis pas la seule à descendre. Les achats de Noël sont clairement en cours (!). L’Hôtel de Ville a brûlé, on le sait, j’en ai déjà parlé, il n’a pas été reconstruit à l’identique, ça n’a pas vraiment d’intérêt, je pourrais rentrer par la rue des Blancs-Manteaux, passer devant le Mont-de-piété… Mais non, je traverse. Justement, il y a des panneaux consacrés… à la Commune de Paris, sur les grilles de l’Hôtel de Ville. Coïncidence. Textes très bien rédigés, chaque mot en a été pesé

la Commune amorce le droit au travail des femmes, l’égalité des salaires avec les hommes

qui peut dire que ce n’est pas vrai? Mais au fond, quelle vérité cela contient-il? Très consensuel (pourtant tagué…). Avec, quand même, une belle image comme je les aime (même si j’aurais mis plus de 20% de femmes). N’hésitez pas à cliquer pour mieux voir!

Hôtel de Ville, 1er novembre 2016
Hôtel de Ville, 1er novembre 2016

Et voilà, c’est fini! Tout ça pour le prix d’un ticket de bus (1,45 euros). Je rentre à la maison à pied.

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J’ai bien vu qu’il y avait écrit « reproduction interdite » sur le plan de la ligne 76, que j’ai copié sur le site de la RATP. Mais il est déjà copié sur des tas d’autres sites. Si la RATP me demande de le retirer, je le ferai. En attendant, que cette image vous invite au voyage!

Le tableau d’Étienne Bouhot est au musée Carnavalet (où l’on peut aussi se rendre en 76, descendre à l’arrêt Birague).

J’ai fait les deux photographies dans le temps raconté dans l’article. Merci de citer ce site si vous les utilisez!

Livres utilisés

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Arnould (Arthur)Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Bruxelles, Librairie socialiste Henri Kistemaeckers (1878).