Le titre est bien sûr celui du journal de Marat, de 1789 à 1792.

Il a été repris par Raspail pendant la Révolution de 1848.

Il y a eu ensuite celui dont je veux vous parler dans cet article.

Un quotidien d’extrême-droite à très gros tirage de ce titre a existé de 1928 à 1937, qui est aujourd’hui surtout connu pour avoir réalisé la première campagne antisémite des années 1930… n’importe qui peut se prétendre « ami » du peuple — ou encore, Peuple, méfie-toi de ceux qui se disent tes amis.

Le véritable Ami, celui dont je veux vous parler est L’Ami du peuple, d’Auguste Vermorel, un journal de 1871.

Auguste Vermorel avait, entre autres choses (mais je lui consacrerai un prochain article), publié les Œuvres de Marat, ce qui n’est bien sûr pas sans lien avec son choix de titre.

Ce journal n’a eu que quatre numéros, qui sont parus les dimanche 23 avril et lundi 24 avril, puis les vendredi 28 et samedi 29 avril. Les numéros 1 et 2 sont des petites brochures de huit pages, alors que les deux suivants sont dans un format de journal habituel avec six colonnes par page.

Ces deux derniers numéros, s’ils contiennent des nouvelles, militaires et autres, sont surtout consacrés à la défense que Vermorel oppose aux attaques de Félix Pyat, qui l’accuse d’avoir été payé par le régime impérial. Le fait qu’à un tel moment, des personnes aussi valeureuses que Vermorel aient perdu tant d’énergie à ce type de débat fait certainement partie d’une histoire de la Commune et de ses erreurs. Pourtant, je préfère ici donner quelques exemples des déclarations politiques de Vermorel, parues dans les deux premiers numéros. D’ailleurs, sauf erreur de ma part, les célèbres microfilms de la BnF ne contiennent pas ces deux numéros… qui sont sur le site archivesautonomies.org.

Ceci n’est point un journal.

C’est un compte rendu, à mes concitoyens, du grave et redoutable mandat qu’il m’ont confié, en me nommant membre de la Commune de Paris.

Partisan déclaré du mandat impératif et de la responsabilité, j’ai le devoir de me tenir en rapports constants avec le Peuple dont je relève — de lui rendre compte, en quelque sorte, jour par jour, de mes principes, de ma conduite et de la situation des affaires publiques.

*

Jamais l’heure n’a été aussi solennelle pour les mandataires du Peuple, jamais la responsabilité n’a été plus terrible.

Le canon gronde, le sang coule.

Du résultat de la bataille qui se livre, dépendent les destinées de la République et de la France.

Dans une pareille situation, toute faute, toute défaillance, toute erreur est un crime; — et tout crime est un attentat contre la patrie, contre la République, contre l’humanité entière.

Et nous ne serions pas seulement responsables chacun individuellement de nos propres fautes, de nos propres défaillances, de nos propres erreurs. Nous sommes tous solidaires.

Nous avons donc le devoir de nous éclairer les uns les autres, de nous tenir tous dans une communion intime de sentiments et d’idées.

Telles sont les considérations qui me déterminent à entreprendre cette publication. Elle me paraît être le complément indispensable du mandat que j’ai reçu et accepté.

Ce qui fait la grandeur, ce qui fait la force, ce qui fait la légitimité de la Révolution du 18 mars, c’est qu’elle a été toute spontanée; elle est sortie toute entière de la conscience populaire soulevée par un sentiment unanime de légitime défense.

Quoi qu’en puissent dire nos adversaires, il n’y a eu, du côté du peuple, ni conspiration ni préméditation.

J’arrête ici cette citation du début du n°1. La question de la spontanéité du 18 mars est posée et, certainement, les révolutionnaires blanquistes ne partageaient pas l’avis d’Auguste Vermorel sur ce point. Penser à l’armement du treizième arrondissement par Émile Duval au début du mois de mars.

Je choisis quelques phrases, dans ces deux premiers numéros.

Ce ne sont pas les membres de la Commune, auxquels appartient actuellement le pouvoir, qui ont fait la Révolution du 18 mars; ce ne sont pas eux qui ont créé la situation. […]

Ils n’ont même pas posé leurs candidatures; ce sont les électeurs qui les ont désignés par un témoignage spontané de sympathie et de confiance.

Je puis en parler à mon aise, moi qui écris ces lignes. J’étais absent de Paris lorsque j’ai été élu, et j’ai dû y revenir précipitamment, rappelé par le mandat qui m’était confié.

Cette origine donne à la Commune, en dépit de toutes les attaques dont elle est l’objet, une légitimité, une autorité, une force morale vraiment exceptionnelles.

Vermorel est aussi un socialiste.

Des réformes sociales qui, en organisant le travail, assureront à tous les citoyens l’instruction et le bien-être, feront disparaître l’ignorance et la misère, seront la conséquence nécessaire de ces réformes politiques et de l’initiative libre et intelligente de la Cité, dégagée de la tutelle administrative.

Voilà ce que veut Paris.

 

La Commune, sur la demande des ouvriers boulangers, a décrété la suppression du travail de nuit.

Voilà une mesure à laquelle tout le monde doit applaudir parce qu’elle fait rentrer dans la vie sociale des gens qu’une habitude, un simple préjugé privait de la vie de famille, de la vie intellectuelle et morale.

Et, dans le numéro 2:

Elle [la Révolution du 18 mars] consacre l’avènement politique du prolétariat, comme la Révolution de 1789 a consacré l’avènement politique de la bourgeoisie.

[…]

Il faut renverser de fond en comble l’ancien édifice gouvernemental pour le reconstruire, d’après un plan tout nouveau et sur les bases de la justice et de la science.

 

La confiscation pure et simple des biens au profit de l’État est un expédient d’une valeur contestable, et, dans un temps normal, ce serait, il faut bien le dire, un acte détestable, parce qu’il reconstituerait nécessairement le despotisme d’État et irait ainsi directement contre le but de notre Révolution, qui est de détruire ce despotisme par l’émancipation communale.

Ce qu’il faut, c’est prendre des mesures réparatrices, conformes à la stricte justice, qui fassent passer aux mains des travailleurs les richesses laissées improductives ou employées à un usage funeste, au lieu d’être appliquées à l’amélioration générale du bien-être social.

Je consacrerai le prochain article à Auguste Vermorel lui-même.

*

Aux amateurs, je signale que le journal de Marat est sur Gallica.