Il y a quelques semaines, j’ai reçu un message d’un de mes anciens collègues. Il habite dans le vingtième arrondissement, a vu mon blog sur la Commune. Il me parle de son arrière grand-père, Auguste Godefroy (1848-1924), qui était garde national pendant la Commune, de son grand-père, né en 1879, qui fut anarchiste. Et de lui, qui a été élevé près de la place du Danube, où l’on disait que trois cents cadavres avaient été jetés dans un puits après (ou pendant) la Semaine sanglante.

J’ai été heureuse de recevoir ce message: peu de (vieux) Parisiens savent qu’ils ont eu un ancêtre dans la Garde nationale pendant la Commune. J’ai évoqué les quatre cents cadavres du puits de Bercy et mon désir de ne pas m’étendre sur le martyrologe et les morts.

Sûrement vous avez remarqué qu’il manquait une génération dans la lignée (patrilinéaire) de mon correspondant. Son père, m’écrit-il bientôt, bouchant ce trou, s’était rendu rue Haxo cent ans jour pour jour après que se soit tenue là la dernière réunion de la Commune. Et à ce moment-là, il était seul en ce lieu.

Dernière réunion de la Commune, c’est peut-être un peu exagéré — c’est réunion qui est exagéré, pas dernière.

Le jeudi après-midi 25 mai 1871, « la Commune », ou ce qu’il en reste, est à la mairie du onzième (comme on peut le voir très en détail dans les articles que j’ai consacrés à ce 25 mai, en cliquant ici, puis là, encore là, et enfin là). Rue Haxo, c’est le vendredi 26 mai. Reprenons la chronologie, suivant Lissagaray.

La Bastille succombe vers deux heures. La Villette se dispute encore. Le matin, la barricade du coin du boulevard et de la rue de Flandre a été livrée par son commandant. Les fédérés se concentrent en arrière sur la ligne du canal et barricadent la rue de Crimée. La Rotonde, destinée à supporter le choc principal, est renforcée par une barricade sur le quai de la Loire. Le 269e, qui, depuis deux jours, tient tête à l’ennemi, recommence la lutte derrière ces positions nouvelles. Cette ligne de la Villette étant très étendue, Ranvier et Passedouet vont chercher des renforts au XXe, où se réfugient les débris de tous les bataillons.

Ils remplissent la mairie qui distribue les logements et les bons de vivres. Près de l’église, les fourgons et les chevaux s’accumulent bruyamment. Le quartier général et les différents services sont installés dans la rue Haxo, à la cité Vincennes, série de constructions coupées de jardins. […]

il est impossible d’y centraliser l’artillerie de la Commune. Chaque barricade veut posséder sa pièce sans s’inquiéter de voir où porte son tir.

Il n’y a plus d’autorité d’aucune sorte. Rue Haxo, pêle-mêle confus d’officiers sans ordres, on ne connaît la marche de l’ennemi que par l’arrivée des débris de bataillons. […]

Les rares membres de la Commune que l’on rencontre errent au hasard, dans le XXe, absolument ignorés ; mais ils n’ont pas renoncé à délibérer. Le vendredi, ils sont une douzaine rue Haxo, le Comité Central arrive et revendique la dictature. On la lui donne en lui adjoignant Varlin. Du Comité de salut public, personne ne parle plus.

Ou peut-être la toute dernière « réunion », avec de plus en plus de guillemets et de doute sur la pertinence du mot, a-t-elle lieu le samedi matin. Lissagaray toujours, Lissagaray de plus en plus fâché:

À onze heures, neuf ou dix membres du Conseil se rencontrent rue Haxo. Jules Allix, plus timbré que jamais, arrive rayonnant. Tout va au mieux d’après lui ; les quartiers du centre sont démunis de troupes, il n’y a qu’à descendre en masse. D’autres s’imaginent qu’ils feront cesser les massacres en se rendant aux Prussiens qui les livreront à Versailles. Un ou deux disent l’espoir absurde, que les fédérés ne laisseront sortir personne ; on ne les écoute guère et Jules Vallès s’apprête à un manifeste. Arrive Ranvier qui cherche des hommes pour la défense des buttes Chaumont. « Allez donc vous battre, leur crie-t-il, au lieu de discuter ! » Cette parole d’un homme de bon sens renverse l’écritoire. Chacun tira de son côté ; la dernière rencontre de ces perpétuels délibérateurs.

Le 26, le 27…

Mais voilà, la rue Haxo a été récupérée, instrumentalisée, contre la Commune. Pas parce que ces perpétuels délibérateurs ont essayé encore une fois de parloter. Ce qui s’est passé?

Les nouvelles qui parviennent de Paris grossissent les colères. On dit que le massacre des prisonniers est la règle des Versaillais ; qu’ils égorgent dans les ambulances ; que des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards sont emmenés à Versailles, tête nue, et souvent tués en route ; qu’il suffit d’appartenir à un combattant ou de lui donner asile pour partager son sort ; on raconte les exécutions des prétendues pétroleuses.

Vers six heures, un groupe de gendarmes, ecclésiastiques, civils, arrive rue Haxo, encadré dans un détachement que le colonel Gois commande. Ils viennent de la Roquette et se sont arrêtés un moment à la mairie où Ranvier a refusé de les recevoir. On croit à des prisonniers récemment faits et ils défilent d’abord dans le silence. Bientôt le bruit se répand que ce sont des otages et qu’ils vont mourir. Ils sont trente-quatre gendarmes pris le 18 mars à Belleville et à Montmartre, dix jésuites, religieux, prêtres, quatre mouchards de l’Empire : Ruault, du complot de l’Opéra-Comique; Largillière, condamné en juin et au procès de la Renaissance ; Greffe, organisateur des enterrements civils, devenus l’auxiliaire du chef de la Sûreté, Lagrange ; Dureste, son chef de brigade. Leurs dossiers ont été trouvés et publiés pendant le siège.

La foule grossit, apostrophe les otages et l’un d’eux est frappé. Le cortège pénètre dans la cité Vincennes dont les grilles se referment, et pousse les otages vers une sorte de tranchée creusée devant un mur. Un membre de la Commune, Serraillier, accourt : — « Que faites-vous ! il y a là une poudrière, vous allez nous faire sauter ! » Il espérait ainsi retarder l’exécution. Varlin, Louis Piat, d’autres avec eux luttent, s’époumonnent, pour gagner du temps. On les repousse, on les menace, et la notoriété de Varlin suffit à peine à les sauver de la mort.

Les chassepots partent sans commandement ; les otages tombent. Un individu crie : Vive l’Empereur ! Il est fusillé avec les autres. Au dehors, on applaudit. Et cependant, depuis deux jours, les soldats faits prisonniers depuis l’entrée des troupes traversaient Belleville sans soulever un murmure. Mais ces gendarmes, ces policiers, ces prêtres qui, vingt années durant, avaient piétiné Paris, représentaient l’Empire, la haute bourgeoisie, les massacreurs, sous leurs formes les plus haïes.

Exécution d’une cinquantaine d’otages.

Et après?

La rue a été massacrée. De toutes les façons.

Le soir du 29 janvier 1916, un zeppelin allemand lança dix-sept bombes sur Paris et fit vingt-six morts, tous à Belleville et Ménilmontant. La plus violente explosion, dit L’Humanité du lendemain, eut lieu rue Haxo. L’immeuble du numéro 86 fut en grande partie détruit. Le « mur des otages » aussi, comme le montre cette photographie de presse (qui vient de Gallica, là, et que vous pouvez agrandir en cliquant).

ruehaxo1916

La cité Vincennes est devenue la « Villa des otages ». C’est un des lieux les plus tristes de Paris (à mon goût). Comme si on avait voulu punir les habitants de vivre là.

Il n’est pas vraiment étonnant qu’aucune commémoration de la Commune n’ait eu lieu à cet endroit, même en 1971 où l’on commémora beaucoup.

*

Tout en bas de cette rue sinistrée, en arrivant au métro Saint-Fargeau, il y a quand même une assez belle chose. Éphémère. Sans rapport avec la Commune. Je l’ai photographiée plusieurs fois et, chaque fois, j’ai eu des commentaires des passants qui, clairement, sont fiers qu’on vienne la photographier. Par amour pour les quartiers populaires et respect pour les rues déshéritées, j’ai utilisé une de ces photos pour en faire la couverture de cet article. Rue Haxo, un pompier monte sur sa grande échelle pour sauver un chat coincé sur… le pont des Soupirs. Voici un détail.

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Merci à Gilles Godefroy pour son intérêt et son aide.

Livre utilisé

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).