La souscription au profit des familles des grévistes et des détenus politiques se poursuit.

Henri R…, qui est toujours à Sainte-Pélagie (il finirait ses six mois le 7 août, mais il est réincarcéré pour une autre affaire et pour — théoriquement — quatre mois supplémentaires sans quitter la prison), ne semble pas d’accord avec le « pas de politique » énoncé par Arnould hier. Je reproduis son éditorial ci-dessous.

Jean-Louis Pindy (qui est un des condamnés du procès de l’Association internationale) et Auguste Harlé (qui vient d’être entendu par un juge d’instruction) informent le journal de « Nouvelles poursuites contre l’Internationale », à Lyon et à Paris.

Les « ouvriers allemands », c’est-à-dire l’Association internationale à Berlin, répondent au manifeste contre la guerre de l’Association internationale à Paris (celui que j’ai reproduit dans un article récent).

Il y a d’autres protestations contre la guerre, il y a des nouvelles internationales (Ulric de Fonvielle est toujours dans les parages), les nouvelles de la guerre sont toutes copiées dans d’autres journaux (prudence…).

Il y a le mouvement social, réunions ouvrières interdites à Lyon, nouvelles des ouvriers de Lille — je ne l’ai pas écrit sur ce blog, mais Eugène Varlin,

l’un des plus énergiques apôtres du progrès social à Paris

(écrit Verdure) a fait des « conférences » à Lille, à la suite desquelles des ouvriers ont essayé de s’organiser, et en demandèrent gentiment l’autorisation… Verdure résume la réponse du maire de Lille à leurs demandes ainsi:

voilà ce qui s’appelle parler pour ne rien dire

Il y a des communications ouvrières, des « Échos » (maintenant signés « Le citoyen COQUELICOT »), des correspondances de Raoul Rigault et de Germain Casse (lui aussi un des condamnés du procès de l’Association internationale) depuis Blois, puis le compte rendu analytique du procès (de Blois) et celui du Corps législatif.

La parole au citoyen Rochefort:

Nous avons tenté une épreuve: elle a brillamment réussi. Le ministère, qui a été si souvent qualifié qu’il en est devenu inqualifiable, s’est gardé de faire saisir la Marseillaise d’hier, laquelle ne contenait pas un mot de politique. Il s’accommoderait parfaitement d’un état de choses qui ferait de notre feuille une succursale du Petit Journal, et qui mettrait, en même temps, cinq mille francs de timbre par jour dans les coffres de l’État.

Non, messieurs, ce serait trop beau. Rendez-nous d’abord les cinq cent mille francs que nous avons déjà versés pour avoir la faculté de parler politique et nous verrons après. Nous vous achetons le droit de discuter vos actes, moyennant un prix tellement exorbitant que vous nous avez promis que, dans une trentaine d’années d’ici, si aucun événement ne survenait, il serait réduit d’un centime.

Pour tout le monde, vous pouvez être de grands ministres; pour nous, vous êtes de simples négociants. Quand j’entre chez un fruitier et que je lui dis:

Voici quarante centimes, donnez-moi deux abricots à quatre sous la pièce [un sou = cinq centimes, le compte est bon],

le fruitier prend mes quarante centimes, et me livre deux abricots.

Quand nous entrons dans vos bureaux pour vous dire:

Veuillez nous vendre le droit de parler politique dans la Marseillaise, combien est-ce?

Et que vous nous répondez:

Messieurs, c’est cinquante mille francs de cautionnement et un million par an si vous tirez à cinquante mille numéros.

Vous êtes absolument tenus de nous livrer, contre notre argent, le droit en question. Mais palper le million annuel, et nous interdire l’usage de la marchandise que nous vous avons payée, ce serait vraiment là un libre-échange, qu’un cabinet, composé de gens aussi honnêtes, ne peut accepter.

Lorsque notre employé est allé ce matin verser l’effroyable somme que nous coûte le timbre, j’ai cru naïvement que l’État allait nous répondre fièrement:

Gardez votre or. Puisque vous avez résolu de ne plus faire de politique, nous ne pouvons décidément le recevoir.

Ah! bien oui! le commis chargé de l’opération de l’empochement s’est précipité sur cette proie avec une rage fébrile. Il paraît que voir cet homme étouffer nos malheureux billets de banque était un spectacle réellement grandiose.

Dans ces conditions, ce serait vous faire injure que de vous continuer gratis des versements qui ne seraient plus de notre part que des aumônes. Du moment où vous continuez à toucher, nous ne pouvons continuer à nous taire. Nous recommencerons donc à jouir, dès aujourd’hui, de la marchandise qu’on nous vend si cher, c’est-à-dire de l’autorisation de parler des affaires de notre pays.

Je vais même, afin que vous n’en ignoriez, finir cette déclaration par un conseil beaucoup plus politique que vous ne le croirez peut-être: ce conseil, c’est de faire démentir au plus tôt la nouvelle évidemment fausse où vos serviteurs annoncent que l’empereur, commandant en chef de l’armée, ne se rendra à son camp que lorsque les hostilités seront commencées.

Il faut la démentir, parce que la première idée qui vient à la lecture de cette annonce est celle-ci:

Puisque l’empereur est commandant en chef, lui seul peut ordonner de commencer les hostilités, et s’il attend qu’elles soient commencées pour se rendre à son camp, elles ne commenceront donc jamais?

Vous voyez que la rentrée de la Marseillaise dans la vie politique est une bonne fortune pour vous, puisqu’elle débute par un avis qui peut vous sauver du ridicule.

HENRI R…..

Pour copie conforme:

Le gérant: BEURDELEY

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L’empereur a fini par arriver à Metz (le 28 juillet), comme le montre cette estampe de Smeeton (d’après un croquis de Gaildrau), parue dans l’Illustration et pour une fois (ce journal se vend) trouvée sur Gallica, là.

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Le journal complet se trouve ici (cliquer).