La république est proclamée le 4 septembre, et La Marseillaise, c’est reparti?

Juste un numéro, isolé, sans suite semble-t-il, et plutôt rare. Il y en a au moins un exemplaire à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris — mais je n’en vois pas dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France.

Il porte le numéro 1, il est daté du 9 septembre — donc, selon l’usage, paru le 8 (et écrit le 7). Le secrétaire de rédaction est Eugène Mourot, le gérant Barberet, c’est bien La Marseillaise. Toute la une paraît sous le gros titre

Vive la République démocratique et sociale.

Rochefort n’est pourtant pas le rédacteur en chef, mais il adoube Paschal Grousset, tout en haut de la une, en ces termes:

Mon cher ami,

Vous comprendrez que tant que je ferai partie du Gouvernement provisoire je ne pourrai prendre aucune part à la rédaction de la Marseillaise.

Veuillez vous entendre avec nos collaborateurs pour assurer la réapparition du journal; après quoi vous vous lancerez dans la polémique sous le titre avec lequel nous avons combattu ensemble.

Tout à vous

H. Rochefort

Eh oui! Rochefort fait partie du provisoire gouvernement surgi de nulle part qui s’est donné le pouvoir le 4 septembre. Aucun doute, on l’a mis là pour le faire taire. Et ça marche.

Le titre de l’éditorial de Paschal Grousset, « Trois jours perdus », est sans ambiguïté.

Voici un rapide sommaire de ce qui suit dans ce numéro, après Rochefort et Grousset:

  • Nouvelles de la guerre
  • circulaire du citoyen J. Favre [il est ministre de la guerre] suivie d’un commentaire d’Ulric de Fonvielle
  • actes officiels, en particulier des nominations
  • la municipalité de Paris, par Arthur de Fonvielle
  • Cluseret qui traitera les questions militaires dans le journal, écrit à la rédaction
  • la trahison, par Olivier Pain
  • Informations
  • la réaction, par Cluseret [qui s’en prend à Gambetta: l’ex-candidat du peuple à Belleville a commencé à donner des gages à ses nouveaux alliés en publiant un décret qui exclut le peuple de la garde nationale]
  • les ouvriers de Paris devant l’invasion, par B. Malon [qui nous annonce la création de comités qui vont mener au comité central des vingt arrondissements] [Pas de doute, nos amis de l’Association internationale des travailleurs sont sortis de prison (voir un article récent)]
  • pas de générosité, par Antonin Poulet
  • bataille de Sedan, par Eugène Mourot
  • on lit dans Le Temps (Sedan)
  • le garde mobile, par Cluseret
  • Association internationale des travailleurs, Au peuple allemand [aucun des condamnés du procès de juillet parmi les signataires, le texte a dû être écrit avant leur arrivée à Paris, voir aussi le texte de Malon, ci-dessous]
  • où est Mégy?
  • les appartements de M. Haussmann [dont Jules Ferry prend possession]
  • bouches inutiles, par Ed. Bazire [non, les femmes ne sont pas inutiles, elles peuvent faire à manger et soigner les blessés]
  • des jeunes! des jeunes!, par Barberet [pourquoi tant de vieux de 48 au pouvoir?]
  • les journaux, par Ed. Bazire
  • la fin d’un empereur (un article du Soir)
  • chambre fédérale des sociétés ouvrières et de l’administration [sic] internationale des travailleurs
  • pétition pour qu’aucun fonctionnaire ne gagne plus de 3000 francs par an
  • organisation d’un corps national sédentaire franc
  • un nouvel engin de guerre, par l’ingénieur Balby
  • réunions publiques, enterrement civil
  • tribunaux (un article du Réveil)
  • les derniers champs de bataille
  • grande publicité pour « les Châtiments »

dont aucun lecteur de ce site ne s’étonnera que je garde les trois que voici.

Trois jours perdus

La Marseillaise s’était promis de ne reparaître qu’au jour où le chant sacré dont elle a pris le titre serait redevenu l’hymne du peuple souverain et non plus le mot d’ordre des policiers de l’empire.

Elle s’est tenu parole, et maintenant que le bonapartisme s’est effondré dans la fange qui l’avait produit, elle reparaît.

Elle reparaît pour défendre de tout son cœur, de toutes ses forces, cette République conquise au prix de tant de sang et de douloureux sacrifices.

Il a toujours été d’usage, dans ce journal, de parler franchement. Nous le dirons donc sans hésiter: le gouvernement qui a pris possession de l’Hôtel de Ville n’est pas celui que nous avions rêvé.

La plupart de ceux qui le composent sont, à bon droit, plus que suspects à la démocratie socialiste.

Les uns ont déjà joué un rôle funeste dans les conseils de la République, en 1848; d’autres ont eu un rôle criminel dans les luttes civiles de la même époque; d’autres enfin, arrivés plus tard dans l’arène politique, et investis du mandat de rendre au peuple sa souveraineté perdue, ont plus souvent oublié que servi ce mandat.

Un seul nom, parmi ceux qui figurent depuis trois jours au bas des actes du gouvernement, personnifie pleinement nos aspirations politiques et sociales; pour le dire en passant, ce nom est précisément le seul qui ait été porté au pouvoir par l’acclamation populaire, alors que les autres étaient seulement acceptés.

Mais nous sentons trop profondément les nécessités de la situation présente pour nous montrer difficiles sur les hommes qui ont assumé la responsabilité terrible de guider la France à la victoire.

Nous sommes tout prêts à immoler nos sentiments personnels et nos divergences d’opinions sur l’autel du salut public. Nous voulons oublier. Nous voulons voir dans le gouvernement du 4 septembre, non un conseil politique, mais uniquement un conseil de guerre. Nous sommes décidés à juger ceux qui siègent à l’Hôtel de Ville, non sur le passé de la plupart d’entre eux, mais sur leurs actes présents.

Des actes! Des actes! Voilà seulement ce que nous leur demandons.

Il nous est bien permis de le constater avec douleur: le nouveau gouvernement n’en a pas encore produit.

En trois jours, et dans des circonstances bien autrement pressantes, il a moins fait que le gouvernement du 24 février [1848] dans le même laps de temps.

Il a pris la suite des affaires et succédé, comme un ministère succède à un ministère, au gouvernement Palikao-Trochu; il a fait de l’administration, nommé quelques préfets et toute une légion de secrétaires; il n’a pas agi.

Or, il faut qu’il le sache: c’est pour agir qu’il est au pouvoir.

Paris ne s’est pas levé unanimement le 4 septembre pour changer les noms des choses et des hommes; il s’est levé pour faire une révolution profonde et radicale, parce qu’un sentiment instinctif avait passé dans son âme et lui avait fait voir clairement ceci:

Le salut public ne peut être que dans la Révolution!

Par révolution, entendez tout ce qui est spontané, rapide, électrique, grand, fort, terrible, irrésistible.

Levée en masse et armement de tous les citoyens; ordre de fabriquer des armes dans tous les ateliers qui peuvent être appropriés à cet usage, ordre de faire des balles avec tout le plomb et de la poudre avec tout le salpêtre; tous les hommes s’exerçant sur les places, toutes les femmes fabriquant des cartouches; appels chaleureux à tous les peuples libres; le sentiment national exaspéré et déchaîné; la pensée de la France montant en paroles ardentes aux lèvres de ses chefs… Voilà ce que le peuple attendait du Gouvernement du 4 septembre; voilà dans quel espoir il l’a laissé s’établir.

Cet espoir sera-t-il rempli?

Nous le désirons ardemment. Mais il faut bien le dire:

Il y a déjà trois jours de perdus.

PASCHAL GROUSSET

*

Les ouvriers de Paris devant l’Invasion

Dans ce moment de formidables épreuves, les ouvriers ont compris que les dissidences doivent s’effacer devant le danger de la Patrie.

Partout ils agissent organisant des réunions publiques pour la défense nationale, se jetant dans la municipalité pour presser l’armement, mettant à l’ordre du jour toutes les mesures urgentes, s’incorporant soit dans la garde nationale, soit dans les volontaires, soit dans la mobile. Il n’y a qu’un seul cri: Des armes! C’est qu’en effet l’heure des grandes résolutions, des grands actes a sonné. La France trahie, accablée, a besoin des dévouements héroïques. La capitale de la Révolution, la ville sainte des peuples est menacée, tous ceux qui sont appelés à l’honneur de défendre Paris doivent avoir fait un pacte avec la mort.

L’Internationale et les sociétés ouvrières sont en permanence place de la Corderie. Elles envoient ce soir des délégués en province pour afficher avant le passage des Prussiens une traduction allemande de leur manifeste au peuple allemand [cette affiche en allemand porte la date du 6 septembre et, outre ceux des signataires de l’appel en français, les noms de Malon, Varlin et Frankel]. Dès hier matin, elles avaient fait afficher la résolution prise dans la réunion de la rue Aumaire, de pousser à l’organisation des commissions de vigilance dans tous les quartiers. La commission du 15e arrondissement a été nommée hier, dans une réunion de la rue Cornivet [?]; celle du 2e va être nommée ce soir dans la réunion de la rue du Sentier; celle du 17e, demain à la réunion de la rue Berséliers [Berzélius]… Chaque commission se compose de 25 membres dont quatre sont délégués au comité central qui siège provisoirement place de la Corderie.

Dans ce moment suprême nous avons deux grands devoirs, surveiller la réaction au-dedans et défendre Paris, nous n’y faiblirons pas.

B. MALON

*

Chambre fédérale des sociétés ouvrières et de l’association internationale des travailleurs

Rapport du citoyen Murat au nom de la commission nommée par l’assemblée du 4 septembre, et chargée de présenter au Gouvernement provisoire la résolution votée dans cette séance, à 10 heures du soir.

Considérant que la proclamation de la République doit avoir pour effet de supprimer toute institution d’essence monarchique, invite le Gouvernement provisoire à décréter immédiatement les mesures suivantes:

1° Elections municipales du département de la Seine, immédiatement, au scrutin de liste et par arrondissement;

2° Restitution complète aux citoyens de Paris du soin de leur propre sécurité, par la suppression de la préfecture de police actuelle, de la garde municipale; par l’organisation de la police municipale.

3° Suppression de toutes les lois préventives, fiscales ou répressives de la liberté de la presse, de l’imprimerie et des droits de réunion et d’association.

4° Annulation complète de tous jugements, arrêts et poursuites ayant un caractère politique. Sont considérées comme telles les condamnations encourues à propos des troubles, ou prononcées par des tribunaux exceptionnels.

5° Armement immédiat de tous les Français, sans exception, et organisation de la levée en masse.

Sur tous ces points, les vues du Gouvernement provisoire ont été d’accord avec vos résolutions.

L’une d’elles, celle relative à l’annulation des jugements était déjà prise et publiée au Journal Officiel.

Les autres le seront aussitôt que les soins de l’organisation de la défense lui en laisseront le temps.

L’avant-garde prussienne est à Laon; le point central est donc la résistance à l’invasion, mais le Gouvernement nous a assuré que toutes les résolutions présentées en votre nom étaient arrêtées dans son esprit et seraient formulées en lois d’ici peu de jours.

En conséquence sans perdre de vue la réalisation des principes ci-dessus exposés; en présence des obligations qu’impose à chacun de nous l’invasion de la France, nous vous proposons d’ajourner momentanément nos revendications et d’accorder au gouvernement le temps absolument nécessaire pour les transformer en lois.

La commission: Murat, Landrin (Léon), Gense [Jance?], Hamet, Schneider, G. Durand, Jouhannard [Johannard].

Les conclusions du rapport ont été adoptées à l’unanimité par l’assemblée du 5 septembre.

Président Theis [Theisz], Vice-président Camélinat, Secrétaire A. Clémence

*

L’image de la proclamation de la République le 4 septembre 1870 est parue dans Le Monde illustré le 10 septembre 1870. On la trouve sur Gallica, là.