L’ « autre » journal dont il est question lors de la réunion du conseil fédéral de l’Association internationale dont j’ai rendu compte dans un article précédent, c’est La République des travailleurs. C’est un grand journal (six colonnes) qui paraît sur deux pages.

Il en est paru six numéros, datés, de façon légèrement incohérente,

  • mercredi 10 janvier 1871,
  • du 15 au 22 janvier 1871,
  • du 22 au 29 janvier 1871,
  • du 29 janvier au 5 février 1871,
  • vendredi 3 février 1871 (15 pluviôse an 79),
  • samedi 4 février 1871 (15 pluviôse an 79).

Les numéros 1, 2, 3, 4, 6 portent la mention « Journal hebdomadaire », le n°5 est « Journal quotidien ».

Bref, un hebdomadaire qui meurt de tenter de devenir quotidien.

Le sous titre est « Organe de l’Association internationale (sections des Batignolles et des Ternes) ». Et elle contient les deux cartouches annoncés par Buisson lors de la réunion du 5 janvier (voir notre article). Si La Lutte à outrance préexiste à la demande de l’Association internationale, ce n’est pas le cas de La République des travailleurs, qui s’inscrit à la fois dans cette demande et dans la légitimité des sections du dix-septième arrondissement. Je laisse les lecteurs relire la discussion du 5 janvier: il semble que c’est le journal que souhaitait, en particulier, Eugène Varlin qui, depuis le siège, vit dans le dix-septième arrondissement. Il faut aussi signaler que Benoît Malon a été élu, le 5 novembre précédent, adjoint au maire de l’arrondissement.

Les dissensions entre les sections de l’Association internationale qui apparaissent dans le choix du journal mériteraient un (autre) article.

Concentrons-nous sur le journal lui-même. Il commence par annoncer « Notre programme », sous les signatures de

André Léo, Berteault [le premier secrétaire de la rédaction], F[erdinand] Buisson, Chalain, Chaté, Coupry [ou Coupery?], Davoust, Dianoux, Dory, Huet, Paul Lanjalley [secrétaire de la rédaction], Benoît Malon, Mangold, Élie Reclus, Élisée Reclus, Aristide Rey, [Joanny] Rama, Sévin.

Pour le dire brièvement, un groupe d’amis autour d’André Léo, ce qui est confirmé par la liste des auteurs des articles signés,

Benjamin Buisson ou B. B. (3), Ferdinand Buisson (1), L. C. [?] (1), J. Coupry (1), Henri Goullé (1), Robert Halt (3), André Léo, A.L., ou même L. Chamseix [sic] (13), Benoît Malon (6), Isaure Périer (1), Joanny Rama ou R (5), Élisée Reclus (4), Aristide Rey (3), Salmon [?] (1).

Actualité oblige, le journal est centré sur la situation politique, voire militaire, sur le problème de la nourriture et du rationnement. Les articles de Benoît Malon continuent la série théorique publiée par La Marseillaise (et interrompue en juillet…). L’éducation tient son rôle elle aussi. Les lecteurs de La Marseillaise et amateurs d’articles d’Eugène Varlin sur la vie ouvrière trouveront certainement comme moi que la coloration « Association internationale », malgré les titres, est assez pâle. Il est vrai que l’activité économique est arrêtée par la guerre et le siège.

Pour terminer, je reproduis un extrait (une fois n’est pas coutume) d’un article d’Élisée Reclus, consacré à la journée du 22 janvier: il y a peu de comptes rendus immédiats de cette journée. C’est dans le numéro 4. Je vous laisse gloser sur le vieux mot « terrifique », qui, sous cette plume et en ce temps, veut bien dire « effrayant ».

[…] La garde nationale, que les partisans de la paix à tout prix auraient tant aimé à voir lâcher pied, s’était admirablement conduite à Montretout et à Buzenval, et l’on avait à craindre qu’elle s’opposât de toutes ses forces à la reddition, par le vote et même par les armes. Il importait donc de la tromper, de la diviser et de la réduire ainsi à l’impuissance, pour donner au gouvernement toute liberté d’agir.

C’est là ce qui a été fait. Dans la nuit du 21 au 22 janvier, le terrifique Flourens est arraché mystérieusement de la forteresse de Mazas et Clément Thomas se hâte d’annoncer la nouvelle aux honnêtes gens épouvantés. En même temps, le général Vinoy, sénateur de l’empire, devient à la place de Trochu généralissime de l’armée de Paris et lance une proclamation à double effet, annonçant à la fois la fin de la guerre contre les Prussiens et l’énergique répression des hommes de désordre. Le parc d’artillerie de la garde nationale est gardé à vue, l’Hôtel de Ville et les casernes avoisinantes sont remplis de troupes sûres, aux chassepots bien chargés de cartouches. Les membres du gouvernement de la défense sont absents du palais, où ils ne sont représentés que par M. Chaudey et d’autres comparses subalternes. Une compagnie de gardes nationaux qui se présente sur la place est accueillie par une fusillade partie des fenêtres de l’Hôtel de Ville. Hourrah! M. Trochu a gagné sa première bataille, mais ce sont des corps français qui sont étendus dans leur sang. Immédiatement après, les troupes occupent toutes les grands avenues de Paris, toutes les places de Paris; les canons et les mitrailleuses qui manquaient à Montretout sont braqués sur les ponts. C’est ainsi que fut ajouté un petit feuillet sanglant à la « page si pure » dont parle poétiquement M. Jules Ferry.

La fusillade aidant, le grand parti de l’ordre s’est enfin rassuré, et dès le lendemain l’ignoble mot de capitulation s’étale dans les journaux « honnêtes ». […]

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Les six numéros de La République des travailleurs sont en ligne, cliquer ici. Certains articles ont été ressaisis, on les trouve en cliquant sur leurs titres dans les sommaires.