Après le plébiscite de mai 1870, le troisième procès de l’Internationale, la déclaration de guerre, pendant le siège de Paris, les sections parisiennes de l’Association internationale des travailleurs cherchent un journal. La période est difficile pour l’Association internationale, qui a du mal à retrouver l’audience qu’elle avait en 1869. Un an après, le temps de La Marseillaise est bien révolu. 

Pourtant, clubs, comités d’arrondissements, comités de vigilance se forment, se réunissent, formulent des revendications, forment le Comité central des vingt arrondissements, ce dont l’Association est partie prenante et souvent moteur, au risque de s’épuiser.

Les dissensions politiques sont grandes, même à l’intérieur de l’Association.

Je reproduis ici un moment du débat et, dans les deux articles suivants, je décris les deux journaux dont il est question, La Lutte à outrance et La République des travailleurs, dont nous avons acquis des reproductions à la Bibliothèque nationale de France et qui sont mis en ligne sur le site archivesautonomies.org et plus précisément sur cette page. On y trouve aussi des sommaires (et certains articles ressaisis) des numéros de ces deux journaux.

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En décembre, une commission du conseil fédéral (la fédération des sections parisiennes) étudie la question de fonder un journal. Un document conservé aux Archives de la préfecture de police fait état d’un projet présenté par Marc-Amédée Gromier, et refusé le 18 décembre par la commission, alors composée de Henri Bachruch, Leo Frankel, Eugène Varlin, François Mangold, Jules Franquin et Jean-Baptiste Noro.

La composition de la commission se modifie légèrement, sans doute parce que tel ou tel de ses membres est aux remparts avec son bataillon. Elle est ensuite formée de Henri Bachruch, Leo Frankel, Henri Goullé, A. Boudet et Eugène Varlin. De cette étape, il nous reste un brouillon de lettre (daté du 25 décembre).

Une réunion du conseil fédéral se tient le 5 janvier, elle est présidée par Jules Franquin, Eugène Varlin est assesseur, le secrétaire est Henri Goullé. Plusieurs sections sont représentées. [J’utilise le code couleur bleu = moi, noir = eux.]

Varlin communique que la section des Batignolles a donné les fonds pour quatre numéros d’un journal qu’elle doit fonder immédiatement elle-même. [Il s’agit de La République des travailleurs]

Buisson [Je pense qu’il s’agit de Benjamin Buisson, mais il s’agit peut-être de son frère Ferdinand Buisson]délégué par la section des Batignolles pour le journal. — La section des Batignolles est en mesure de faire paraître immédiatement un journal de petit format. Elle a en main les fonds assurés pour quatre à six numéros, elle désire paraître immédiatement, elle pense que les circonstances rendent urgent d’avoir un organe sans aucun retard. Le conseil fédéral pourrait prendre connaissance de la rédaction du premier numéro, et nommer deux délégués qui reconnaîtraient si le journal est bien dans l’esprit de l’association et s’il peut prendre pour sous-titre cette inscription: ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS, et dans deux cartouches latéraux les devises: PAS DE DEVOIRS SANS DROITS et ÉMANCIPATION DES TRAVAILLEURS PAR LES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES. Si plus tard le conseil fédéral fait paraître un organe, le journal de la section des Batignolles fera fusion et acceptera le titre et la rédaction que le conseil fédéral aura choisis.

Lacord [Émile Lacord] s’étonne que le conseil fédéral se mette en rapport avec le journal que veut fonder la section des Batignolles, quand il a repoussé la Lutte à outrance, qui se vend fort bien et qui a conquis une place sérieuse. Il y a là un danger, c’est d’INDIQUER AU PUBLIC LA DÉSUNION QUI EXISTE AU SEIN DE L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS.

Varlin. La Lutte à outrance est un journal essentiellement militant et politique, et le conseil fédéral désire un journal bien à lui, à lui seul, propagateur de l’esprit de l’Association, et dont la rédaction sera dans sa main.

Lacord. La Lutte à outrance a un titre approprié à un élément de lutte, destiné à combattre corps à corps avec les privilèges dressés contre les travailleurs et à être un journal qui, aussitôt après la guerre, sera exclusivement consacré à la question du travail. Nous vous avions offert de changer selon vos appréciations le titre, le sous-titre, vous réservant la place primordiale dans nos colonnes. Je crains que vous ne traciez des limites trop étroites au rédacteur en chef de votre organe; il y a là un danger que vous apprécierez plus tard. Je vous avais offert un rapprochement entre les internationaux de l’École de médecine [il s’agit des membres du club de ce nom, pas de médecins] et vous pour s’unir sur cette question.

Frankel. La question n’est pas nettement posée; il faut examiner seulement que le conseil fédéral doit avoir un organe qui soit son porte-parole, et je pense qu’il est triste de voir que deux sections ont chacune les moyens de se créer un organe et que l’Internationale, avec toutes ses autres sections réunies, ne puisse tout entière trouver assez de force pour créer un organe général.

[…]

Lacord. Nous pourrions nommer des délégués qui seraient chargés d’examiner les forces de la Lutte à outrance et de la section des Batignolles pour les combiner ensemble.

Boudet. Il nous faut un organe à nous, bien à nous; combinons nos fonds et ne perdons pas de temps. On nous offre les concours réunis de la Lutte à outrance et de la section des Batignolles, acceptons et paraissons.

[…]

Camélinat. Si nous n’avons pas entre les mains les moyens de réussir pleinement préparés, il vaut mieux laisser une section s’engager sur le terrain glissant du journalisme. Il serait très-grave de faire au nom du conseil fédéral un journal exposé à périr faute d’éléments de vie. Un tel échec est redoutable, car il peut nous discréditer dans l’opinion publique.

Frankel. Il nous faut un journal du conseil fédéral; si les associés ne comprennent pas qu’il est de leur devoir de le soutenir haut et ferme, il faudra désespérer de l’avenir de la société internationale française.

Lacord. Il nous faut un organe qui se dresse en face des grands journaux de la bourgeoisie, qui ait sa vie propre et qui combatte en notre nom. Il nous faut un rédacteur rompu de longue date à la lutte politique, qui ne fasse pas d’école qui enlèverait de la force à notre organe. La rédaction de la Lutte à outrance vous offre un essai de trois ou de six mois pour que vous jugiez si la ligne que vous aurez tracée aura été suivie. La rédaction gratuite pendant trois ou six mois sera payée après ce temps d’essai, si vous approuvez la rédaction. Vous changerez cette rédaction à cette époque et même du jour au lendemain si vous en reconnaissez la nécessité.

[…]

Une commission est nommée pour délibérer avec les rédactions des deux journaux. Lors de la réunion suivante, le 12 janvier, le conseil fédéral acceptera de faire paraître une partie séparée dans La Lutte à outrance. Voir, donc, l’article suivant.

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Le brouillon de lettre, daté du 25 décembre 1870, vient du musée Carnavalet, et plus précisément d’ici

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Cette série de trois articles est due à la collaboration de Jean-Pierre Bonnet, Yves C. et MA.

Livre utilisé

Les séances officielles de l’Internationale à Paris pendant le siège et pendant la Commune, Lachaud (1872).