Un des articles les plus visités de site est Édouard Manet et la Commune. J’en suis assez contente: c’est un article que j’ai pris plaisir à écrire, avec de la rigueur et des sources. Bien entendu, les lecteurs ne savent rien a priori de la qualité de l’article quand ils arrivent dessus. Je pense que c’est « Célébrité et la Commune » qui les amène là.

Je rêve donc parfois d’autres articles à succès, « Johnny et la Commune », par exemple (mais je n’ai pas encore trouvé de sources fiables…).

Et voilà que je tombe, par hasard, dans une bibliothèque municipale, dans le rayon « Histoire de la Troisième République » que je fréquente assez assidument, sur un livre tout neuf. Surprise:

Auteur: Émile Zola

Titre: La Commune, 1871

Ha!

C’est un recueil d’articles, parus dans La Cloche (de Paris) et Le Sémaphore de Marseille au printemps 1871. Dans lequel je lis la phrase la plus odieuse que j’ai jamais lue sur les communards (et pourtant, j’en ai lu beaucoup!). Accrochez-vous bien. Nous sommes juste après la Semaine sanglante, des milliers de cadavres jonchent les rues de Paris:

… les bandits vont empester la grande cité de leurs cadavres — jusque dans leur pourriture ces misérables nous feront du mal…

L’occasion d’écrire un « Émile Zola et la Commune » toute trouvée!

Je me suis donc mise à chercher de la documentation.

Pour commencer, « mon » titre était déjà pris.

Émile Zola et la Commune est le titre d’un livre récent (un autre livre récent), que je suis allée lire dans une bibliothèque un peu moins municipale (et beaucoup plus nationale). C’est un travail universitaire (savant) signé David Charles, qui y étudie plutôt les effets de la Commune sur les romans que Zola finissait/écrivait/commençait au printemps 1871 (dans le même ordre La fortune des Rougon/La curée/Le ventre de Paris). C’est beaucoup plus intéressant (et original) que le discours habituel — la Commune n’apparaît, explicitement, dans l’œuvre de Zola, que dans la nouvelle Jacques Damour, parue en 1884, et dans la dernière partie de La débâcle, avant-dernier des Rougon-Macquart, qui est paru en 1892. Longtemps après, donc. Voici une citation extraite de La débâcle. Zola parle de l’armée versaillaise:

C’était la partie saine de la France, la raisonnable, la pondérée, la paysanne, celle qui était restée le plus près de la terre, qui supprimait la partie folle, exaspérée, gâtée par l’Empire, détraquée de rêveries et de jouissances; et il lui avait fallu couper dans sa chair même, avec un arrachement de tout l’être, sans savoir trop ce qu’elle faisait. Mais le bain de sang était nécessaire, l’abominable holocauste, le sacrifice vivant, au milieu du feu purificateur.

Peu d’évolution, donc, entre 1871 et 1892…

Le livre de David Charles est un travail universitaire très intéressant, mais un peu pointu pour ce site. Vous savez que ça existe, je n’en dis pas plus.

Un de mes amis, à qui je signalais la « pourriture » de ces « misérables » m’a répondu: « mais, quand même, il y a Germinal« . Ah, oui, Germinal. Eh bien, parlons-en, de Germinal. Brièvement. Juste une petite citation, restant dans le contexte de la Commune et de cet article:

C’était la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait des têtes, il sèmerait l’or des coffres éventrés. Les femmes hurleraient, les hommes auraient des mâchoires de loups, ouvertes pour mordre. Oui, ce seraient les mêmes guenilles, le même tonnerre de gros sabots, la même cohue effroyable, de peau sale, d’haleine empestée, balayant le vieux monde sous leur poussée débordante de barbares. Des incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout une pierre des villes, on retournerait à la vie sauvage dans les bois, après le grand rut, la grande ripaille, où les pauvres, en une nuit, efflanqueraient les femmes et videraient les caves des riches. Il n’y aurait plus rien, plus un sou des fortunes, plus un titre des situations acquises, jusqu’au jour où une nouvelle terre repousserait peut-être.

Une excellente occasion de recommander la lecture de l’excellent et toujours jeune livre de Paule Lejeune sur Germinal. Un roman « anti-peuple », dit très justement Paule Lejeune.

Mais revenons aux articles de Zola, ceux du petit livre La Commune, 1871. Ils ont déjà été publiés, par les mêmes auteures — et par le même éditeur — dans le tome 4 de l’édition du Nouveau monde des Œuvres complètes de Zola en 2003. En réalité, le « nouveau » livre est simplement un extrait de celui d’il y a quinze ans.

Puisque « mon » titre est pris, j’en choisis un autre, qui s’inspire de celui du beau livre de Paul Lidsky, Les écrivains contre la Commune. Zola y est beaucoup cité, bien sûr, mais pas l’odieuse phrase ci-dessus…

Comme le signale Paule Lejeune dans le livre mentionné, Émile Zola donnait, depuis les années 1860, des articles à « n’importe quel journal ». En 1871, il a écrit des comptes rendus parlementaires, d’abord de Bordeaux puis, quand l’Assemblée s’est déplacée à Versailles, de Versailles, pour La Cloche. Il habitait à Paris et a eu parfois du mal à se rendre à Versailles pendant la Commune. Il a cessé de signer ses articles. Puis, le 18 avril, La Cloche a été suspendue (suspendre la cloche, ça s’imposait…).

Zola a alors proposé des articles « de Paris » au Sémaphore de Marseille, auquel il avait déjà collaboré. C’était un journal réactionnaire, beaucoup plus réactionnaire que La Cloche, qui était au moins républicain. Comme le disent les éditrices (Patricia Carles et Béatrice Desgranges) de ces lettres, dans le volume 4 des Œuvres complètes — et (forcément) dans le petit livre,

On éprouve un vrai malaise à lire ces articles du Sémaphore. Les pressions, réelles, du journal, ne suffisent pas à expliquer leur violence.

Zola n’a pas signé ces articles. Ils sont datés de Paris, mais Zola a quitté la ville le 10 mai et n’est revenu que le 28 ou le 29 mai. Un informateur lui envoyait à Bonnières (au bord de la Seine) le contenu de ce que lui-même envoyait à Marseille.

Des articles de seconde main… Et, non, certainement pas « une chronique de premier plan sur cette période fondamentale de l’histoire, symbole du soulèvement contre la bourgeoisie », comme le dit un argumentaire de l’éditeur, à croire que l’auteur de cet argumentaire n’a pas lu le livre…

Pas du témoignage, donc! Loin de là! Peut-être de la littérature? Zola voulait-il donner des garanties? Il n’a pas eu beaucoup de succès dans cette direction, voyez, peu après la Commune, Le Constitutionnel du 8 novembre 1871:

M. Zola écrivait dans la Cloche un roman intitulée [sic] la Curée. Il est contraint d’en cesser la publication, le procureur de la République lui en ayant signalé l’immoralité.

En littérature, M. Zola appartient à la bande de Vallès, qui se croit réaliste et n’est que malpropre. On sait ce qu’a produit en politique cette école, mère de la Commune.

Rassurez-vous, la description des ouvriers, ivrognes et à la sexualité débridée, comme on sait, émoustillera les bourgeois en les rassurant, et fera le succès de ses romans suivants, dès L’Assommoir en 1876.

La mention de « la bande de Vallès » me fait penser que je ne crois pas avoir vu, dans Émile Zola et la Commune, où David Charles indique cette critique, mention de la collaboration (rare) d’Émile Zola à La Rue de Vallès et de 1867 (un article pas vraiment génial, mais sans aucun doute meilleur que ceux du Sémaphore…).

*

La caricature par André Gill de Zola et de son Pot-Bouille est parue à la une de La Nouvelle lune, le 23 avril 1882, on la trouve donc sur Gallica, là.

Livres cités

Zola (Émile)La Commune 1871, présentation de Patricia Carles et Béatrice Desgranges, Nouveau monde (2018).

Charles (David), Émile Zola et la Commune de Paris, Garnier (2017).

Zola (Émile), Œuvres complètes, vol.4, La guerre et la Commune, Nouveau monde (2003).

Lejeune (Paule)Germinal, un roman anti-peuple, Nizet (1978).

Lidsky (Paul)Les écrivains contre la Commune, Paris, Maspero (1970), La Découverte (2010).

Zola (Émile), Jacques Damour (in Naïs Micoulin), Chaprpentier (1884), — La Débâcle, Charpentier et Fasquelle (1892).