Louis Varlin, qui était emprisonné sur un ponton dans la rade de Brest (lettres de l’article précédent), en a été extrait pour passer devant le conseil de guerre à Saint-Germain-en-Laye (voir l’article sur son passage en conseil de guerre) au mois d’avril 1872. Il y est encore en juillet.
St-Germain-en-Laye, le 9 Juillet 72
Ma bonne Mère
Je voudrais bien recevoir de tes nouvelles, d’Amélie, d’Hippolyte, de tout le monde et savoir si vous avez reçu ma dernière lettre, car étant ici hors du droit commun, je ne puis savoir ce qu’est la poste à notre égard, et je ne puis savoir si vous recevez mes lettres que par votre réponse, aussi je te prie, dans les lettres que vous pourrez m’écrire de m’annoncer le reçu de mes lettres avec leurs dates. Je sais bien aussi que par le beau temps qu’il fait dehors, vous devez tous être très occupés, aussi je ne veux pas vous demander beaucoup de détails, mais seulement un petit mot.
Quant à moi, je suis toujours dans la même situation, c’est-à-dire en attendant qu’on me donne un domicile fixe pour deux ans, attendu que j’ai reçu le mois dernier notification que mon pourvoi en révision était rejeté, et par conséquent ma condamnation maintenue. Comme je n’ai pas formé de pourvoi en cassation, je n’ai plus qu’à laisser se poursuivre l’exécution de mon jugement.
Je suis donc tout résolu à faire mes deux ans [de] retraite monastique, et j’espère qu’ils me seront profitables. Si je continue à rester ici je t’écrirai prochainement pour t’indiquer les volumes que je voudrais pour occuper mon temps le plus utilement possible.
Je me porte toujours bien et vous souhaite tous en bonne santé.
Je termine en t’embrassant de tout cœur ainsi qu’Amélie. Je souhaite le bonjour à Hippolyte et à toute la famille ainsi qu’à Madame Thomassin. Je n’oublie pas mon oncle et ma tante Hippolyte [Hippolyte Duru, l’oncle relieur maintenant retraité, frère d’Héloïse, vivait en partie à Paris, en partie à Claye-Souilly], s’ils sont à Claye.
Ton fils tout à toi
L. B. Varlin
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En mai 1872, peu après la loi qui organisait le devenir des déportés (c’est-à-dire la Nouvelle-Calédonie), un décret s’occupe des condamnés à la prison. Ceux des près de quarante mille insurgés entassés sur les pontons et dans les prisons de Paris, de Versailles (et de Saint-Germain) qui ne partent pas à Nouméa sont répartis dans différentes prisons sur le territoire français. Voici le début de l’itinéraire de Louis Varlin.
Sa lettre suivante vient de la maison centrale d’Embrun, elle est écrite sur du papier à entête de cet établissement. Cet entête précise, avant toute chose, que
La Correspondance est lue à l’arrivée et au départ
ce qui certainement était aussi le cas pour les autres lettres, mais là c’est explicite. Un long paragraphe informe que l’on ne peut écrire qu’aux autorités et aux parents proches, qu’on ne peut parler que d’affaires de famille et d’intérêts privés, que
Les détenus ne peuvent écrire que tous les mois, pourvu toutefois qu’ils n’aient pas été punis.
Le 9 Août 1872
Ma bonne Mère
Avant d’avoir commencé ma lettre elle est déjà à moitié faite, car comme tu peux le voir par l’imprimé en regard, je n’ai pas même à te dire que je ne pourrai t’écrire que dans un mois.
Je n’ai donc pas grand détail à te donner sur ma situation ici. Ma dernière lettre de Grenoble te donnait ceux de mon voyage jusque là. Depuis je suis parti de Grenoble le dimanche 4 Août à 9 heures du soir, en voiture cellulaire et je suis arrivé à Embrun après 30 heures de voitures, le mardi 6 à 3 heures du matin [il y a environ 150 km, dans les Alpes], bien fatigué du ballottement de la voiture à travers toutes les montées et descentes de la route qui suit constamment la chaîne des Alpes et franchit ravins et torrents et montagnes, parfois quelques plaines encore couvertes de moissons ou des coteaux garnis de vergers. Enfin après avoir dormi quelques heures à notre arrivée, nous nous sommes levés pour aller au bain, changer nos vêtements pour l’uniforme, de la maison et laisser tous nos bagages que nous avons inventoriés avant-hier. Je ne sais pas encore ce que je pourrai faire ici, je crains bien d’être obligé de continuer à rien faire, ce qui dure depuis déjà 15 mois. Enfin je ne pense pas qu’on continuera d’interdire les livres et l’usage du papier pour écrire et passer au moins son temps à quelque chose. Quant au surplus je n’ai rien à t’ajouter; tu sais combien de fois je t’ai dit de ne pas t’inquiéter pour moi, je me porte toujours bien et j’espère bien encore supporter tous les régimes, quoique celui d’ici ne soit pas très favorable surtout pour la nourriture qui est bien courte.
Je termine aujourd’hui en t’embrassant de tout cœur ainsi qu’Amélie, et je souhaite bien le bonjour à Eugène [Proux], Hippolyte et toute la famille, sans oublier ma tante Clémence [la « bonne Maman Proux » d’Amélie], mon oncle et ma tante Hippolyte et madame Thomassin.
Ton fils tout à toi,
L. B. Varlin
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En juillet à Saint-Germain, près de Paris, en août à Embrun (Haute-Alpes)… et en octobre à Clairvaux, dans l’Aube. Et ce n’est pas terminé… Pourquoi tous ces transports? Il reste à signaler que Blanqui était emprisonné à Clairvaux depuis le 17 septembre (il y resta jusqu’au 10 juin 1879).
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Clairvaux, le 27 Octobre 1872
Ma chère Amélie
Voilà bien longtemps que je n’ai reçu de lettre de toi, depuis le mois de Juillet, cela fait toute une saison passée. Tu dois avoir bien des nouvelles à m’apprendre, car tu me disais alors le pauvre état des vignes qui, même, avaient encore des fleurs, et voici maintenant les vendanges faites. Tu as été certainement très occupée le mois d’Août pour les compositions de prix; j’ai été très content de savoir les trois prix que tu as remportés, j’espère que tu m’en donneras le sujet, puis l’emploi de tes vacances, à Paris, où tu as dû bien t’amuser; tu me donneras aussi des nouvelles de ta bonne maman Proux, de ton papa Eugène, de ton oncle et de ta tante Aimée et enfin de tout le monde que tu as vu; puis enfin les vendanges, comment elles se sont passées et avec qui tu es allée grappiller les vignes. Je vois que tout cela va me faire une longue lettre pleine de nouvelles. Tu dois maintenant avoir repris tes classes et que tu vas bien travailler encore mais n’oublies pas non plus de bien jouer car cela fait aussi partie de le vie d’une bonne écolière.
Je ne te parle pas de mes voyages, mais tu dois avoir vu que j’ai fait bien du chemin depuis le mois de Juillet j’ai bien voyagé et je me promène encore tous les jours, mais sans changer de domicile et je vois maintenant les feuilles jaunies des bois voisins, venir, emportées par le vent, jusque dans nos promenoirs, cela nous annonce la fin de l’automne et l’approche de l’hiver et je pense que bientôt vous allez commencer des veillées intéressantes.
Je termine cette lettre en t’embrassant bien de tout mon cœur et en te priant de bien embrasser pour moi ta bonne maman Varlin et ta bonne maman Proux quand tu la verras, et aussi de souhaiter le bonjour de ma part à tous ceux qui te parleront de moi.
Ton oncle qui t’embrasse bien.
L. B. Varlin
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Pour la dernière lettre conservée de cette série, Louis Varlin a encore changé de prison. Une tache d’eau sur l’encre de la lettre a rendu illisible le nom du lieu d’où elle a été envoyée. D’après ce qu’il y dit du paysage et du voyage, il est vraisemblable que « L…eau » désigne Landerneau.
Peut-être Versailles pour commencer. Les pontons à Brest (Hermione, Duguay-Trouin). Saint-Germain-en-Laye. Grenoble et Embrun. Clairvaux. Landerneau.
Je ne sais pas quand il a été libéré, en particulier si les deux ans de prison commençaient à se décompter le jour de son arrestation (26 mai 1871) ou plus tard.
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L….neau le 13 Avril 1873
Ma chère Amélie
J’ai été enchanté de recevoir ton mot et de constater tes heureux progrès à l’école. Je ne saurais te dire tout le plaisir que j’ai éprouvé en apprenant ton entrée dans la première classe. J’espère que tu continueras à mettre à profit les leçons de ta maîtresse. Ce qu’on apprend est toujours autant de gagné sur ce que l’on ignore et il y a tant à apprendre qu’on n’apprend jamais trop.
J’ai été charmé aussi de voir que le printemps vous a environnés de fleurs. Il a bien débuté ici par un temps doux; mais quelle différence les cours et les murs sont nus, c’est la stérilité même, et si l’on peut apercevoir quelquefois le pays environnant par-dessus nos deux murs d’enceinte nous ne voyons que d’immenses champs de fleurs jaunes qui couvrent les landes et que j’ai déjà vus, il y a un an, en quittant Brest pour aller à St-Germain-en-Laye.
Enfin dis-moi dans ta prochaine lettre comment se sera passé la floraison et donnes moi aussi des nouvelles sur toute la famille car j’en ai peu reçu de ton papa Eugène tu me feras bien plaisir. Ton oncle qui t’embrasse de tout cœur.
L. B. Varlin
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La photographie de la centrale de Clairvaux a été faite par Henri Manuel entre 1928 et 1932. Je l’ai copiée sur le site de l’abbaye de Claivaux, et plus précisément, là. Elle appartient au Ministère de la justice.
Comme je l’ai dit dans l’article précédent, les lettres de Louis Varlin sont conservées dans le fonds Descaves de l’IISH à Amsterdam. J’ai aussi utilisé les livres indiqués ci-dessous. Je remercie Elsa Génard de son aide et en particulier ses conseils bibliographiques.
Livres utilisés
Vimont (Jean-Claude), La prison politique en France, Anthropos (1993).
Fey (Dominique) et Herbelot (Lydie), Clairvaux, Vies emmurées au XIXe siècle, TheBookEdition (2013).