J’ai déjà mentionné Le Socialiste dans un article précédent. Et annoncé que je lui consacrerai un article. En voici deux!

L’histoire écrite de ce journal commence dès le 2 juillet 1870, au cours d’une audience du « troisième » procès de l’Internationale.

Maître André Rousselle. Le tribunal confond le titre de secrétaire de la section avec le titre de secrétaire correspondant de l’Internationale.

M. le Président. Je ne fais pas cette confusion: il y a, en effet, deux natures de correspondants.

Robin. Il y en a trois.

Paul Robin nomme alors le journal Le Socialiste,

je prie le tribunal de prendre connaissance de quelques lignes du journal que je lui ai passé.

L’article en question est donné en note dans le compte rendu (publié, je le rappelle, par l’Association internationale elle-même), il explique comment fonder une section de l’association.

C’est au cours de cette audience qu’Albert Theisz prononce la défense déjà publiée sur ce site. Combault, Collot, Casse, Ansel, Bertin, Boyer, Cirode, Delacour, Durand, sont interrogés ou interviennent aussi. Il arrive à l’auditoire de rire. Il doit être assez tard quand le président donne la parole à Mangold. François Mangold, contrairement aux autres prévenus, était en liberté pendant les trois mois précédents. Il n’est apparu, avec Combault (mais Combault, lui, était recherché), sur les bancs des détenus, que pour l’audience du 29 juin (le procès avait commencé le 22).

Il a été signalé à la justice par l’activité de ses démarches.

On va voir que lui et l’association ont mis ce temps de liberté à profit.

Je rappelle la défense de l’Association internationale: elle n’est pas une société secrète, puisqu’au contraire elle agit au grand jour.

Mangold. Je voudrais donner au tribunal la preuve la plus claire que l’Internationale n’a pas cherché à cacher ses actes. Le 11 juin, au ministère de l’intérieur, j’ai reçu l’autorisation de M. E. Sirouy de faire paraître un journal intitulé Le Socialiste, qui s’imprimait en Suisse. Ayant reçu cette autorisation, et pour ne pas perdre de temps, j’ai été moi-même le chercher à la douane, au ministère. Il était arrivé le 11; j’ai reçu l’autorisation le 13; j’y suis retourné le 15, et l’ordre était arrivé que Le Socialiste ne pouvait pas paraître.

M. le Président. Est-ce qu’il devait être l’organe de l’Internationale?

Mangold. C’est indiqué sur le titre, et voici le numéro du 11 juin 1870 qui vous le prouvera.

Ce journal, que Robin et Mangold ont dû recevoir comme abonnés, mais qui n’a pas été diffusé, comme Mangold vient de nous le dire, un exemplaire en est parvenu à la Bibliothèque nationale — je dis bien « nationale » et pas « impériale », le cachet le montre. Il n’est donc pas arrivé immédiatement: juin 1870, c’est encore l’empire. On peut consulter cet « unique » numéro dans les lecteurs de microfilms du rez-de-jardin de cette bibliothèque. Pour vous éviter le déplacement, en voici une reproduction. Il y a quatre pages.

 

(Cliquer pour agrandir.)

Je vous laisse le regarder, ou le lire, même si la qualité de la reproduction papier->microfilm->pdf->jpg n’est pas extraordinaire. Quelques petites remarques:

  • Sur les « Considérant » des statuts de l’Association internationale tels qu’ils apparaissent page 1, une note de James Guillaume (dont je citerai plus longument le livre dans l’article suivant) précise que le « comme un simple moyen » est un ajout (plein d’arrières-pensées, selon Guillaume) de Paul Lafargue.
  • L’adresse donnée par Mangold semble ne pas avoir été la sienne (je n’ai d’ailleurs pas encore identifié cette rue).
  • La liste des condamnés du Creusot — La Marseillaise est suspendue depuis le 18 mai — donnée en page 3, est à comparer avec celle de Jean-Pierre Bonnet.
  • Parmi les « exilés » (page 3, toujours), on remarque Combault, Chalain et Ansel qui ont finalement été arrêté puisqu’ils comparaissent.
  • Ne ratez pas, en page 4, le Chant socialiste écrit (tout chaud) par Benoît Malon dans sa prison, et dont j’ai déjà publié le texte ici.

Deux mots de plus sur François Mangold. Lorsqu’il a été, le 27 juillet, pour deux mois, à la prison de Sainte-Pélagie, il avait vingt-neuf ans, il a dit qu’il était sculpteur sur bois, il habitait 72 rue Julien-Lacroix (ce qui est cohérent avec le fait qu’il était dans la section de Belleville de l’Internationale). Et, si vous voulez tout savoir, il mesurait 1,60 m, était blond et avait les yeux gris-bleu — c’est du moins ce qu’indique le registre d’écrou de Sainte-Pélagie. À l’automne 1870, il fit sans doute partie des internationalistes qui rejoignirent Benoît Malon dans le dix-septième, en tout cas son nom figure parmi les membres de la rédaction qui signent le premier article de La république des travailleurs.

De son intervention au procès, on peut peut-être déduire qu’il n’a jamais vu le n°2 du journal.

Car il y a eu un numéro 2. Suite au prochain épisode!

*

Je n’aurais sans doute pas écrit cet article si les « Amis de Benoît Malon » n’avaient eu la gentillesse de chanter le Chant socialiste devant moi au mois de décembre dernier. Je n’aurais certainement pas écrit l’ensemble formé de celui-ci et du suivant si je n’avais pas discuté avec Julien Chuzeville des journaux de l’Internationale à la fin 1870 (voir les articles du site à ce sujet) et si nous n’avions reçu l’aide décisive de Michel Cordillot (concrétisée dans l’article suivant).

Merci à eux tous!

Sources

Troisième procès de l’Association internationale des travailleurs à Paris, Le Chevalier (Juillet 1870).

Guillaume (James), L’Internationale, documents et souvenirs (1864-1878), Stock, Paris (1905-1910).

J’ai utilisé aussi le registre d’écrou de Sainte-Pélagie, aux archives de Paris.