Marie Rogissart était couturière et, pendant la Commune, elle vivait, avec un ouvrier du nom de Touchet, 161 rue du Faubourg-Saint-Antoine, dans le onzième arrondissement.
Rappelons que les « agrandissement et embellissement » de Paris en 1860 s’étaient accompagnés d’un charcutage administratif et électoral qui a fait que les numéros impairs du Faubourg sont dans le onzième et les pairs dans le douzième.
Je n’ai pas vu de photographie de Marie, mais elle avait trente ans, était brune, avait les yeux gris et le front haut. Issue d’une famille d’ouvriers ardennais, elle avait, dit-on, la parole facile. En tout cas, elle était vice-présidente du club Éloi, qui se tenait dans la « grange à corbeaux » autrement connue sous le nom d’église Saint-Éloi (sur la rue de Reuilly, dans le douzième). elle a aussi fait partie du bataillon des femmes du douzième arrondissement.
Marie Rogissart a été dénoncée et (finalement) arrêtée le 26 juin 1872 (ce n’est pas une faute de frappe, mais bien un an après) dans le quatrième arrondissement, puis « jugée ». Elle possédait une lampe à pétrole et un drapeau rouge, elle fut déportée en Nouvelle-Calédonie. Elle y est restée jusqu’à sa mort en 1929, et elle y fut sans doute la dernière des déportés communards.
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Le Faubourg Antoine a été le centre des mouvements révolutionnaires à Paris, au moins jusqu’au second Empire. Il en reste des souvenirs « minéraux ». Cela commence par un massacre le 28 avril 1789… [rappel: toutes les images peuvent être agrandies, juste en cliquant]
bien édulcoré sur la plaque (31 bis rue de Montreuil), puisque « populaire » est pour « ouvrière », qu’il s’agissait d’une émeute de la faim et que la « dure répression » fut un authentique massacre (de 25 à 900 morts, selon les sources). La plaque suivante (9 rue de Reuilly) est un hommage plus acceptable, à un révolutionnaire bourgeois, Santerre,
dont j’aime me souvenir qu’il fit battre les tambours qui empêchèrent qu’on entendît ce que dit le citoyen Capet au moment de son exécution le 21 janvier 1793. La belle trace de la révolution de 1830 est la colonne de Juillet à la Bastille
et son Génie de la Liberté, qui sert aussi de symbole à février 1848. L’émeute ouvrière de juin 1848, celle dont on ne parle jamais et au cours de laquelle le Faubourg Antoine fit si peur, a laissé là une trace indirecte, celle de la mort de l’archevêque de Paris venu parlementer sur la barricade à l’entrée du Faubourg et tué — d’une balle dans le dos, donc pas par un insurgé,
encore une vérité bien édulcorée sur la plaque (4 rue du Faubourg-Saint-Antoine). Noter que le Génie de la Liberté, lui, regarde dans le même sens que les insurgés… Et puis il y a eu Baudin, député tué sur une barricade en s’opposant au coup d’état bonapartiste du 2 décembre 1851, au coin de la rue Sainte-Marguerite (Trousseau) et du Faubourg — noter
que la plaque a attendu 1879…
Et c’est tout. Rien sur la Commune de Paris au Faubourg Antoine, même s’il y a une rue Charles-Delescluze
(qui était journaliste, élu du onzième à la Commune, et qui est mort sur une barricade boulevard Voltaire) et une rue Jules-Vallès (qui était journaliste, écrivain et élu du quinzième à la Commune)
pas très loin…
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Le passage Marie Rogissart, que la ville de Paris va inaugurer le 5 juillet 2019 sur l’emplacement de l’ancienne caserne de Reuilly
(l’infanterie à pied d’œuvre Faubourg Antoine depuis 1830), c’est, enfin, la Commune inscrite dans les pierres du quartier.
Une femme, une ouvrière, une oratrice de club, presque une inconnue, la Commune que nous aimons! D’ailleurs les versaillais d’aujourd’hui ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils ont voté contre au Conseil de Paris.
Vive la Commune!
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Les documents de la ville de Paris (motifs, délibération, localisation) se trouvent ici (cliquer). Le plan utilisé en couverture de cet article en est extrait.
Les photographies illustrant cet article ont été faites par moi le 14 juin 2019 après-midi (je vis au Faubourg Antoine…) — après que Claudine Rey m’ait informée de la bonne nouvelle de cette prochaine inauguration. Merci à Claudine, donc.
D’autres renseignements sur Marie Rogissart se trouvent dans le livre
Rey (Claudine), Gayat (Annie), Pépino (Sylvie), Petit dictionnaire des femmes de la Commune de Paris, 1871 : les oubliées de l’histoire, Le Bruit des autres (2013)
et aussi dans l’article du Maitron.