Elles sont ambulancières, elles cachent des communards en fuite, elle chantent, elles combattent dans les rangs des fédérés, elles concourent aux agissements de la Commune, elles aident à construire les barricades, elles demandent qu’on remplace, dans les écoles, les religieuses par des institutrices laïques, elles distribuent des cartouches aux défenseurs des barricades, elles écrivent des articles, elles excitent à la haine et au mépris du gouvernement, elles font monter des fédérés dans leurs chambres pour qu’ils puissent tirer sur les troupes versaillaises, elles organisent la défense de la gare Montparnasse, elles participent à l’insurrection, elles portent les armes, elles portent le drapeau rouge, elles possèdent des carabines, elles préparent les séances des clubs, elles recèlent des objets pillés dans des couvents, elles font rehausser une barricade de la place Saint-Sulpice avec des statuettes d’une boutique pieuse, elles revêtent des uniformes de cantinières, elles sont secrétaires de clubs, elles tiennent des propos en faveur de la Commune, elles tiennent des propos violents contre les prêtres et les religieuses, elles tirent le canon place de la Concorde,

et font bien d’autres choses encore, mais pour celles-ci, elles sont arrêtées, jugées, condamnées, emprisonnées, envoyées en Nouvelle-Calédonie,

pas seulement pour celles-ci, mais aussi, parce qu’on préfère les motifs de droit commun — il est bon de continuer à laisser entendre que les communard(e)s sont des voleurs,

pour incendie, pillage, vagabondage, vol…

Elles le font, se battant pour la justice sociale, malgré Proudhon, malgré les officiers paternalistes, condescendants et méprisants.

On s’attend évidemment à ce qu’elles fassent bien d’autres choses, travailler, les enfants, les courses, la cuisine, le linge et la maison, plus le cinquième quart (nécessaire prostitution), mais on ne les condamne pas pour ça.

Elles sont traitées de

mégère, pétroleuse, prostituée,

mais elles sont

cartonnière, couturière, culottière, institutrice, journalière, marchande de vin, matelassière, mercière, servante d’auberge…

j’abrège cette liste…

Ce sont quelques-unes des informations que vous lirez dans le Petit dictionnaire des femmes de la Commune, de Claudine Rey, Annie Gayat et Sylvie Pépino. Livre assez récent (2013) et qui porte le sous-titre Les oubliées de l’histoire.

De cette histoire, bien sûr. Il y a bien d’autres oubliées de bien d’autres histoires — de toutes les histoires. Avec la Commune, c’est encore un peu plus énervant, à cause de ces malheureuses pures héroïnes, qui n’ont peut-être été ni si malheureuses ni si pures, mais à qui les historiens les mieux intentionnés (?) font occulter les autres.

Les auteures de ce petit (pourquoi petit, d’ailleurs?) dictionnaire (tiens, des femmes elles aussi) présentent dans ce livre plus de huit cents femmes.

De beaucoup, on ne sait rien. Sûrement, elles ont été arrêtées un jour, puisqu’il existe des photos (du genre identité judiciaire) d’elles. D’autres on sait qu’elles ont été arrêtées, l’une des prisons dans lesquelles elles ont été détenues, et pas grand chose de plus. Les auteures ont utilisé les archives de la préfecture de police et celles des conseils de guerre (Service historique de la Défense). Ces femmes condamnées, on est sûr qu’elles ont participé à la Commune…

C’est un très beau livre, pas très facile à trouver (mais vous devriez y arriver).

PetitDictionnaire

Par exemple, je n’ai pas trouvé en ligne d’image de taille raisonnable de la couverture. Même sur le site des « Amis de la Commune », association sur le site de laquelle j’ai copié cette miniature.

Raison de plus pour mettre une image de femme en couverture de cet article (une autre raison, c’est que j’essaie de parvenir à une approximation de parité sur la page d’accueil de ce site). Marie Davier, oratrice de club.

Mais revenons au livre.

Je l’ai lu en entier, de la première à la dernière page (je crois avoir déjà dit sur ce site que j’aimais lire les dictionnaires). Et puis je l’ai relu, en feuilletant et lisant au hasard, en regardant les photographies.

J’y ai énormément apprécié le fait que les femmes n’y étaient pas définies par les hommes alentour (vous ne trouverez pas dans ce livre le grand amour de la pure héroïne X pour l’austère héros Y, ouf…).

Et aussi le fait que tous les noms (connus) des femmes apparaissaient, rangés par ordre alphabétique (avec renvoi à celui des noms qui fait effectivement l’objet d’une note).

J’ai été un peu moins enthousiaste sur le choix de ranger les femmes par leur nom de naissance et pas par celui sous lequel elles se sont fait connaître ou qu’elles ont choisi (Nathalie Lemel sous Duval, André Léo sous Béra, par exemple), mais ce n’est pas très gênant parce qu’il y a des renvois… sauf que ce n’est pas systématique (voir le cas de Paule Minck, qui est bien rangée à « Minck Paule » alors que cette règle la mettrait à Mekerska Paulina).

J’ai quelques autres critiques, mais minuscules, alors n’en parlons pas.

La plupart des femmes qui figurent dans le « petit dictionnaire » viennent donc des archives de la police et de l’armée.

Mais il y a aussi des femmes dont les noms sont apparus pendant la Commune, parce qu’elles faisaient quelque chose. Comme ces citoyennes qui se seraient occupées de l’éducation des filles si les Versaillais n’étaient pas entrés dans Paris ce jour-là, André Léo, Anna Jaclard, Isaure (?) Périer, Anna Sapia (oui, Anna Sapia, née Anna Saugier) et Noémi Reclus (oui, Noémi, et non, pas Noémie).

*

Deux mots de Maria Verdure (1849-1878), parce qu’elle est, hélas, aussi maltraitée dans le petit dictionnaire que dans un livre dont j’ai parlé dans un article précédent de ce site.

Maria Verdure (et pas « Marie Laverdure », comme elle est appelée dans l’introduction du petit dictionnaire — et pas non plus « Maria ou Marie », comme il est dit dans la note qui lui est consacrée). Maria Verdure. Et même Maria Iphigénie Glorvina Verdure. Elle vit, avec ses parents, rue Sainte-Marie-du-Temple, 8 (cette rue s’appelle aujourd’hui rue de la Présentation, elle est dans le onzième arrondissement au Faubourg-du-Temple). Et pas rue Oberkampf, 113, comme il est dit dans la note à elle consacrée. Elle apparaît dans le Journal Officiel du 2 avril, comme le dit cette même note, et elle y apparaît (avec son adresse) parce que, avec d’autres, femmes et hommes, délégués de la société l’Éducation nouvelle, elle a porté à la Commune une requête sur l’éducation.

MariaJO

Dans la note du « petit dictionnaire » est donnée une référence au Journal Officiel du 18 mai. Vous y chercherez Maria en vain. Par contre, dans la dernière colonne de la deuxième page, vous trouverez ceci:

CarolineJO

C. Verdure, 113, rue Oberkampf. Ah! Lisez cette lettre, vous en déduirez que C. Verdure est une femme et qu’elle s’occupe d’orphelins. Elle n’est pas dans le petit dictionnaire mais elle aurait pu l’être, Caroline Verdure était la mère de Maria, et 113 rue Oberkampf était l’adresse de l’orphelinat…

Mais c’est de Maria que je vous parle. Pendant la Commune, cette jeune femme (elle a vingt-deux ans), membre de l’Éducation nouvelle, écrit aussi, avec Élie Ducoudray et Félix Ducoudray, un texte sur les crèches qui paraît sous forme de deux articles dans le Journal Officiel les 15 mai et 17 mai. Ces dates et ces articles n’apparaissent pas dans la note du « petit dictionnaire ». Au risque de me répéter… sans doute encore un effet de la prétendue « réimpression » !

*

J’aurais encore beaucoup à vous dire sur Maria et sur quelques autres femmes de la Commune, mais ce sera pour d’autres fois!

En attendant, lisez le petit dictionnaire!

Livre cité

Rey (Claudine), Gayat (Annie), Pépino (Sylvie)Petit dictionnaire des femmes de la Commune de Paris, 1871 : les oubliées de l’histoire, Le Bruit des autres (2013).