Je continue à présenter Adolphe Clémence (des données d’état civil se trouvent dans l’article précédent).

Adolphe Clémence est relieur, il a épousé une relieuse, fille d’un typographe (l’aristocratie des ouvriers du livre).

Ils sont membres de la société des relieurs. D’après Jean-Louis Robert, Adolphe Clémence appartenait, en 1858, à une Union des travailleurs fondée en mai 1848 (je ne connais pas la source de cette information). La société de secours mutuel des ouvriers relieurs a été constituée en 1857, il est probable que sa femme Léonide et lui en ont été membres dès le début, comme Eugène Varlin.

En tout cas, en 1863, Adolphe Clémence en est le secrétaire. En 1864, après l’aménagement de la loi Le Chapelier (qui interdisait, depuis 1791, les grèves), il participe à la première grève des relieurs, comme Eugène Varlin, Alphonse Delacour et tant d’autres,

Il a été avec Varlin l’un des principaux meneurs de la grève des relieurs,

dit un rapport de police. Il est réputé avoir été un des premiers membres à Paris de l’Association internationale des travailleurs, fondée à Londres en septembre 1864 (d’après un rapport de police du 26 septembre 1872, il avait « la carte 227 »), et même y avoir amené Eugène Varlin, qui, lui, a fait adhérer la société, dont il est président, en bloc, à l’Internationale, en 1866.

Avec Eugène Varlin, Antoine Bourdon et d’autres — parmi lesquels quelques fouriéristes, à n’en pas douter –, il fonde La Tribune ouvrière, un hebdomadaire dont le siège est d’ailleurs chez lui et dont le premier numéro paraît le 4 juin 1865… et le dernier le 9 juillet. Le premier article d’Eugène Varlin, que l’on trouvera (intégralement) dans ses Écrits, est paru dans le premier numéro de La Tribune ouvrière, il y disait avoir pensé aux historiens (du futur — nous) en choisissant le format du journal. Dans le numéro du 18 juin, c’est Adolphe Clémence qui insistait sur l’utilité des études historiques pour la marche « vers le progrès » et « un avenir meilleur »!

Après l’interdiction de La Tribune ouvrière, c’est La Presse ouvrière, un seul numéro, imprimé à Bruxelles, et La Fourmi, qui ne dure pas plus longtemps et dont tous les articles sont signés par des pseudonymes, je ne peux donc pas vous dire ce qu’Adolphe Clémence y a écrit!

Par contre, je peux vous dire qu’il a rédigé et publié, même s’il ne l’a pas écrit seul, un rapport sur la reliure dans les grandes expositions de l’industrie (jusqu’à l’exposition universelle de Londres en 1862), rapport remarquable, dit Gustave Lefrançais. Il ne s’agit pas que d’un rapport précis et technique, le texte prend en compte l’histoire sociale du siècle, et notamment la répression de juin 1848.

Le nom de l’auteur de ce volume est la « délégation des ouvriers relieurs » (à l’Exposition universelle de Paris et de 1867). Adolphe Clémence a d’ailleurs fait partie de la commission qui a organisé l’élection de la délégation des ouvriers relieurs à cette exposition universelle. Cette délégation a produit aussi un livre sur l’exposition de 1867 elle-même, mais celui-ci a été retardé et n’est paru qu’après la Commune, en 1875, avec une préface signée « E. V. et V. Wynants » — Eugène Varlin avait été assassiné entre temps et seules ses initiales semblent avoir été assez discrètes pour ne pas empêcher la parution du livre.

Si son nom n’apparaît pas dans l’histoire des procès de l’Association internationale en 1868, Adolphe Clémence y participe néanmoins, d’après un rapport de police, en organisant une souscription pour la publication du procès — un livre fort utile!

J’ajoute qu’Adolphe et Léonide Clémence se sont mis à leur compte vers 1869, travaillant chez eux, vraiment relieurs pour bibliophiles. Il publie alors la Revue de la reliure et de la bibliophilie, dont il est le « rédacteur-gérant », dont il signe tous les articles, qui n’a que trois numéros (de mai à juillet 1869). Ces petites cinquante-six pages montrent son immense connaissance de l’histoire des livres et de la reliure et même son intégration dans les milieux bibliophiles: il raconte de très près la vente d’une importante collection, en avril 1869, en apportant des corrections et des précisions au catalogue et en mentionnant les bibliophiles et professionnels présents (parmi lesquels le relieur Duru, oncle d’Eugène Varlin).

Et voici 1870… Dans les prochains articles, je vais publier les notes qu’Adolphe Clémence a prises dans un vieil agenda pendant le siège de Paris. Cet agenda et ces notes ont été préservées grâce à la délicate attention de la police qui a saisi ce carnet au cours d’une perquisition à la recherche du dangereux criminel qu’était devenu, à l’été 1871, Adolphe Clémence. De sorte qu’il est aujourd’hui consultable aux archives de la préfecture de police, alors que tant d’autres « témoignages » ont disparu.

La suite de l’aventure biographique d’Adolphe Clémence nous sera racontée par lui-même.

En attendant, n’aimerions-nous pas voir un portrait d’Adolphe Clémence? Eh bien, l’International Institute for Social History d’Amsterdam possède une photographie, dont une vignette est visible en cliquant ici. La photographie elle-même a été reproduite dans un fascicule publié par l’Institut CGT d’histoire sociale du livre parisien, mais je n’ai pas réussi à en tirer une image de qualité raisonnable. Je comblerai ce manque dans un prochain article.

Contentons-nous pour le moment de la description policière

taille moyenne, cheveux blonds et rares, front bas, yeux bleus, barbe blonde et courte

et de celle (peu physique il est vrai) de Gustave Lefrançais, qui était son ami (élus du quatrième à la Commune ensemble, proscrits en Suisse ensemble…), assez pour être allé déclarer son décès avec son fils.

Adolphe Clémence, ouvrier relieur, est d’un tempérament plus calme [qu’Amouroux, autre élu du quatrième], plus posé, quoique très ferme. Peu causeur, modeste et laborieux, le citoyen Clémence considère comme un devoir rigoureux de remplir strictement toute mission librement acceptée.

*

Les deux livres de la délégation des relieurs se trouvent sans mal sur Gallica, là. C’est la première page du premier volume qui sert de couverture à cet article.

Livres cités ou utilisés

Délégation des ouvriers relieurs, La Reliure aux expositions de l’industrie, 1798-1862, Paris, chez Adolphe Clémence, 1868.

Délégation des ouvriers relieurs, La Reliure à l’exposition de 1867, Paris, 1869-1875.

Procès de l’Association internationale des travailleurs — Première et deuxième commission du bureau de Paris, Deuxième édition publiée par la Commission de propagande du Conseil fédéral parisien de l’Association internationale des travailleurs, Juin 1870.

Lefrançais (Gustave)Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).

Robert (Jean-Louis)Adolphe Clémence, relieur et communard, Institut CGT d’histoire sociale du Livre parisien (2018).