Suite du carnet d’Adolphe Clémence
Décembre
Jeudi 1. Temps beau, sec et froid, nous prenons la garde du piquet à 7h, campons avenue de Vincennes, formons les faisceaux à 11h, déjeune d’un bouillon quelconque et d’une chopine de vin en trempette. le tantôt léger exercice. foule de promeneurs venant voir le défilé des blessés, le matin voyons passer une 20aine de prisonniers saxons ou bavarrois, le soir rentrons aux mêmes baraques où Léonide m’apporte à dîner
Vendredi 2. 76e journée du siège, temps sec et froid, paie 1,50, forte canonade. rentrons chez nous vers 8h du matin. un très grand nombre de gardes nationaux massés avenue de Vincennes, me couche jusqu’à midi, sors me promener avec Léonide, préviens Montelle. Le soir vais annoncer à mon père mon engagement dans les Compagnies de guerre.
Samedi 3. temps froid et pluvieux, paie 3f, corvée de 3 heures pour transport de fusil. sans résultat. Démarches à l’effet de savoir dans quel [sic] Compagnie de guerre je suis versé. à l’ordre on nous lit le décret sur les 75c par jour alloués aux femmes des gardes nationaux
Dimanche 4. 78e journée du siège de Paris, temps beau et froid, convocation pour garde aux remparts (bastion 6), réclamation relativement à la Compagnie de marche. mon sergent-major me donne rendez-vous pour cette affaire dans la salle du rapport. J’assiste à la séance et suis incorporé sur ma demande dans la 1e de marche du 96e. Visite à Oblet qui est aux remparts [probablement le beau-frère Charles Baptiste plutôt que le beau-père, qui a 70 ans]
Lundi 5. temps beau et froid, le matin élection de 2 caporaux pour la 1e Compagnie à la salle des fêtes dans la mairie [du quatrième], j’arrange le poêle, je vais à la réunion du comité rue des Blancs Manteaux 32. Je touche mon premier jour de solde à la compagnie de guerre. Le soir, assesseur à Bourdon
Mardi 6. 80e journée du siège, temps sec froid, le soir un peu de neige, je ne sors qu’à 4 heures, vais toucher ma solde, 1e paie de 75c aux femmes des gardes nationaux. Le soir émotion dans Paris à la nouvelle donné [sic] par les Prussiens qu’ils ont repris Orléans, est-ce vrai? [oui!]
Mercredi 7. temps beau, garde au Palais de l’Industrie [changement de quartier, le Palais de lIndustrie est sur les Champs-Élysées], nous sommes réunis en piquet, 4 Compagnies de guerre, déjeuner r. St Honoré, pied de bœuf vinaigrette, riz et haricots verts, soupe à l’oignon, café, le tout sans le pain 1,95. 1 litre de vin à 3 [c’est le nombre de consommateurs, pas le prix], de 2 à 4h exercice dans les Champs-Élysées, à 4h je viens manger chez moi et prends le café chez M. Fillié. nuit bruyante, cor à piston, danse et chants dans les grandes salles du 1er étage, paye 1,50
Jeudi 8. 82e journée du siège, le matin, diane dans les salles du 1er où nous campons. à 7h1/2 je descends dans les Champs-Élysées, neige épaisse, silence et calme complet dans les alentours. Sommes relevés à 9h. retour à 10h. par mauvais temps. réclame à la trésorerie pour les 75c alloués aux femmes de gardes nationaux, assez bien reçu. le tantôt j’échange mon piston contre une tabatière [mon fusil à piston contre un fusil à tabatière], paye
Vendredi 9. temps humide, me lève tard, déjeune d’un potage riz au gras, cheval à la sauce, petits grains de raisin confits, un morceau du sucre avec du pain et le café noir. prix d’un litre de pois cassés 2,50c, paie 1,50, anniversaire de ma naissance, j’ai 32 ans
Samedi 10. 84e journée du siège, Temps sec un peu froid, paie à 4h comme d’habitude 1,50, exercice de 2 à 4. Le matin, visite à Lévêque aux fortifications, Bd Ney, à Montmartre, le soir à Bourdon je suis assesseur et prend [sic] deux fois la parole, j’attaque le passé des membres du Gouvernement
Dimanche 11. temps humide et froid, me lève à 6h, promenade à 8h, départ de l’hôtel de ville, suivons les voies suivantes: r. Rivoli, S-Antoine, fg S-Antoine, place du Trône, retour par le Bd Voltaire jusqu’à la caserne du Prince Eugène [place de la République aujourd’hui], r. du Temple, de Turbigo, Bd Sébastopol, tour S Jacques, r. Rivoli et Hôtel de ville. Mme Parisis [pas sûre de ma lecture de ce nom] m’invite à midi à manger du chat, je le trouve bon et bien accommodé, me couche de bonne heure
Lundi 12. 86e journée du siège, me lève à 7h. à 7h1/2, garde-piquet au Palais de l’Industrie verglas étonnant et dangereux, déjeune à 11h dans une crèmerie près de la place du Havre. 4 sous de riz au gras, 4 sous de chocolat à l’eau, paie 3f, à 5h vais déjeuner chez moi. fait [sic] partie du 25e régiment de Paris
Mardi 13. le matin, vais à 7h1/2 rue Bayard, 26 porter une lettre chez M. de Choiseul pour réclamer à propos des 75c qui ne sont pas payés à ma femme. promenade autour du palais de l’Industrie rentré de garde à 9h1/2 me couche, me lève à 3h. à 4h paie 1,50
temps pluvieux
Mercredi 14. 88e journée du siège, temps pluvieux et très humide, suis malade ai le corps dérangé. Héligon me fait réclamer son livre, à2h1/2 on prend note des effets nécessaire pour completter [sic] notre équipement de la Cie de marche le soir un punch nous est offert voir plus haut à la date du 14 juillet
Et en effet à la date du 14 juillet, le carnet porte
Le 14 décembre 1870, la 9e Cie du 96e bataillon a offert à la 1ère un punch à l’occasion de son prochain départ aux postes avancés. La réunion a eu lieu au café de la ville, rue de Rivoli, 78 à 7 heures pour 8. Y assistaient la musique de la Garde nationale du 150e (?) bataillon qui joua des marches, la marseillaise, le chant du départ, les girondins, et fut très applaudie. MM. de Chatillon et Loiseau adjoints au maire du quatrième arrondissement y assistaient également ainsi que quelques officiers des autres compagnies. Discours de MM. Chatillon et Loiseau du Capitaine de la 9e Cie (Vernet) du Capitaine de la 4e Cie (?) pièce de vers par un garde de la 9e (de l’ancienne 9e) différents toastes [sic] à notre délivrance et à la république. remerciements adressés à la 9e Cie par un des gardes des Cies de marche qui conclut en demandant leur estime pour ceux de ces compagnies qui feront leur devoir et porteront haut et ferme l’honneur du 96e et leur mépris pour ceux qui y porteraient atteinte par leur lâcheté. applaudissements enthousiasthes [sic] la soirée se termina par des chants ou [sic] se font remarquer Brosset et un fourier [sic] qui dit une chanson espagnole avec refrain de tyrolienne. la soirée se termine à 11h par un chant patriotique exécuté par la musique du 150e. On nous servit le café avec petit verre deux verres de punch chaud à l’eau de vie et deux verres de champagne. j’étais assis près de Cahen Silvain.
Jeudi 15. temps humide et pluvieux. me lève un peu tard, visite de Charles qui emporte la brochure dont Léon a mangé l’argent. le soir à 3h1/2 jusqu’à 4h1/2. paie 1,50. à 8h conseil chez Robillard pour la société des ouvriers relieurs
Vendredi 16. 90e jour du siège, temps humide, paie 1,50. à 8h promenade militaire à 9h moins le quart à l’hôtel de ville passons par le Bd Michel, la rue large près de M. [illisible], la rue des feuillantines [donc la rue large est la rue Gay-Lussac], Bd Arago, avenue Mouffetard, Barrière Fontainebleau et Bd de l’Hôpital, pont d’Austerlitz et Bastille.
le soir président à Bourdon Fauris parle
Samedi 17. paie 1,50, temps humide, me lève à 7h 1/2, écrit [sic] une lettre de réclamation au Rappel et au Siècle relativement aux 75c de ma femme qu’elle va réclamer inutilement à l’état major de mon bataillon. vais le tantôt porter ces lettres au Rappel et au Siècle ne trouve pas les rédacteurs.
le soir à Bourdon parle sur les Compagnies de marche et la Garde nationale en général
Dimanche 18. 92e journée du siège, Écris à Burty et Leneveux pour réclamation relative aux 75c. à 1h1/2 vais à l’ordre ou j’apprends que demain nous serons équipés à 2h. vais à la recette de ma société de secours des ouvriers relieurs. temps beau
Lundi 19. temps beau, paie 3f. Convoqué à 4h pour recevoir mon équipement de marche, sac, toile pr tente, couverture, ceinture de flanelle, bidon, piquets de tente, souliers napolitains noircis, bretelle de fusil et courroie pour suspendre le bidon. le matin [? tache d’encre] à 1h après midi réunion au comité républicain d’arr. le soir caissier à Bourdon
Mardi 20. 94e journée du siège, pas de séance à Bourdon, temps beau, promenade pour revue qui avorte réunion à 7h. partons à 8h1/2 de l’hôtel de ville et allons Champs-Élysées, rond point du panorama le sac au dos ne faisons rien et revenons
visite à Bouvenne, carte et planche qu’il me donne, visite à Chapalain
Mercredi 21. temps sombre et froid sec, à 2h du matin tambours et clairons appellent les Compagnies de marche du quartier. colle sur toile ma carte des environs de Paris. reçois un képi et foureau [sic] de bayonnette. paie 1,50. sommes consignés. Ma réclamation est insérée en très petite partie dans le Siècle. Le soir à Bourdon suis contrôleur et parle sur le passé des partis
Voici l’article paru dans Le Siècle (le même numéro publiait (pages 2 et 3) la lettre aux artistes allemands de Gustave Courbet)
M. Adolphe Clémence, relieur, marié et père d’un tout jeune enfant, s’est engagé volontairement dans la 1re compagnie de marche du 96e bataillon. Il demeure rue des Juifs, 19.
Malgré ses démarches réitérées, il n’a pu obtenir des agents de la trésorerie du quatrième arrondissement que sa femme ait droit à l’indemnité accordée par tous les décrets qui ont présidé à l’organisation des volontaires et des compagnies de marche.
Cette indemnité qu’on lui refuse, on l’accorde pourtant aux femmes des gardes des compagnies de dépôt du même bataillon.
Nous croyons qu’il suffira de signaler ce fait, en affirmant qu’il en existe beaucoup d’autres du même genre, pour que justice sérieuse soit rendue.
Jeudi 22. 96e journée du siège, temps sec et froid, passe ma matinée à apprêter mon sac et marquer mes affaires de campement et d’équipement. le tantôt distribution de capotes bleues grisâtre un peu claire, paie 1,50. Vais réclamer au maire pour les 75c de Leonide
Vendredi 23. nuit agitée, m’attend à être appelée [sic et sic] à chaque instant. forte canonade du côté d’Aubervilliers, vais voir mon père en tenue de campagne, leur dis adieu et déjeune avec eux. Je reviens à 3 h, vais au rapport, reçois 1,50, achète ma gamelle 90c et mon quart 30c. Hier Léonide a reçu environ 540 agendas de Rousset
Samedi 24. 98e journée du siège, temps beau, sec et froid, passe en colle 3 volumes in 4°, lettre d’Héligon réclamant son volume, à 1h visite chez Oblet, on projette à cause de l’arrivée de Virginie d’aller dîner à Montmartre afin que toute la famille puisse causer avec Amable échappé de l’enterrement du Gal Blaise [le Général Blaise a été tué à Neuilly-sur-Marne le 22, je ne sais pas qui sont Virginie et Amable, des cousins de Léonide sans doute] pour venir les voir, je suis invité. à 9h au rapport le sergent major nous distribue nos feuilles déléguant une partie de notre solde à nos femmes, paie 1,50
Dimanche 25. Hier soir, soupé chez l’oncle de Louise Laguille, menu vin et pain puis cheval pot au feu avec carottes blanches puis petits pois de conserve. à la fin du repas discution [sic] entre Louise et sa sœur retour chez moi à 11 heures. Le matin à 7h1/4 réveil par le tambour pour promenade militaire en tenue de campagne, sac au dos, même itinéraire que le dimanche 11 décembre. retour à 11h fatigué. fais du feu avec chaises et me repose en lisant et arrangeant mon bichon
Lundi 26. 100e journée du siège de Paris, temps beau, sec et froid. me lève tard, achète deux passans [sic] pour mon sac 65c, déjeune avec du lard et une moitié de crêpe, fait pour Mme Maurice un certificat pour avoir du pain, remet à mon sergent major ma délégation de 75c à ma femme. paie solde 3f.
Mardi 27. neige froid. Hier soir je parle à Bourdon sur l’état major de la garde natle et les pièges que peut nous tendre la diplomatie. ce matin me lève tard à 8h. du matin, entend [sic] une violente canonade venant du côté d’Aubervilliers faisant l’effet de tonneaux vides violemment jetés par terre, les vitres de la chambre en tremblent, déjeune avec des crêpes au sucre de canne. Le Capitaine Leroux de la 4e Compie de marche est nommé commandant 48 voix contre 25
Mercredi 28. 102e journée du siège. Temps froid neigeux, la Seine charrie depuis plusieurs jours
me lève tard, vais à la réunion du Comité, n’y trouve personne, à 3 heures vais au rapport reçois 2 jours de solde et 15 francs pour les indemnités dues à Léonide, deux allocations de 3 frs (les premières) soit 6frs ne me sont pas payées
Le soir à Bourdon suis assesseur et parle sur la sénilité du gouvernement et la composition réactionnaire des administrations
soirée chantante de [illisible] en faveur du 96e bataillon
Jeudi 29. temps de gelée et neigeux, 2e fête de Léonide [qui s’appelle Éléonore Léonide, et c’est la sainte Éléonore]. vais chez Montelle pour le chauffage achette [sic] le journal La Guerre de 1870 un sabre à Georges feutre et gants à Léonide [achats pour les étrennes, où l’on fait des cadeaux], pour moi l’Atlas des 17 départements envahis. déjeune au Palais national chez Richard; pour 2,50 ou bifteack, choux de bruxelles et car [?] des frites désert {sic!] crème au chocolat vin un demi setier [un… demi, environ 25cl], à 3h au rapport reçois 1,50 et la carte de solde pour Léonide. forte canonade sommes consignés
Vendredi 30. 104e journée du siège, gelée, Seine charrie, froid, neigeux. Le matin colle des rubans [petit travail de reliure!], vais chez Montelle au comité.
Émotion causée par l’abandon du plateau d’Avron. Le soir à Bourdon préside la séance. Le matin Léonide se trouve mal par le froid
Samedi 31. Le matin colle des rubans aux agendas de Rousset [arrivés le 22]. Temps froid et neigeux, à 3h au rapport pas de solde. Le tantôt est collée dans Paris la proclamation de Trochu dans laquelle il essaie de se justifier. Le soir à Bourdon je parle contre Trochu et Clément Thomas
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L’image de couverture représente la Garde nationale aux remparts. C’est, à l’origine, un dessin d’Auguste Lançon, il a été gravé, puis publié par l’hebdomadaire L’Illustration fin 1870. Pour une raison ou pour une autre, cette image (hors-droit) n’est pas disponible (gratuitement) en ligne, je l’ai donc photographiée (mal) dans le volume (jauni) de la Bibliothèque nationale de France et recadrée.
Le carnet est aux archives de la préfecture de police (dossier Ba 1013).