Au soir du 31 octobre, le gouvernement provisoire est renversé! écrit Adolphe Clémence dans son agenda. Comme à la fin d’un épisode d’un feuilleton… Mais voici l’épisode suivant.
Novembre
Mardi 1. Beau. Toute la nuit les clairons et tambours de l’arrondissement ont appelé aux armes la garde nationale. permanence à la salle Bourdon. Le Gouvernement de la défense se maintient [encore raté!]. Elections communales retardées. Promenade militaire faite par mon Bataillon, sorti par la porte Charenton, longe le bois de Vincennes, fait halte au fort de Joinville, redoutes de la faisanderie et de Gravelle retour par Nogent, Fontenay et Vincennes et faubourg St Antoine de 11h à 6. exténué de fatigue
Mercredi 2. 46e journée du siège. Beau froid, le matin des affiches annonçant un vote oui ou non sur le gouvernement de la défense pour demain [ce gouvernement, formé le 4 septembre par ceux qui était là n’a aucune légitimité, il va s’en donner une par un plébiscite, comme aurait fait Napoléon III]; puis pour mardi les élections communales [il s’agira tout juste d’élire les maires des arrondissements], à 3h exercice, à 8h séance à la salle Bourdon, l’on attaque le gouvernement de la Défaite nationale [officiellement « de la Défense nationale »], paye 3 francs
Jeudi 3. Je suis assesseur à la 3e section du 4e arrondissement pour le vote oui ou non en faveur du Gouvernement provisoire, le soir la S Charles à mon beau-père [la St-Charles est le 4 novembre]
Vendredi 4. 48e journée du siège. Beau, paie 1,50. Garde aux remparts porte de Charenton, excursion jusqu’à St Maurice hospice de Charenton, le soir au baraquement des chanteurs se font entendre, garde sur les remparts de 10h à 12. mot de ralliement : Maubeuge. patrouille
Samedi 5. beau. le matin promenade dans l’ancien cimetière de la grande pinte [la Grande Pinte était le nom d’un quartier de Bercy, le cimetière en question est le cimetière de Bercy, déjà apparu sur ce site, celui des quatre cents cadavres]. retour à Paris à 11h 1/2. Repos jusqu’à 4h puis vote pour la nomination du maire Greppo [après le plébiscite du 3 novembre, élection des maires d’arrondissement le 5]
Le soir, je souhaite la fête à mon beau-frère [le frère de Léonide se prénommait Charles Baptiste, mais Adolphe avait peut-être un beau-frère Léonard ou Zacharie]. paie 1,50
Dimanche 6. 50e journée du siège. Beau temps. réunion électorale pour la nomination des adjoint [sic; il s’agit du choix des candidats adjoints qui seront élus le 7]. à 1h à la salle Bourdon celle-là éminement [sic] conservatrice. le soir à 8h réunion publique au même endroit. celle-ci populaire, républicaine et beaucoup plus calme et convenable que la précédente
Lundi 7. Beau. le matin, réunion du comité. Chartrain y est révoqué pour inconduite. élection des adjoints, confusion et anarchie des votes à ce sujet. Chatillon (de) et Callon, nommés. l’un négociant, l’autre ingénieur. Balotage [sic] pour le 3e adjoint. Le soir à Bourdon je parle contre Callon et définit [sic] la République sociale. paie 3.
Mardi 8. 52e jour du siège d’après le Rappel. Lefrançais, prisonnier [il a été arrêté, suite du 31 octobre, au matin du 4 novembre], Tolain, Murat, Héligon, nommés adjoints [respectivement dans les onzième, dixième, quatorzième, ce sont (encore) des amis internationalistes]. Je laisse 10c par jour [pour une caisse de secours]. exercice à 2h au lieu de 3, jusqu’à la nuit. paie, 1,50. Le soir à Bourdon je préside la séance, temps froid et sec
Mercredi 9. 53e journée du siège temps froid, brouillard. nous sommes consignés à domicile. pas d’exercice. paie 1,50. Décret sur l’organisation des compagnies de guerre de la garde nationale. Le soir à Bourdon je suis assesseur, séance tumultueuse
Jeudi 10. 54e jour du siège, temps neigeux et pluvieux. Visite de Fauris.. pas d’exercice. Je laisse 10 c par jour pour la caisse de secours. Je me couche de bonne heure. Discutions [sic] à propos du décret relatif à la mobilisation d’une partie de la garde nationale (4 Cie par bataillon).
Vendredi 11. Garde aux remparts (bastion 7) près de la porte de Montempoivre. paie 1,50. Je déjeune avec Latouche et Gitard (1,30 c), le tantôt je vais jusque chez Fauris que je ne trouve pas. les 7, 8, 15 et 16e escouades de ma Cie quittent la garde à la nuit. 1h de faction de 4 à 5 h. , mot de ralliement. Gand. la Compagnie avait 4 et plus tard 3 factionnaires à fournir. Temps variable et froid.
Samedi 12. 56e jour du siège temps variable, prix de q.q. légumes achetés à Montempoivre chez les maraîchers
1 petit pied de céleri vert 20c, 1 petit poireau vert 10c, une botte de très petites carottes 2,25
Discution [sic] de Vaulclerc avec un de ces maraîchers. départ des fortifications à 10h. retour chez nous à 11h.1/4. Je me couche et me lève à 2h. pour une communication relative à la mobilisation de la garde nationale. Visite de Fauris
Dimanche 13. Temps beau, paie 3 f. Pour les compagnies mobilisées l’on prend chez nous jusqu’à 31 ans, marié; j’en ai 32 et j’attends, à midi visite à mon père et déjeuner avec lui. puis promenade au Luxembourg; visite au parc d’artillerie de la Garde nationale. visite à Mme Chevrier, Léon, Fanny. Le soir assesseur à la salle Bourdon.
Lundi 14. 58e journée du siège. Le matin, formation par escouades des compagnies de guerre. à 10h. visite à Tolain à la mairie du Prince Eugène [bientôt Voltaire] XIe arr. J’y trouve Camélinat [Zéphyrin Camélinat, bronzier, internationaliste et futur directeur de la Monnaie pendant la Commune] au bureau de l’armement et Perrachon [Blaise Perrachon, un des fondateurs français, avec Tolain d’ailleurs, de l’Association internationale des travailleurs] au magasin d’équipement. paie 3 f. beau temps. J’annonce à Bourdon la reprise d’Orléans.
Mardi 15. Exercice à 2h. paie1,50. sur ma proposition la réunion publique de la salle Bourdon renomme son comité. Je suis réélu. Voir pour la liste le 208e jour.
Et en effet, à la date du 27 juillet, 208e jour, une liste qui correspond sans doute mais est titrée
réunion r. des Blancs Manteaux 32 à la chambre syndicale
Amouroux, r. des Blancs Manteaux, 32
Montelle, r. de la Cerisaie, 12
Garnier, r.
Gérardin
Clémence, rue des Juifs 19
Goudechaux Lévy
Gotzinski
Pied-noir
Alexandre Lévy
Leveau
Marchal
Thierry
[Amouroux et Gérardin seront avec Clémence, et Arnould et Lefrançais, les élus de l’arrondissement à la Commune]
Mercredi 16. 60e jour du siège. Beau temps. Le matin, visites à Tolain, Perrachon et Camélinat [au onzième], puis à Murat [dixième] puis chez Charles [le beau-père] paie 1,50. Exercice de 2 à 5. Chaveau explique les tirailleurs, le soir pluie. Le soir, préside à Bourdon. Explications et négociations pour le gaz et la location.
Jeudi 17. Le matin visite à Jeanperin [peut-être le Jean Perrin vu le 17 octobre], au comité à 11h1/2. Temps assez beau, à 2h exercice lequel se résume en un commencement de jonction des deux compagnies ée et 3e du 96 en une seule laquelle formera la 9e du 96e
Vendredi 18. 62e jour de siège, beau, paie 3frs. à 8 h réunion pour la garde en ville à l’état major du secteur, r. Michel Bizot. retour pr déjeuner par le chemin de Vincennes. retour à l’Etat major en chemin de fer [le chemin de fer de Vincennes, le long de l’avenue Daumesnil jusqu’à la Bastille] avec Fauris. détaché à la poudrière.
Samedi 19. nuit de vendredi à samedi pluvieuse, campé sous des tentes. mot de ralliement Laval, relevé de garde à 10 h. retour à Paris avec la Compagnie de garde par le chemin de Vincennes. en rentrant je me couche. le soir je vais à Bourdon, le gaz est supprimé et remplacé par des lampes et bougies.
Dimanche 20. 64e jour du siège, temps beau, réunion le matin à la place des Vosges avec une partie de la 3e Compagnie. recette de ma société [des relieurs] chez Chapalain. Le soir visite chez P. Vinçard, j’y trouve Séguin
Lundi 21. Temps beau et pluvieux dernier jour de la 2e compagnie, paie 3f, réunion place des Vosges à 3h. Le soir nous mangeons des crêpes, après déjeuner je me promène avec Léonide et Georges. le soir à Bourdon je suis 3e assesseur.
Mardi 22. 66e jour du siège. Désormais je fais partie de la 9e Cie du 96e. Forte pluie, pas d’exercice, paie retardée d’un jour. Le soir à Bourdon je suis caissier, longue séance.
Mercredi 23. Temps pluvieux. J’achète plusieurs journaux, à midi réunion rue de Fourcy au comité. Rassemblement à 2h de la 9e Compagnie. Discution [sic, toujours] sur les conseils de famille anciens encore en exercice. paie 1,50. Le soir, visite de Fauris et de son ami à Bourdon, il lit un discours et j’en prononce un sur divers sujets.
Jeudi 24. 68e journée du siège. Temps beau. Le matin visite à mon père avec Georges; j’y déjeune soupe à la graisse, une crêpe, du petit raisin confit, une petite trempette de vin sucré, 1 petit verre de rhum. Le tantôt exercice gare d’Orléans. paie 1,50
Vendredi 25. Temps pluvieux. Garde aux remparts bastion 5, déjeuner avec Latouche et Gitard, passage du 1er régiment des volontaires de Belleville se rendant à Créteil, paie 1,50, garde de 4 à 6 h du soir; souper avec une chopine de vin sucré. nuit plaisante à cause du père Boucquain. nous dormons sur des matelas.
Samedi 26. 70e journée du siège, matinée pluvieuse, soupe à l’oignon pour déjeuner, retour à la place Royale (des Vosges) [nommée des Vosges pendant la Révolution, elle s’était alternativement appelée Royale et des Vosges, Royale sous l’Empire et des Vosges maintenant] à 11h. paie 1,50. Courbature et diarhée [sic]. visite de Fauris. je nettoie mon fusil. Visite au Capitaine Egasse pour entrer dans les Compagnies de marche. Élection du conseil de famille.
Dimanche 27. Temps beau. Je me lève tard. Je rencontre Egasse qui m’invite à faire les démarches près de mon capitaine (Vernet) pour entrer dans sa Compagnie (1re de marche), promenade avec Cahen Silvain. Le soir, assesseur à Bourdon, j’y parle et propose de faire marcher en avant toutes les troupes de police.
Lundi 28. 72e journée du siège, à midi réunion au local (nouveau) des vareuses, rue de Fourcy 6, pour la dernière fois démission de Thierry. Le soir réunion à Bourdon, séance tumultueuse, temps beau.
Mardi 29. temps beau, le matin convoqué à l’improviste pour une destination inconnue; départ de la place des Vosges à 8h. piquet avenue de Vincennes de 9h à 4h ou nous allons camper dans les baraques des mobiles. distribution de 7,60c par Compagnie. Scènes de désordre dans la barque, forte canonade dans la nuit entre Charenton et Issy.
Mercredi 30 80e journée du siège, très beau temps froid. Le matin très forte canonade, descente du piquet à 10h. rencontre de nombreuses voitures et troupes d’ambulance. Je me couche; la canonade continue; me lève à 3h1/2, vais au rapport et apprends que de nouveau je suis de piquet demain, nouvelles bonnes
(à suivre)
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Le carnet est aux archives de la préfecture de police (dossier Ba 1013), et c’est lui qui sert de couverture à cet article.