Suite des articles précédents.

Je ne sais pas ce qu’a fait Adolphe Clémence pendant la semaine sanglante.

Du IVe arrondissement, trois de nos collègues, Arthur Arnould, Amouroux et Clémence sont absents, envoyés en missions diverses par le Comité de salut public.

… dit Lefrançais.

Puis il se cache. De l’avis de la police, le fait que la concierge de son immeuble était la tante d’Augustin Avrial n’y est pas pour rien. Toujours est-il que, dès le 2 août, il est signalé en Suisse. Il s’installe à Lausanne avec sa femme Léonide et leur fils Georges, qui a trois ans et demi. Il y vit sous le nom de Roussel et correspond avec son ami Antoine Fauris. Il donne des informations précises sur le logement, sa femme s’acquitte très bien de la cuisine, il va chercher l’eau, il se promène avec son fils Georges et en famille, ce qui ne les empêche pas de penser aux amis morts à Paris.

Il écrit

  • un texte De l’antagonisme social, qu’il ne prononce pas au Congrès de la Paix, mais qui est publié par l’imprimerie Guillaume à Neuchâtel,
  • une lettre au président de la république, datée du 13 septembre et adressée à un rédacteur d’un journal et dont je ne sais pas s’il l’a envoyée,

Monsieur le Président,

En présence du sentiment public qui réclame du gouvernement siégeant à Versailles la mise en liberté des citoyens emprisonnés pour avoir servi la Commune de Paris.

Considérant que ces détentions motivées seulement par des considérations d’ordre politique n’ont plus, maintenant que Paris est désarmé et soumis au régime de l’état de siège, leur raison d’être.

Qu’elles privent de leur soutien naturel plus de trente mille familles.

Qu’elles ont causé et maintiennent à l’état permanent une crise industrielle et commerciale dont les résultats désastreux sont ressentis dans toute la France.

Croyant d’autre part que si le gouvernement n’a pas encore déféré aux justes désirs de la grande majorité des citoyens c’est parce qu’il sait sur quelles personnalités il doit faire retomber la responsabilité des actes du gouvernement vaincu.

Le soussigné déclare:

  1. Qu’ayant été nommé membre du Comité central de la garde nationale de Paris par les délégués de son arrondissement il en accepte, au nom de cet arrondissement, toute la responsabilité jusqu’à l’installation du gouvernement communal.
  2. Que huit mille électeurs du même arrondissement l’ayant nommé membre de la Commune de Paris, tandis que MM. Louis Blanc, Vautrain et la municipalité alors en exercice ne réunissaient que cinq mille suffrages, il a cru devoir accepter ces fonctions dont il assume sur lui la responsabilité jusqu’au 23 mai. Cette responsabilité restant entière pour l’administration du quatrième arrondissement, mais étant restreinte comme membre de la Commune aux seules décisions qu’il a votées et aux mandat qu’il a acceptés.

En conséquence le soussigné propose de se constituer prisonnier entre les mains du gouvernement de Versailles à la condition que tous les citoyens appartenant au quatrième arrondissement de Paris, détenu pour avoir obéi aux ordres de la Commune, seront rendus à la liberté dès qu’il se sera mis entre les mains du pouvoir actuel.

Le membre de la Commune de Paris

élu par le quatrième arrondissement

Adolphe Clémence

rue des Juifs, n°19

  • surtout, il recueille ses souvenirs pour écrire un livre « sur ce qui s’est passé ».

Il lit beaucoup. Il occupe un emploi à Neuchâtel (où il fait la connaissance de James Guillaume), puis à Lausanne. Il apprend la comptabilité avec son ami Gustave Lefrançais. Tous deux travaillent, avec d’autres communards dans le bureau de Paul Pia, communard lui aussi, à la liquidation d’une société de chemin de fer suisse. Il rencontre Jules Vallès lorsque celui-ci passe à Lausanne à la fin 1872 et un peu plus tard à Londres — lui et sa femme y sont en mai 1873, avec un projet de publier des livres bon marché, mais ça ne doit pas marcher et ils retournent en Suisse. Entretemps, le 28 novembre 1872, un conseil de guerre l’a condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée.

Ici il est impossible de ne pas citer des notes prises par Descaves au cours d’une conversation avec Nathalie Lemel, beaucoup plus tard (avril 1911):

Clémence, médiocre ouvrier relieur [ce qui ne semble pas cadrer avec la direction du livre sur la reliure aux expositions, voir aussi l’avis de Lefrançais ci-dessous]

ne put gagner sa vie, à son retour à Paris, sa compagne se suicida, inquiète du lendemain. Elle était modiste et avait fait la proscription avec lui [il n’y a aucun doute que, au moins au temps des lettres à Fauris, c’est avec sa femme Léonide, relieuse, que Clémence vivait]

Pas belle, un peu bossue

De sa femme, dont il était séparé, il avait eu un enfant, qui est mort après eux.

Clémence mort du diabète.

Mais nous n’en sommes pas là.

De retour à Lausanne, il travaille à la Banque vaudoise.

À un certain moment, d’après les notes de Lefrançais, sa femme ouvre une boutique de mode. La modiste? Lefrançais lui attribue d’avoir fait supprimer un règlement hypocrite qui interdisait aux commerces (et débits de boisson) d’ouvrir le dimanche pendant les offices religieux.

En 1877, il écrit un texte « à la mémoire de Adolphe Thiers, président de la république versaillaise » (voir l’article suivant).

Il ne rentre pas à Paris immédiatement après l’amnistie. Mais, si je lis bien le calepin des propriétés bâties, c’est un(e?) Clémence qui reloue l’appartement du beau-père Charles Oblet (mort le 3 mars 1879) en 1880. Léonide après une séparation d’avec son mari?

Il revient à Paris le 18 mai 1885. Cette date est bien documentée: un télégramme annonce son arrivée et des policiers le suivent pas à pas pendant ses premières journées à Paris, et notent en particulier qu’il rencontre Lefrançais. Pourtant, ce dernier dit qu’Adolphe Clémence ne rentre à Paris qu’en 1886. Il est possible qu’il ne se soit agi que d’une courte visite.

Son article sur Eugène Varlin paraît dans la Revue socialiste en 1885.

Il meurt le 4 février 1889. Il n’a pas encore 51 ans. Peut-être du diabète? L’acte de décès dit qu’il est mort au domicile conjugal, 54 rue de Seine. Sa femme Léonide est dite relieuse. Son fils Georges, 22 ans, qui vit, lui, rue des Juifs, déclare le décès avec Gustave Lefrançais. Il est enterré le 6 février au cimetière parisien de Bagneux. Voici ce qu’a dit, d’après La Justice du 8 février, Lefrançais au cimetière:

La vie de l’ancien membre du comté central et de la Commune de Paris qui vient de mourir n’offre dans cette partie de son existence rien de caractéristique.

Il n’a droit — comme la plupart de ses collègues — qu’à cette simple mention: il remplit son mandat avec constance et fidélité et ne trahit point les 8,000 électeurs qui, dans le quatrième arrondissement, le lui avaient confié.

C’est quelque chose, sans doute, par le temps de cynisme et de trahisons effrontées que nous traversons depuis plusieurs années.

C’est donc surtout du travailleur qu’il nous paraît intéressant de dire quelques mots.

Ouvrier relieur — comme son ami Varlin, — il était devenu un véritable artiste dans sa profession.

Comme Varlin également, il fit partie des premiers groupes de l’Internationale à Paris.

Chargé par sa corporation de faire un rapport sur l’état de la reliure à l’Exposition universelle de 1867, il écrivit une histoire de cet art dans un livre rempli de documents instructifs et d’aperçus encore plus intéressants.

Cette publication, très estimée des bibliophiles, est malheureusement devenue introuvable maintenant.

Réfugié à Lausanne à la suite des événements de 1871, il y demeura près de quinze ans — sauf un court séjour à Londres.

Rentré à Paris vers la fin de 1886, il y reconquit bientôt une position modeste, mais des plus honorables, auprès des amateurs de bonnes et belles reliures.

Officieusement consulté par les délégués du Conseil municipal chargés d’élaborer le projet de création d’une « École du livre », Adolphe Clémence leur fournit de remarquables renseignements techniques sur les moyens d’établir cette école dans de bonnes et durables conditions.

Terminons cette courte notice en disant que tous ceux qui connurent Adolphe Clémence, soit comme amis, soit comme camarades de lutte, soit même à titre de simples clients, se prenaient bientôt d’estime et d’affection pour cet homme d’une conscience droite, d’un esprit judicieux et, par-dessus tout, d’une véritable bonté.

Léonide lui survit jusqu’au 8 décembre 1902. Aucun parent ne va déclarer sa mort. L’acte la dit sans profession — elle est trop âgée –, elle est revenue dans le quatrième, 16 place des Vosges.

Dans l’article suivant, je redonnerai la parole à Adolphe Clémence pour son « hommage » à Thiers.

*

Merci à Éloi Valat qui a fait le portrait d’Adolphe Clémence pour « nous » (vous et moi)!

Les lettres d’Adolphe Clémence à Antoine Fauris ainsi que la lettre au président de la république sont dans le fonds Descaves à l’International Institute of Social History d’Amsterdam. Les notes de Descaves sur Nathalie Lemel aussi.

Le calepin des propriétés bâties est aux Archives de Paris, ainsi bien sûr que les actes d’état civil (mais on peut lire ceux-ci en ligne).

Livres et articles cités ou utilisés

Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).

Guillaume (James), L’Internationale, documents et souvenirs (1864-1878), Stock, Paris (1905-1910).

Clémence (Adolphe)De l’antagonisme social, ses causes et ses effets : discours n’ayant pu être prononcé au congrès de la paix et de la liberté, Guillaume, Neuchâtel (1871).

Délégation des ouvriers relieurs, La Reliure aux expositions de l’industrie, 1798-1862, Paris, chez Adolphe Clémence, 1868.

Lefrançais (Gustave) et Arnould (Arthur)Souvenirs de deux communards réfugiés à Genève, 1871-1873 ; présentation par Marc Vuilleumier, Genève, Collège du travail (1987)

Clémence (Adolphe), Eugène Varlin, La Revue socialiste, 1885