Adolphe Clémence a cessé de tenir son journal le 18 mars 1871. Membre du Comité central de la garde nationale, il a sans doute eu alors trop à faire.
Pour commencer, il a dû batailler à la mairie du quatrième, comme s’en est souvenu Gustave Lefrançais:
Membre du Comité central et délégué par celui-ci dans l’arrondissement pour y faire exécuter ses décisions, il s’est montré très résolu dans les démêlés que ses collègues et lui ont eus avec l’ex-maire Vautrain et son entourage réactionnaire.
Il a été élu à la Commune, le 26 mars, avec 8163 voix (800 de moins que Lefrançais), il y avait 32 000 inscrits dans l’arrondissement (le huitième des voix était donc 4000) et 13 910 votants ce jour-là.
Puis… il reste à consulter les procès verbaux des séances de la Commune à l’Hôtel de Ville.
Avec précaution. Pour commencer, il est « absent » à la première réunion, après la fête de la proclamation le 28 mars, mais… il intervient
Pour le maintien de la note du Comité.
— c’est-à-dire pour respecter le fait qu’il faut un huitième des voix pour être élu. Dès le lendemain, il intervient (comme membre des deux, ainsi que Boursier, Arnold et Lavalette) sur les attributions respectives de la Commune et du Comité central.
Le 1er avril, il demande (avec Arnould et d’autres) que soit fait un compte rendu analytique des séances. L’absence de mention de son nom dans les jours qui suivent ne prouvent pas qu’il est absent, tout juste qu’il n’intervient pas. Il lui arrive de faire des observations sur le PV de la fois précédente — c’est donc qu’il était présent cette fois-là!
Il semble s’être surtout occupé, au début, de la mairie du quatrième, ce qui explique qu’il n’ait pas été membre d’une commission. Voici ce qu’il propose, justement, le 13 avril:
Lorsqu’une commission appliquera une mesure intéressant une municipalité, nous demandons que les membres de la Commune de l’arrondissement en soit prévenus.
Le même jour, il approuve une proposition de Lefrançais sur les « corps francs » mais rejette une autre proposition, du même Lefrançais, tendant à ce qu’un membre du comité d’arrondissement remplisse les fonctions d’officier d’état civil.
Ce sont bien les élus qui ont rempli ces fonctions. Dans le quatrième, Adolphe Clémence a célébré seize mariages pendant la Commune — Gérardin en a célébré dix-sept et Arthur Arnould un.
À l’Hôtel de Ville, il prend part à la discussion, le 14 avril, d’un projet de loi selon lequel toute arrestation doit être notifiée au délégué à la justice.
Le 19, il est question des élections complémentaires, qui ont eu lieu le 16, et pour lesquelles peu d’électeurs se sont déplacés, faut-il considérer comme élus des candidats qui n’ont pas obtenu les voix d’un huitième des inscrits? Adolphe Clémence pense que non, et il demande un vote nominal sur ce point. Le vote donne 26 voix pour et 13 contre. Le lendemain, il intervient à nouveau parce que le vote nominal ne figure pas au procès verbal (on le trouve aujourd’hui dans les annexes).
Le 21, il est élu à la délégation à la justice.
Le 22 avril, il est de ceux qui refusent d’interdire les démissions et il soutient la demande de Parisel de former une nouvelle délégation (cette demande est citée dans un article ancien de ce site).
Preuve de sa présence à la délégation, un papier conservé dans les archives de Lucien Descaves, à entête de cette délégation, 13 place Vendôme, sur lequel il a rédigé le 24 avril un projet de décret de la Commune, dont voici le premier article:
Les habitants des quartiers bombardés, sans asile, seront logés dans les propriétés appartenant aux membres du gouvernement de Versailles décrétés d’accusation.
Mais c’est un décret un peu différent (il est question de tous les logements abandonnés) et proposé par Benoît Malon qui est adopté ce 24 avril.
Le 1er mai, il est avec les minoritaires.
Le 12 mai, on discute du travail effectué pour la Commune. Si Leo Frankel, le délégué au travail, justifie sa demande que les marchés soient confiés à la commission du travail et de l’échange par de belles et fortes paroles
Nous ne devons pas oublier que la Révolution du 18 mars a été faite exclusivement par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, nous qui avons pour principe l’égalité sociale, je ne vois pas la raison d’être de la Commune.
Adolphe Clémence intervient dans la discussion de façon très concrète
Dans la IVe arrondissement, on payait, sous le gouvernement du Quatre-Septembre, les vareuses 4 francs. Aujourd’hui, on ne les paie plus que 2 fr. 75. Je demande que l’Intendance soit mise en demeure de rétablir les prix de façon plus rémunératrice et que l’on ouvre des ateliers de confection pour les femmes.
Nous avons vu en effet qu’il s’était occupé des ouvrières fabriquant les vareuses pendant le siège de Paris (voir son carnet en octobre et novembre 1870).
Il fait, donc, partie des signataires du manifeste de la minorité. Il intervient dans une discussion un peu houleuse, pour trouver « un danger sérieux » le fait que le Comité de Salut Public puisse nommer et destituer les délégués. À la réunion suivante, deux jours plus tard, il échange « quelques paroles assez vives » avec Jules Miot.
Plus intéressante est la réunion du 20 mai.
Ce jour-là, avec ses collègues élus du quatrième et en vertu de leur « mandat impératif », il se présente devant les électeurs au Théâtre lyrique. Ils rendent compte de leurs actions. Adolphe Clémence:
Comme je me suis spécialement occupé, avec le citoyen Arnould, de la Garde nationale, je demande à répondre aux justes interpellations qui nous sont adressées. Je n’ai pas rédigé le rapport; il y a eu certainement des oublis. Ce matin, j’ai reçu le 212e et je l’ai félicité de son attitude à Vanves. Quoiqu’appartenant au 96e, je peux affirmer qu’il a fait son devoir. Le 22e bataillon est allé à Vanves et je ne crois pas non plus qu’on puisse lui reprocher d’y avoir manqué. Le 53e qui est allé à Issy, a eu beaucoup à souffrir du feu des Versaillais. Depuis quatre jours, je demande un rapport au commandant, mais comme il n’était pas sorti, ce rapport se fait attendre. j’ai demandé le remplacement de ce commandant. (Applaudissements)
Le 22e était le bataillon commandé par Jean-Baptiste Noro, le mari d’Émilie Noro, je renvoie au Journal officiel du 12 mai pour un exemple de ce que le bataillon avait vécu à Vanves.
Le 94e bataillon, qui est à Passy en ce moment, est sorti depuis trente-trois jours. Il est allé tantôt à Issy, tantôt au Point-du-Jour. Nous avons réclamé plusieurs fois au Ministère de la Guerre pour le faire rentrer et le faire remplacer par un autre bataillon de l’arrondissement. Je dois vous dire qu’au Ministère de la Guerre, on désire que les choses ses passent d’une manière régulière et administrative.
Citoyens, ce n’est pas la faute de vos représentants au IVe arrondissement. Je n’ai pas présents à la mémoire tous les numéros des bataillons.
La discussion continue sur les bataillons, en particulier sur le nombre de gardes des bataillons qui sont effectivement allés se battre. Puis Lefrançais porte le débat sur la déclaration de la minorité (quatre des cinq élus de l’arrondissement l’ont signée). La discussion est riche et animée. Un extrait de ce que dit Adolphe Clémence:
Il ne faut pas que la minorité se perde dans des discussions; on doit réserver les questions de doctrine. Les mesures actuelles doivent être provisoires; donc nous n’avons pas fait de philosophisme à la Commune, nous avons demandé que l’action fût immédiate et que les décrets fussent provisoires. Quand la lutte sera terminée, nous discuterons; mais maintenant il faut agir. […] Je crois que les pouvoirs étendus, absolus, accordés au Comité de salut public, sont en opposition avec le mandat que j’ai reçu de mes électeurs. […] il n’y a pas scission. Nous acceptons toutes les responsabilités, même celle des actes de la majorité. Nous sommes la minorité, mais nous n’entraverons pas l’action, au contraire, nous la seconderons de tout notre pouvoir. (Applaudissements)
Et enfin:
Si vous déclarez que vous jugez qu’il est de l’intérêt de la Commune que nous retournions à la Commune, nous n’avons qu’à nous incliner devant ce vote, mais nous n’avons rien à retrancher.
L’assemblée vota, résume Arthur Arnould, qu’elle regrettait la scission et qu’elle désirait que les élus reprennent leurs sièges à la Commune. Étonnamment, il dit n’avoir jamais vu le compte rendu de cette réunion au Théâtre lyrique (deux sténographes avaient pris des notes), qui avait été conservé par Adolphe Clémence et a été reproduit avec les procès verbaux.
Et en effet, ils retournèrent à l’Hôtel de Ville, le lendemain 21 mai — pour la dernière réunion de la Commune.
(à suivre)
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Le 1er avril 1871 à 11 heures cinq, Adolphe Clémence a marié un employé à la pharmacie centrale et une couturière. Leurs signatures sur l’acte (archives de Paris) servent de couverture à cet article.
Livres utilisés ou cités
Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire; préface de Lucien Descaves, Les Temps nouveaux (1902), — Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).
Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel), Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).