De Paule Minck, j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce site. J’ai utilisé une photographie d’elle pour illustrer un article sur Philémon de Lucien Descaves (qui en donne une image un peu falote), un dessin inédit d’Éloi Valat pour illustrer (des traces policières de) son passage dans les réunions publiques entre 1868 et 1870. Un autre portrait d’elle par Éloi Valat fait la couverture de son livres Louises et donc apparaît en couverture de mon article consacré à ce livre. Elle est aussi apparue dans le premier des articles que j’ai consacrés aux souvenirs de prison d’Émilie Noro, puisqu’elle a eu deux enfants avec Jean-Baptiste Noro, le mari d’Émilie, après la Commune, à Genève.

Elle a eu une vie assez dispersée géographiquement, et différentes relations amoureuses. La nature de ses relations avec la famille Noro nous est assez mystérieuse: Jean-Baptiste a des enfants à peu près en même temps avec Paule et avec Émilie, il semble que ce soit alors de notoriété publique, il ne reconnaît pas les enfants de Paule, Émilie n’y fait pas allusion dans ses souvenirs, on ne sait pas comment l’une et l’autre vivaient cette situation. Même les mouchards ne nous « renseignent » pas sur ce qui est peut-être tout simplement un heureux ménage à trois — ils n’hésitaient pourtant pas, au temps des réunions publiques, à imaginer ce que Paule faisait peut-être au lit avec une amie qui l’hébergeait (une institutrice nommée David, peut-être Marie David, la femme de Napoléon La Cécilia). Il est difficile d’en parler davantage sans faire du roman.

C’était une petite femme courageuse, vaillante, pleine de qualités, et qui n’a pas eu une vie très heureuse.

J’ai récemment appris pas mal de choses sur elle sans me fatiguer à les chercher, puisque Pierre Nourissier, un des descendants de Paule Minck (et de Jean-Baptiste Noro), a eu la générosité de me faire profiter des recherches qu’il a menées sur son arrière-arrière-grand-mère, principalement dans l’état civil et aux archives de la Préfecture de police.

J’ai donc décidé de lui consacrer quelques articles. De façon un peu chronologique.

Clermont-Ferrand. C’est là qu’elle nait, le 9 novembre 1839. Son nom de naissance est Adèle Pauline Edwige Mekarski — noter que, en polonais, il y a une petite cédille sous le e, de sorte que la prononciation est Menkarski, ce que l’on entend dans le pseudonyme Mink, ou Minck, qu’a pris Paule (elle choisit ce prénom). Son père s’appelle Jean Népomucène Mekarski, a émigré de Pologne après l’insurrection polonaise de 1830, sa mère se nomme Jeanne Blanche Cornélie Delaperrierre. Elle a deux frères, Jules et Louis (ce dernier a inventé le tramway à air comprimé qui porte son nom, tramway Mékarski).

Paris. La famille y arrive en 1856. Paule « épouse civilement » (l’état civil de cette époque ayant brûlé en 1871, il n’y a pas moyen de confirmer cette information, c’était peut-être une union libre) Paul Thadée Ignace Bohdanowicz, un ami de son père professeur à l’école polonaise (où ses deux frères sont élèves. Elle a 17 ans, il en a 39.

Pologne1863, insurrection polonaise. Paule accompagne son mari et son frère Jules combattre l’empire russe. Elle est enceinte, c’est peut-être la raison pour laquelle elle épouse (à nouveau?) son mari (et en Pologne, le mariage se contracte dans une église catholique), et c’est probablement la raison pour laquelle elle rentre à Paris.

Paris1864. Paule accouche le 13 juillet 1864, au domicile conjugal (même si son mari est à « Bucharest (Valachie) »), 66 rue du Rocher, et c’est le mariage polonais qui est mentionné dans l’acte de naissance de Anna Jeanne Edwige Bohdanowicz.

Paris1867. Première intervention en public de Paule Minck.

D’une voix grêle et vibrante, douce et remarquablement distincte, […] elle traita de l’influence néfaste des superstitions catholiques. […]

Elle émailla son argumentation d’anecdotes, quelques-unes malicieusement contées. Cette oratrice fluette avait de la chaleur de conviction, une grande pitié communicative, et parfois un peu d’espièglerie. Elle gagna tout de suite les sympathies de l’auditoire.

(s’est souvenu, trente-quatre ans après, Albert Goullé, qui y était, dans L’Aurore). Après la loi autorisant les réunions publiques en 1868, elle devient une conférencière assidue (voir mon article sur ce sujet), défendant les droits politiques des femmes. Alain Dalotel a compté qu’elle avait été soixante-seize fois à l’ordre du jour des réunions publiques, il signale aussi qu’elle a adhéré à l’Association internationale des travailleurs en 1869. Selon un rapport de police, elle habite en ce temps-là rue de Nys (à la Folie-Méricourt) chez une institutrice (ce que j’ai mentionné ci-dessus).

Londres1869. On note cependant quelques mois d’absence entre les réunions  dans lesquelles elle intervient (entre le 21 avril et le 23 octobre). Au cours de ceux-ci, elle se rend à Londres (pour une raison inconnue) et (pour une raison encore plus inconnue)… épouse à nouveau son mari (mariage dans une église suisse réformée, cette fois) le 2 juin. Elle publie un petit pamphlet, Les Mouches et les Araignées. L’araignée représente l’empire, le clergé et le capital, la mouche est le peuple.

Paris1870. Le 12 février, elle accouche d’une deuxième fille, Jeanne Vanda Zdobysclava, son mari et son père vont déclarer la naissance à la mairie du dix-huitième: le domicile conjugal est maintenant 26 rue Lepic.

Auxerre1870. On ne sait pas où est son mari. Elle se trouve chez son frère Louis, qui travaille à la compagnie de chemins de fer PLM quand la guerre commence, le 19 juillet. Je cite toujours Albert Goullé dans L’Aurore.

Le conseil municipal hésitait à organiser la résistance, jugeant, comme firent ceux de beaucoup d’autres cités, que mieux valait mériter le mépris que la colère du vainqueur. Les possédants approuvaient, la population ouvrière grondait. Paule Mink vient à la mairie, pénètre dans la salle du conseil, harangue les conseillers.

— Mais que dit le peuple, demande l’un d’eux.

— Il dit, répond-elle, que vous êtes des lâches.

Et elle décide la municipalité à prendre immédiatement des protections pour la protection de la ville. Elle-même fit le coup de feu contre les Allemands et fut blessée.

Et nous arrivons ainsi au siège de Paris et à la Commune.

Paris1870. Paule Minck rentre d’Auxerre à Paris. Sa plus jeune fille, Vanda, reste chez une nourrice à Auxerre. 1871. Pendant la Commune, elle intervient dans des clubs, à Notre-Dame de la Croix (Ménilmontant), à Saint-Sulpice (en mai), elle fonde peut-être une école à Montmartre, et elle voyage comme propagandiste de la Commune en province.

Auxerre. Mai 1871. Elle se trouve à Auxerre à la fin de la semaine sanglante.

Après la défaite et l’écrasement des communards, elle est poursuivie. Elle réussit à gagner la Suisse, cachée dans le tender d’une locomotive.

C’est toujours Albert Goullé, dans L’Aurore du 1er mai 1901, qui raconte cette histoire, qui pourrait sembler rocambolesque si on ne se souvenait que le frère de Paule qui vit à Auxerre est ingénieur des chemins de fer et a sûrement eu les moyens d’organiser une telle fuite.

À l’époque, tous les trains en direction du midi font un arrêt à Laroche-Migennes et à Dijon pour changer de locomotive. Louis, le frère de Paule Minck, ingénieur du chemin de fer du PLM, réside à Auxerre à 20 km de là. Avait-il obtenu la complicité de la gare pour cacher sa sœur ?

Ce commentaire est dû à Pierre Nourissier, ancien cheminot et descendant de Paule Minck, mon informateur pour cette série d’articles. Le 30 mai, après le départ de Paule, sa fille (Vanda) Jeanne meurt chez sa nourrice à Saint-Georges-sur-Baulche. L’oncle Louis Mékarski et le mari de la nourrice déclarent le décès, la mère est nommée Adèle Mékarski, demeurant à Paris (et le père habite à Bucharest, toujours en Valaquie).

Les années suivant la Commune feront l’objet de l’article suivant.

(à suivre, donc)

*

J’ai utilisé les notes et les recherches de Pierre Nourissier, que je remercie, l’état civil de Paris et l’article (nécrologique) d’Albert Goullé dans L’Aurore du 1er mai 1901, ainsi que le petit livre d’Alain Dalotel (qui n’est pas exempt d’erreurs mais contient des textes de Paule Minck).

Minck (Paule)Les Mouches et les araignées; Le Travail des femmes  et autres textes; préface, notes et commentaires Alain Dalotel, Syros (1981).

L’image de couverture représente un des lieux où Paule Minck a vécu à Paris à la fin du second empire. Je l’ai trouvée sur le site du musée Carnavalet, là.