Oui, c’est une blague.
Et d’ailleurs, ce n’est même pas vraiment le titre de l’article de notre journaliste.
Nous sommes en janvier 1907. Il y a à peine plus d’un an, le 9 décembre 1905 a été adoptée une loi séparant l’église et l’état en France. Presque trente-cinq ans après la Commune de Paris… Il est temps de modifier les pièces de monnaie, qui portent, sur la tranche, « Dieu protège la France ». C’est ce dont nous parle Maxime Vuillaume, dans cet article publié par L’Aurore le 9 janvier 1907. Cela lui a rappelé des choses…
DIEU PROTÈGE LA FRANCE!
Que de bruit pour rien, ou du moins pour bien peu de chose. Il paraît — cela même est certain — que le nom de Dieu ne figurera plus sur nos pièces de monnaie. On commence par les louis d’or. La vieille et catholique devise « Dieu protège la France » sera, sur la tranche des dits louis, remplacée par la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ce modeste changement dans la confection de nos pièces d’or — en attendant qu’il en soit de même pour les pièces de cent sous — suffit à soulever des tempêtes. Les bonnes gens qui se voilent la face ne se demandent même pas si l’Éternel a réellement protégé la France, ou s’il a protégé nos voisins. La réponse est, pourtant, hélas! au désavantage de Dieu. Visiblement, Dieu ne nous a guère protégés. Il nous a carrément laissé battre en 1870. Alors, pourquoi lui conserverions-nous notre reconnaissance ?
Ce raisonnement, si simple cependant, l’honorable doyen de la Chambre, M. Louis Passy, ne l’a pas fait. Il nous a parlé longtemps, dans son discours d’hier, de l’affront que vient de faire M. Caillaux au maître de l’univers. Car c’est d’après les ordres du ministre des finances que la devise disparaît de nos pièces de monnaie. M. Louis Passy admet peut-être que le nom de Dieu puisse être supprimé, mais il voudrait qu’il le fût seulement quand, sur toute l’étendue de notre globe, il ne resterait pas un seul du milliard et demi de ses habitants qui croie encore en Dieu. Nous avons, aux yeux du respectable doyen, le tort de nous singulariser. Il fallait attendre. Nous aurions, il est vrai, risqué d’attendre longtemps. Et puis, il faut bien que quelqu’un commence. Nous avons pris les devants. Aux autres de suivre, si cela, leur plaît et quand cela leur plaira. Nous ne forçons personne.
Il nous revient, au sujet de cette disparition du mot Dieu sur nos pièces, de monnaie, une petite anecdote assez piquante. C’était en 1871, sous la Commune. Le directeur de la Monnaie, nommé par le gouvernement insurrectionnel, notre ami Camélinat, qui fut depuis député de Belleville, avait fait frapper pour quelques centaines de mille francs de pièces de cent sous. On nous en avait apporté une — que nous possédons encore — toute reluisante, sortant de la frappe. Horreur! sur la tranche, figurait toujours le fameux « Dieu protège la France ». À quelques jours de là, nous rencontrions Camélinat. Il nous expliqua que, pressé par le temps, il lui a été impossible de faire graver de nouveaux flans. Il s’est servi des anciens, et aussi de l’ancienne tranche, portant la légendaire devise. Pas moyen de faire autrement? — Vrai, dit l’un de nous, tu n’aurais même pas pu changer un seul mot? — Non. — C’est bien dommage, car au lieu de « Dieu protège la France », tu aurais pu, tout au moins, mettre « Dieu protège la Commune ! » C’était, en effet, une solution. Il a fallu trente-cinq ans pour que cette maudite tranche soit définitivement révisée. Tout est bien qui finit bien.
MAXIME VUILLAUME
*
Je n’ai pas trouvé d’image qui montre la tranche de la pièce de cent sous de Zéphyrin Camélinat. La voici en couverture, côtés pile et face.
Le côté face, dessiné par Augustin Dupré, dont on lit la signature, en 1795, représente Hercule, au centre, avec à sa droite la République armée d’une pique et coiffée d’un bonnet phrygien, à sa gauche la Justice portant un niveau triangulaire.
Ce modèle n’était évidemment pas utilisé pendant le second empire et Camélinat a utilisé des « coins » de la deuxième République (1848).
Le côté pile, outre les feuilles de chêne à droite et de laurier à gauche, contient différentes marques, dont, en bas à gauche, la marque propre de Camélinat, son « déférent » comme directeur de la Monnaie, un trident.
Dans Mes Cahiers rouges, Maxime Vuillaume dit que près de cinq cent mille de ces pièces avaient été frappées. Les sites numismatiques d’aujourd’hui parlent de deux cent cinquante-six mille quatre cent dix exemplaires de cette pièce en argent — ce qui fait 1 282 050 francs, Jacques Rougerie parle de 2,4 millions, le double. Ces pièces ont été, si je comprends bien, fabriquées en partie avec des lingots d’argent de la Banque de France et en partie avec l’argenterie impériale. Voyez cette lettre d’Eugène Varlin, le 13 avril 1871 (publiée dans le Journal officiel le 14 avril 1871) :
Ministère des finances. Cabinet du ministre
Citoyens Grelier et Viard,
Je vous envoie les citoyens Mailhe et Perrichon pour enlever l’argenterie que vous avez trouvée et la transporter à la Monnaie, où elle sera confiée à Camélinat pour être transformée dans le plus bref délai.
À vous fraternellement.
E. Varlin
délégué aux finances.
Toujours Maxime Vuillaume, dans Mes Cahiers rouges,
Les pièces de cent sous de la Commune ne furent frappées que le samedi 20 mai. Le lendemain les Versaillais étaient dans Paris.
Le mercredi matin, en pleine bataille, quand les coups de feu éclataient déjà dans le voisinage, par la porte de la rue Guénégaud, deux fourgons sortaient, chargés de pièces, exactement pour 153 000 francs.
Après mille détours, arrêtés à tout instant par les barricades qu’il fallait franchir, les deux fourgons arrivèrent place Voltaire, à la mairie du onzième, où s’était transportée la Commune.
Longtemps après la défaite, un témoin me raconta la scène fantastique. Les combattants de la dernière heure recevant leur solde en pièces neuves de la Commune déjà marquée par la mort.
Les fourgons avaient été abrités dans les cours intérieures de la mairie. On puisait à pleines mains dans les paniers, pleins jusqu’au bord de pièces à peine échappées du balancier.
La même source indique qu’une bonne partie de ces pièces ont été détruites, « rejetées au creuset », ce qui expliquerait leur rareté. Et leur prix: comme j’ai copié l’image de l’Hercule au trident sur le site d’un vendeur, je peux vous dire que, en avril 2020, cette pièce de cinq francs valait… 420 euros.
J’ai bien sûr utilisé
Vuillaume (Maxime), Mes Cahiers rouges, édition intégrale inédite présentée, établie et annotée par Maxime Jourdan, La Découverte (2011).
Mais aussi
Rougerie (Jacques), Paris insurgé La Commune de 1871, Découvertes Gallimard (1995).
Et, pour la lettre d’Eugène Varlin,
Varlin (Eugène), Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).
Cet article a été préparé en mars 2020.