Voici un résumé de l’activité de l’Association internationale des travailleurs et ces premiers jours de la République, un article de Benoît Malon, qui paraît dans La Marseillaise (unique numéro, daté du 9 septembre) — j’ai déjà publié ce texte dans l’article consacré à ce numéro de ce journal. Le revoici:
Les ouvriers de Paris devant l’Invasion
Dans ce moment de formidables épreuves, les ouvriers ont compris que les dissidences doivent s’effacer devant le danger de la Patrie.
Partout ils agissent organisant des réunions publiques pour la défense nationale, se jetant dans la municipalité pour presser l’armement, mettant à l’ordre du jour toutes les mesures urgentes, s’incorporant soit dans la garde nationale, soit dans les volontaires, soit dans la mobile. Il n’y a qu’un seul cri: Des armes! C’est qu’en effet l’heure des grandes résolutions, des grands actes a sonné. La France trahie, accablée, a besoin des dévouements héroïques. La capitale de la Révolution, la ville sainte des peuples est menacée, tous ceux qui sont appelés à l’honneur de défendre Paris doivent avoir fait un pacte avec la mort.
L’Internationale et les sociétés ouvrières sont en permanence place de la Corderie. Elles envoient ce soir des délégués en province pour afficher avant le passage des Prussiens une traduction allemande de leur manifeste au peuple allemand [voir notre article du 6 septembre]. Dès hier matin, elles avaient fait afficher la résolution prise dans la réunion de la rue Aumaire, de pousser à l’organisation des commissions de vigilance dans tous les quartiers. La commission du 15e arrondissement a été nommée hier, dans une réunion de la rue Cornivet [?]; celle du 2e va être nommée ce soir dans la réunion de la rue du Sentier; celle du 17e, demain à la réunion de la rue Berséliers [Berzélius]… Chaque commission se compose de 25 membres dont quatre sont délégués au comité central qui siège provisoirement place de la Corderie.
Dans ce moment suprême nous avons deux grands devoirs, surveiller la réaction au-dedans et défendre Paris, nous n’y faiblirons pas.
B. MALON
La guerre, les réunions de comités (ici on voit se mettre en place un comité central qui sera celui « des Vingt arrondissements »), les revendications, dans un texte si peu cité que je ne peux que le republier (il est aussi paru dans ce numéro fantôme de La Marseillaise), et… l’organisation de l’Association internationale (le texte suivant), nos amis ont pensé à tout… Mais auront-ils les forces de tenir tous ces fronts à la fois?
Les revendications de la chambre fédérale des sociétés ouvrières, d’abord:
Chambre fédérale des sociétés ouvrières et de l’association internationale des travailleurs
Rapport du citoyen Murat au nom de la commission nommée par l’assemblée du 4 septembre, et chargée de présenter au Gouvernement provisoire la résolution votée dans cette séance, à 10 heures du soir.
Considérant que la proclamation de la République doit avoir pour effet de supprimer toute institution d’essence monarchique, invite le Gouvernement provisoire à décréter immédiatement les mesures suivantes:
1° Elections municipales du département de la Seine, immédiatement, au scrutin de liste et par arrondissement;
2° Restitution complète aux citoyens de Paris du soin de leur propre sécurité, par la suppression de la préfecture de police actuelle, de la garde municipale; par l’organisation de la police municipale.
3° Suppression de toutes les lois préventives, fiscales ou répressives de la liberté de la presse, de l’imprimerie et des droits de réunion et d’association.
4° Annulation complète de tous jugements, arrêts et poursuites ayant un caractère politique. Sont considérées comme telles les condamnations encourues à propos des troubles, ou prononcées par des tribunaux exceptionnels.
5° Armement immédiat de tous les Français, sans exception, et organisation de la levée en masse.
Sur tous ces points, les vues du Gouvernement provisoire ont été d’accord avec vos résolutions.
L’une d’elles, celle relative à l’annulation des jugements était déjà prise et publiée au Journal Officiel.
Les autres le seront aussitôt que les soins de l’organisation de la défense lui en laisseront le temps.
L’avant-garde prussienne est à Laon; le point central est donc la résistance à l’invasion, mais le Gouvernement nous a assuré que toutes les résolutions présentées en votre nom étaient arrêtées dans son esprit et seraient formulées en lois d’ici peu de jours.
En conséquence sans perdre de vue la réalisation des principes ci-dessus exposés; en présence des obligations qu’impose à chacun de nous l’invasion de la France, nous vous proposons d’ajourner momentanément nos revendications et d’accorder au gouvernement le temps absolument nécessaire pour les transformer en lois.
La commission: Murat, Landrin (Léon), Gense [Jance?], Hamet, Schneider, G. Durand, Jouhannard [Johannard].
Les conclusions du rapport ont été adoptées à l’unanimité par l’assemblée du 5 septembre.
Président Theis [Theisz], Vice-président Camélinat, Secrétaire A. Clémence
Et la lettre à l’organisation, à usage interne,
Liberté, Égalité, Fraternité
République française
Association internationale des travailleurs
Dans l’impossibilité où nous sommes de répondre à toutes les lettres particulières qui nous sont adressées par les sections départementales de l’Association internationale, nous vous adressons la présente Circulaire comme premier renseignement :
Dans l’époque critique que nous traversons, les événements gigantesques dont nous sommes témoins nous tracent notre ligne de conduite. Le jour des défiances et des dissidences n’est pas venu, nous ne pouvons voir que deux devoirs à remplir : La défense de Paris ; prendre nos précautions contre la réaction étourdie mais non vaincue.
Nous agissons en conséquence.
Par tous les moyens possibles, nous concourons à la défense nationale, qui est la chose capitale du moment. Depuis la proclamation de la République, l’épouvantable guerre actuelle a pris une autre signification ; elle est maintenant le duel à mort entre le monarchisme féodal et la démocratie républicaine. Paris assiégé par le roi de Prusse, c’est la civilisation, c’est la révolution en péril. Nous voulons défendre Paris à outrance.
Les réunions publiques que nous ouvrons dans tous les quartiers, l’organisation des Comités républicains que nous accélérons, la part active que nous prenons aux travaux des municipalités républicaines, les adresses au peuple allemand que nous répandons, les appels à l’énergie et à l’union que nous signons, le concours que nous prêtons au Gouvernement de défense nationale, n’ont pas d’autre but.
Nous ne négligeons pourtant pas les précautions à prendre contre la réaction épargnée et menaçante. Nous organisons en ce sens nos comités de vigilance dans tous les quartiers et nous poussons à la fondation des districts qui furent si utiles en 93.
C’est, croyons-nous, dans ce sens que vous devez agir : 1. Surexciter par tous les moyens possibles le patriotisme qui doit sauver la France révolutionnaire ; 2. prendre des mesures énergiques contre la réaction bourgeoise et bonapartiste et pousser à l’acceptation des grandes mesures de défense par l’organisation des Comités républicains, premiers éléments des futures communes révolutionnaires.
Notre révolution à nous n’est pas encore faite, et nous la ferons lorsque, débarrassés de l’invasion, nous jetterons révolutionnairement les fondements de la société égalitaire que nous voulons.
Ce nous sera facile si déjà nous sommes résolus, énergiques et persévérants.
Vive la république sociale !Pour le conseil féderal parisien :
B. Malon, E. Varlin, Henry Bachruch,
13 rue de l’Échiquier
L’Association internationale des travailleurs entend à la fois concourir à la défense nationale et organiser des comités de vigilance.
Je termine par une remarque de Dautry et Scheler. À la salle de la rue d’Arras, le 10 septembre, Jules Hamet (international et secrétaire de la chambre syndicale des ouvriers doreurs sur bois), fait le rapport d’activité du comité de vigilance révolutionnaire du Panthéon. Et, dit Le Rappel (daté du 13 septembre):
Le citoyen Chassin propose la formation par l’Internationale des travailleurs d’un comité central de la défense de Paris, pour décréter la levée en masse de la France, pour instituer sur les bords da la Loire, à Bourges ou à Tours, un comité de défense des départements et de secours pour Paris, et pour envoyer des délégués dans les départements dans ce but.
Preuve, disent Dautry et Scheler, que le 10 septembre, le Comité central républicain des vingt arrondissements n’est pas encore bien en place et que l’Internationale est seule capable d’animer dans Paris un organisme aussi complexe.
*
Le 9 septembre, l’armée prussienne a pris Laon. L’image de la forteresse, qui a explosé pendant la bataille, est parue dans Le Monde illustré daté du 17 septembre 1870, elle est donc sur Gallica, là.
Livre utilisé
Dautry (Jean) et Scheler (Lucien), Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris, Éditions sociales (1960).
Cet article a été préparé en mai 2020.