Gustave Flourens est un habitué de ce site. Il nous a tenu compagnie presque quotidiennement au temps de La Marseillaise.
Et souvenez-vous de l’émeute du 7 février 1870, il y a exactement sept mois, au cours de laquelle il avait capturé… un commissaire de police.
Il y a eu ensuite « le complot », y croyait-il vraiment ou était-il naïf? l’histoire n’est pas claire. En tout cas il a jugé préférable de quitter la France.
De sorte qu’il était à Londres à temps pour fêter l’anniversaire de Jenny Marx le 1er mai chez les Marx… et que, tout cinglé qu’il était, il a réussi à séduire toute la famille. En plus de l’enthousiasme qu’il avait soulevé plus généralement — et qu’il décrit dans son livre Paris livré.
Il n’est évidemment pas resté en place, d’autant plus qu’il n’y avait guère de révolution à tenter à Londres. Il est donc parti pour la Grèce et bientôt la Crète. Souvenez vous qu’il était un révolutionnaire itinérant et un héros de la révolution crétoise.
Des lettres, qu’il avait reçues à Londres de ses amis d’Athènes, le prévenaient qu’un mouvement révolutionnaire se préparait en ce pays, que la population hellène, si indignement trahie par son gouvernement lâche et faux dans le question crétoise, ne demandait qu’à jeter bas le misérable roitelet, ennemi de son peuple, agent de la politique étrangère contre ses propres sujets.
Flourens avait laissé la noble insurrection crétoise écrasée, mais non finie. Il s’était profondément attaché à cette brave population si courageuse et si opprimée.
C’est un « il » de modestie ou de majesté, mais c’est bien lui qui écrit.
Mais voilà qu’à Paris — je vous ai passé Bonaparte et les Prussiens, je vous ai passé aussi la condamnation à la prison à perpétuité par la Haute Cour de Blois — voici le 4 septembre.
Voyant l’animation des esprits à Paris, les jésuites de la politique sentirent qu’il y avait là un bon coup à faire. Jules Favre, Trochu, s’entendirent, devinrent tout à coup républicains, pour mieux tuer la République.
Le réquisitoire est long. Bref, ces jésuites de la politique ont pris le pouvoir. Mais, revenons un peu en arrière pour savoir ce que faisait Flourens.
Cependant Flourens, songeant toujours ardemment à délivrer ses amis de Paris, prisonniers du procès de Blois, s’occupait d’insurger Athènes. Ses anciens camarades de l’insurrection crétoise, les meilleurs sous-officiers de l’armée hellénique, étaient pleins d’enthousiasme pour la République. Il espérait, après avoir renversé le gouvernement bâtard et débile de la Grèce, trouver là assez de forces pour revenir insurger Marseille , et marcher sur Paris si la chute de l’Empire tardait trop. Mais les événements se précipitèrent à ce point, qu’à peine avait-il monté le complot, il apprit les grands et décisifs revers de l’armée française.
Plein de douleur d’une part, et de l’autre plein d’espoir qu’après ces terribles leçons, la France, guérie du militarisme, de la gloire des armes et du culte des sauveurs, deviendrait plus sage et embrasserait sincèrement la République, il partit de suite. Débarqué à Trieste, il traverse le Simplon, arrive à Genève. Sans même consulter les journaux, s’imaginant trouver la France déjà républicaine, pleine de comités de salut public, de levées en masse et d’élan révolutionnaire, il lui semble ne pouvoir assez tôt fouler le sol de la patrie délivrée. Avisant la voiture de Ferney sur une place de Genève, il y monte, arrive à Gex où sa figure, inconnue dans la localité, est prise pour celle d’un espion prussien. Mieux valait, puisqu’on était encore en empire, ne pas révéler son nom, s’exposer à être condamné comme espion prussien à quelques mois de priosn que d’être envoyé à Cayenne en ce moment.
Il attend donc dix jours en prison; le 4 septembre arrive, il télégraphie à Rochefort pour être délivré. Grâce à l’activité du sous-préfet, jeune homme poli et aimable, il sort enfin de cachot sur ordre venu de Crémieux. Le commissaire de police qui l’avait arrêté se recommande à lui pour obtenir de l’avancement, et le prend à témoin de son zèle et de sa sagacité; les geôliers qui l’avaient gardé et tous les gardes champêtres des pays [villages] voisins emplissent sa cellule avant son départ, le suppliant de demander pour leurs cousins des bureaux de tabac au gouvernement nouveau.
Et voilà notre révolutionnaire à Paris. C’est le 8 septembre. Voici ce qu’il comptait obtenir du gouvernement en arrivant:
À l’étranger, l’appel immédiat à la révolution, des barricades à Berlin et à Vienne, l’Espagne arrachée à la trahison de Prim et lancée hardiment dans les voies républicaines, Garibaldi, aidé de vingt mille hommes, de fusils et d’argent, proclamant à Rome la république italienne, des agents envoyés à Londres pour y dire au peuple esclave des travailleurs les principes nouveaux, la solidarité des peuples, l’égalité entre tous les hommes et jeter bas l’édifice vermoulu de la féodalité normande. Puisque la Sainte-Alliance marchait sur Paris pour y écraser le foyer de la révolution universelle, il fallait que Paris, à force d’audace, fît reculer la Sainte-Alliance, l’obligeât, par une diversion puissante, à retourner chez soi garder ses foyers.
À l’intérieur, la destitution immédiate et la mise en arrestation de tous les états-majors bonapartistes, militaires et civils, des Trochu, des Bazaine,
etc., etc. Il y en a huit pages. Apparemment, il a commencé à exposer ceci à Rochefort — et Rochefort n’a pas écouté jusqu’au bout,
« Vous n’obtiendrez absolument rien de tout cela. Trochu vient de déclarer en plein conseil que si les Prussiens le veulent, ils prendront un de nos forts en deux heures et entreront à Paris dans les vingt-quatre heures. Du reste, Trochu est le meilleur de tous nos généraux. »
Que devait faire Flourens? C’est ce qu’il demandait lui-même: Que faire?
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J’ai déjà utilisé la photographie de Gustave Flourens en couverture dans un autre article, elle vient de Gallica, là.
Livre cité
Flourens (Gustave), Paris livré, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1871.
Cet article a été préparé en mai 2020.