« L’ennemi est aux portes de Paris », dit l’affiche de la mairie du troisième datée d’hier. Et le citoyen Bonvalet, maire, s’adresse aux… citoyennes (si, si), pas pour leur demander de s’en aller, mais pour leur demander leur aide… Elle se trouve, dans cet état, au musée Carnavalet, là.

L’ennemi est aux portes de Paris, et l’article de Blanqui à la une de La Patrie en danger du 14 septembre porte encore le titre inévitable « La Défense nationale ». Je n’en cite ici que la fin.

[…]

Les Prussiens approchent, et nous aurons la douleur de les voir arriver sous nos murs sans qu’un coup de fusil leur ait disputé le passage. La magnifique position de Chelles à Montfermeil et à Livry, couverte de bois, aurait pu leur coûter cher.

On sait maintenant que les attaques sont toujours très meurtrières pour l’assaillant. On avait des troupes suffisantes pour disputer pied à pied, de position en position, les avenues de la capitale. Détruire beaucoup de ces Barbares, sans compromettre la situation ni les soldats, eût été pour le siège un prologue de bon augure. Attendre l’ennemi dans les forts, c’est triste.

Est-ce donc ainsi qu’on fait la guerre? Une armée en retraite recule lentement, défend les positions l’une après l’autres, contient les avant-gardes de l’ennemi et le force de déployer ses masses. Cette tactique aujourd’hui serait bien plus redoutable qu’autrefois, par l’effet meurtrier de l’artillerie nouvelle, si fatale aux assaillants.

De fortes colonnes auraient pu aller au-devant des Prussiens jusqu’à vingt lieues, et se retirer ensuite en livrant des combats défensifs, derrière les retranchements de campagne. Chaque position avantageuse aurait fourni les éléments d’un succès. Car c’est un succès de détruire beaucoup de monde à l’adversaire.

Fâcheux pronostic pour l’avenir de la défense. Comptera-t-on plus sur la mission diplomatique de M. Thiers auprès des cours étrangères, que sur le courage et le patriotisme des soldats de la République?

Dans quel abîme allons-nous descendre!

Blanqui.

Où nous apprenons aussi que M. Thiers a entrepris une tournée des cours européennes, Londres, Vienne, Saint-Petersbourg sont à son programme. Et, dit Le Temps daté du 13 septembre,

Le choix de cet illustre homme d’État ne peut manquer d’être bien accueilli. M. Thiers jouit en, Europe de toute l’autorité et de tout le respect que donnent le talent, le caractère, une merveilleuse sagacité politique et une immense expérience des affaires.

Mais ce n’est pas l’essentiel de ce que je veux vous faire lire aujourd’hui. Nous feuilletons toujours La Patrie en danger du 14 septembre. En page 3, voici un message envoyé par… une horde de Barbares internationaux:

L’Internationale
en Allemagne

Les délégués des sections allemandes de l’Internationale publient le manifeste suivant, adressé à leurs compatriotes affiliés:

Une nouvelle inattendue vient d’étonner l’Europe. La France accablée a secoué son joug de vingt ans et proclamé la République.

Nous acclamons, nous saluons avec bonheur la République française.

En présence de ce grand événement, une nouvelle attitude nous est commandée. Le gouvernement qui nous déclara la guerre est tombé, il faut qu’il y ait cessation d’hostilités entre le peuple français délivré du despotisme et l’Allemagne. C’est le moment où l’Allemagne ne doit pas s’enivrer de ses succès et doit cimenter son alliance avec la France, qui a été entraînée malgré elle à cette guerre funeste.

Une grande nation ne peut pas laisser l’ennemi sur son territoire et conclure une paix honteuse. L’attitude énergique du peuple français dans de telles circonstances est respectable à tous les titres. Il doit poursuivre une paix honorable et durable.

Le peuple allemand doit savoir que son devoir n’est pas d’accabler un peuple frère. La nation française est assez éprouvée, elle a assez expié les hontes de l’empire pour avoir droit au respect de tous et surtout au nôtre.

Travailleurs socialistes allemands, nous qui avons les mêmes aspirations que les travailleurs français, qui leur donnons le nom de frères, c’est surtout à nous de ne pas souffrir que l’honneur du peuple français et l’intégrité de son territoire soient entamés.

Le criminel auteur de la guerre, Bonaparte, doit être livré, s’il y a une justice, à la République française, qui l’enverra au bagne et lui fera expier ses forfaits. Tout intérêt que notre nation pourrait porter à ce bandit serait une honte pour l’Allemagne.

Les politiciens allemands prétendent que les conditions d’une paix durable sont l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine. Ces misérables mentent; nous protestons de toutes nos forces contre cette assertion de rétrogrades à courte vue.

Travailleurs allemands, la main sur la poitrine, jurons de ne pas combattre, de ne travailler que d’un commun accord avec nos frères des autres nations pour l’affranchissement du prolétariat moderne. Vive la revendication internationale du prolétariat! Nous saluons le République grandissante qui s’élève. Tous nos transports sont pour elle; nous ne voulons pas voir les casernes prussiennes écraser la jeune unité allemande, et nous crions, nous aussi: « Vive la République sociale universelle! »

Ce texte est paru dans plusieurs journaux parisiens les jours précédents. La Patrie en danger n’a eu qu’à le recopier.  Sans grande précipitation. Le Rappel avait, dès son numéro daté du 7 septembre, fait état d’autres messages et manifestes de travailleurs allemands allant dans le même sens. Pas le journal de Blanqui. Il est difficile de reprocher à Blanqui, comme le fait Dommanget, de n’avoir pas « consacré un article, même pas une ligne », à l’arrestation des députés Bebel et Liebknecht qui ont été « jetés menottes aux mains dans une forteresse » pour avoir protesté contre l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine au Reichstag : August Bebel, Wilhelm Liebknecht, et Adolf Hepner ont été arrêtés le 17 décembre, et La Patrie en danger n’existait plus. 

Mais il est vrai que les socialistes allemands n’intéressent pas beaucoup Blanqui: les Allemands sont des barbares

J’ajoute à ce débat une autre petite phrase « raciste » (c’est moi qui souligne): 

Dans l’intérêt commun de la France et de l’Allemagne, dans l’intérêt de la paix et de la liberté, dans l’intérêt de la civilisation occidentale contre la barbarie orientale, les ouvriers allemands ne tolèreront pas sans dire mot l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine.

… extraite d’un manifeste du Comité central du Parti ouvrier social-démocrate allemand, daté du 5 septembre, et citée dans la Seconde adresse du Conseil général (de l’Association internationale des travailleurs) sur la Guerre franco-allemande.

Livres cités

Dommanget (Maurice), Blanqui, la guerre de 1870-71 et la Commune, Domat (1947).

Marx (Karl)La Guerre civile en France, Édition nouvelle accompagnée des travaux préparatoires de Marx, Éditions sociales (1972).

Cet article a été préparé en mai 2020.