À quelle date exactement le siège de Paris commence-t-il?
Adolphe Clémence note « deuxième journée du siège » le lundi 19 septembre.
Un autre Adolphe, dont nous lirons ici ou là les notes sur ce siège, Adolphe Michel, le fait, lui aussi, commencer le dimanche 18.
Victor Hugo n’aide pas beaucoup, qui parle de son appel « Aux Français » le 17 — paru dans Le Rappel daté du 18,
Nous avons fraternellement averti l’Allemagne.
L’Allemagne a continué sa marche sur Paris.
Elle est aux portes.
L’empire a attaqué l’Allemagne comme il avait attaqué la République, à l’improviste, en traître; et aujourd’hui l’Allemagne, de cette guerre que l’empire lui a faite, se venge sur la République.
etc., etc. –, qui parle aussi des femmes qu’il a vues (dont Louise Michel le 18), mais qui ne se soucie pas de dire si le siège a, ou n’a pas, commencé.
George Guillaume, franc-tireur suisse, dont le livre est sur Gallica, est plus clair (dans cet article, les citations sont en vert):
Le 18, 2,000 Prussiens s’avancent jusqu’à 500 mètres du pont de Joinville et échangent quelques coups de feu avec la ligne et les francs-tireurs; le même jour, l’ennemi se montre sur les hauteurs de Villeneuve-Saint-Georges, et un corps d’éclaireurs, posté en avant du plateau d’Avron, est contraint de se replier sur Rosny, menacé par 20,000 Prussiens, longeant la Marne. On signale également les Prussiens dans le bois de Clamart, vers le Bourget, et sur les hauteurs à gauche de Villejuif. Enfin, un train de la ligne d’Orléans est assailli à coups de fusil par une quarantaine de uhlans postés sur la rive droite de la Seine, en face de Choisy-le-Roi. On coupe les voies à l’endroit où elles franchissent le mur d’enceinte. Ce jour-là, 18 septembre, Paris est investi complètement.
Pour un autre auteur que je cite aujourd’hui, le siège commence le 19. À moins que ce ne soit le 18… Cet auteur est un journaliste, Francisque Sarcey, critique dramatique, certainement républicain et certainement aussi réactionnaire — il a donné toute sa mesure pendant la Commune, mais nous n’en sommes pas là. Je cite son livre, que vous pouvez lire lui aussi sur Gallica.
Ils arrivaient, pleins de superbe, sans se presser. Ils laissaient, le mot est de M. de Bismarck qui se plaît à ces insolentes ironies, les Parisiens cuire dans leur jus.
Le 9 septembre on les savait à Laon d’un côté, à Montmirail de l’autre; le 20, Crespy et Compiègne étaient menacés au Nord, Coulommiers à l’Est, et déjà entre Coulommiers et Compiègne ils avaient vu Château-Thierry. Dans la journée du 11 (notre dernier dimanche, hélas!) [c’est donc que le 18 le siège est commencé?] Meaux télégraphiait qu’on voyait poindre les lances des uhlans au sommet de la côte de Jouarre. C’est en vain que devant cette invasion de sauterelles, le génie faisait sauter nos ponts sur les fleuves, nos viaducs sur les chemins de fer, Guillaume écrivait paisiblement à Augusta:
Les Français ont grand tort de semer tant de ruines sur notre passage, notre marche n’en est pas arrêtée d’une heure.
Il ne disait probablement pas toute la vérité! mais il ne mentait de guère!… Le 15, les hussards bleux arrivaient devant Corbeil, que venaient d’évacuer deux régiments de nos dragons. Le soir, il y avait de la cavalerie dans la forêt de Sénart, devant Juvisy; il y en avait même jusque sous le canon de Charenton et de Vincennes, en suivant les contours de la Seine et de la Marne. Le 16, la ligne d’Orléans était coupée entre Athis et Ablon; le 17, le dernier train parti de Paris fut attaqué devant Choisy même. Versailles trembla. C’est à grand’peine que le soir une reconnaissance de cavalerie, envoyée par le général Ducrot, put passer par Meudon, jusques à ses grilles qui ne voulurent pas s’ouvrir. Toutes les routes, tous les champs se couvrirent d’ennemis, qui, à la hâte, s’élevaient de la rivière vers Meudon et Versailles.
Un autre « témoin », l’officier Maurice d’Irisson d’Hérisson, que je citerai plusieurs fois dans la suite, note tout de même:
Les 17, 18 et 19 septembre, on manœuvra et on se battit. Les 17, 18 et 19 septembre, on manœuvra et on se battit. La dernière de ces trois journées est celle de Châtillon.
Mais redonnons la parole à Francisque Sarcey:
Le 19… arrêtons-nous un instant à cette date fatale, qui marqua le premier jour du siège régulier. Quelle avait été la physionomie de Paris durant ces quatre ou cinq journées d’effarement et de trouble? Très-agitée sans doute et tumultueuse.
[…]
Le 19 au matin, tous les Parisiens, en ouvrant leur journal, y purent lire un article à peu près conçu en ces termes:
Les dernières voies ferrées qui reliaient Paris avec la France et avec l’Europe ont été coupées hier soir. Paris est livré à lui-même. Il n’a plus à compter que sur ses ressources personnelles et sur son propre courage. L’Europe qui a reçu de cette ville tant de lumières, et qui n’a jamais vu sa gloire sans une secrète envie l’abandonne. Mais Paris, nous en sommes persuadés, prouvera qu’il n’a pas cessé d’être le rempart le plus solide de l’indépendance française.
Toutes les feuilles publiques exécutaient des variations plus ou moins brillantes sur ce thème commun Paris tiendra, Paris doit tenir. Mais à mesure qu’approchait le moment solennel, la résolution du gouvernement de la défense nationale, mise en face de périls si extrêmes et d’une issue déplorable qu’il regardait comme certaine, semblait faiblir et reculer.
La suite de cette histoire est, en grande partie, une illustration de cette dernière phrase…
*
Paris enfermé dans ses fortifications vu de la batterie (et pas bataille) de Châtillon (ici aux mains des Prussiens me semble-t-il) en couverture de cet article est au musée Carnavalet.
Livres cités
Michel (Adolphe), Le siège de Paris, 1870-1871, A. Courcier (1871).
Hugo (Victor), Choses vues, Quarto Gallimard (2002).
Guillaume (George), Souvenirs d’un franc-tireur pendant le siège de Paris par un volontaire suisse, G. Guillaume fils, Neuchâtel (1871).
Sarcey (Francisque), Le Siège de Paris Impressions et souvenirs, Lachaud (1871).
D’Hérisson (Maurice d’Irisson), Journal d’un officier d’ordonnance: juillet 1870-février 1871, Ollendorff (1885).
Cet article a été préparé en août 2020.