Aujourd’hui, Blanqui ne signe pas l’article à la une de La Patrie en danger. Avec intention, sans doute, puisqu’il y parle de lui à la troisième personne. Mais il est recueilli parmi ses articles dans le livre La Patrie en danger. Il répond à un « premier-Paris » publié dans Le Siècle daté du 16 septembre, signé Louis Jourdan, et qui commence ainsi:
M. A. Blanqui, rédacteur en chef du journal la Patrie en danger, exprime au sujet de la défense de Paris des doutes qui nous semblent déplacés et peu patriotiques.
Je n’en cite pas plus: d’autres citations apparaissent (en italiques) dans l’article ci-dessous.
Basile est le maître de musique dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais, c’est lui qui chante l’air de la calomnie dans Le Barbier de Séville de Rossini. C’est bien de calomnie qu’il est question…
Basile journaliste
Le Siècle fait la guerre aux jésuites. Pourquoi ne garde-t-il pas un peu de sa poudre pour certains de ses rédacteurs qui pourraient rendre des points à Basile?
Quel lecteur de la Patrie en danger devinerait que le citoyen Blanqui souffle le doute et le découragement, s’efforce de persuader à l’ennemi que nous sommes un peuple de lâches, que la patriotique exaltation de Paris n’est qu’un simulacre et une boursouflure, que Paris joue la comédie de la guerre, que Paris est pourri par l’égoïsme, etc., etc., etc.
Où donc le Siècle a-t-il lu une seule de ces belles choses? Le citoyen Blanqui a dit qu’il y a dans Paris deux courants, celui du dévouement, et celui de l’égoïsme, il redoute fort le triomphe du dernier.
Il n’y a qu’un cri sur cet antagonisme, il saute à tous les yeux. Faut-il mettre les points sur les i pour fermer la bouche aux calomniateurs? Nous les mettrons.
La paix ignominieuse, le journal la Patrie en danger la combat et en dénonce quotidiennement les prodromes trop visibles. Elle a pour représentants M. Thiers et ceux qui l’ont envoyé mendier la compassion des gouvernements monarchiques, nos ennemis naturels [sur cette « mission » de Thiers, voir notre article du 14 septembre]. Ceux-là sont depuis longtemps les bons amis du Siècle, et leur tendresse pour le citoyen Blanqui irait volontiers, dans l’occasion, jusqu’à le faire fusiller. Quelques-uns y poussaient de tout leur cœur, lorsque Palikao lui préparait un piquet de douze hommes, pour l’instant où il serait pris.
Qui donc oserait soutenir qu’il n’y a pas à Paris des partisans d’une paix à tout prix? Il ne forment qu’une minorité, c’est vrai, mais cette minorité est puissante par la fortune et par l’influence, et le gouvernement est son très-humble serviteur.
Et voilà pourquoi le doute envahit notre âme, au soupçon d’un immense mensonge. Voilà pourquoi nous craignons que la comédie de la guerre n’aboutisse à une paix ignominieuse.
Il est commode, quand on veut signaler un homme aux vengeurs, de travestir ses paroles et de lui prêter des idées diamétralement contraires à celles qu’il exprime. Il est facile de calomnier, en supposant destinées à Paris lui-même, les objurgations qu’on adresse à ceux qui le bernent et le mystifient.
Mais c’est beaucoup d’audace dans la calomnie, que de tenir un tel langage en présence de phrases comme celle-ci:
Qui l’emportera, l’enthousiasme des masses ou la ruse du petit nombre?
Le citoyen Blanqui, du reste, n’ignore pas le motif de l’attaque du Siècle. On le désigne aux fureurs des champions de l’ordre, parce qu’il ne veut plus être complice par son silence d’une politique dont il n’a jamais été dupe. Il se taisait, parce que l’ennemi est aux portes. Mais les circonstances deviennent trop graves pour que l’apparence même d’un assentiment ne pèse pas à sa conscience.
Oui, la résistance n’est qu’à la surface. Cette surface, c’est la grande majorité de la population, et le dessous qui rampe, ce sont les négociations de paix honteuse et les égoïstes qui font leur force. Ils ne seraient rien sans le gouvernement. Ils sont tout, parce que le gouvernement est à leur dévotion. La majorité héroïque de la surface est traîtreusement minée en dessous par les lâches de la minorité.
Tous n’ont pas fui, en mettant la clé sous la porte. Il en reste plus qu’il ne faut pour nous perdre. Que ne sont-ils partis jusqu’au dernier, en laissant leurs demeures, plus utiles qu’eux. Ils sont une peste, leurs maisons une ressource.
Oui, Paris est frémissant, mais il n’est pas le maître. Il a un maître, le gouvernement. Que le Siècle ne feigne pas de l’ignorer et ne substitue pas jésuitiquement la cité héroïque aux quémandeurs de médiation.
Si notre journal arrive jusqu’aux Prussiens, il ne leur apprendra rien. Ils savent trop qu’il y a au sein de la capitale deux partis, celui de la guerre à outrance, celui de la génuflexion. Auquel appartient le Siècle, auquel appartient la Patrie en danger, le public saura bien le reconnaître. Il distinguera surtout l’escobarderie de la sincérité. Les chevrons de Basile ne lui imposeront pas.
Donnons acte au Siècle d’une amende honorable qu’il a jugé utile de faire. À la fameuse formule de Jules Favre,
ni un pouce du territoire, ni une pierre des forteresses,
il a daigné ajouter
ni un écu d’indemnité.
À la bonne heure. Le Siècle se décide à repousser la paix vendue. Il proteste contre les saignées à blanc par la lancette prussienne. Nous sommes heureux de cette déclaration. Mieux vaut tard que jamais. Qu’il tienne bon et ne se démente pas lui-même. À vrai dire, nous n’avons pas une confiance sans bornes dans sa ténacité.
La contradiction lui coûte peu. Son premier-Paris voue aux dieux infernaux le citoyen Blanqui pour cause d’influence décourageante, et quelques lignes plus loin, il paraphrase, en se l’appropriant, un article de ce décourageur contre les bravacheries et les rodomontades des saltimbanques, des pîtres.
Le citoyen Blanqui était moins dur à ces pourfendeurs. Cela n’empêche pas que le Siècle ne le dénonce avec véhémence comme un décourageur et un découragé.
Ce prétendu contempteur de Paris a été élu à l’unanimité chef de bataillon par quinze cents énergiques citoyens de Montmartre [voir notre article du 15 septembre]. Ce n’est point, apparemment, parce qu’il leur a mis la mort dans l’âme, et leur a sonné aux oreilles le glas de la patrie. C’est plutôt parce qu’ils ne traduisent pas en Basile les articles de la Patrie en danger.
Une fois de plus, précisons nettement notre pensée. Le Paris de l’intelligence et du travail veut la défense à outrance. Il bondit d’indignation à l’idée d’une soumission ignominieuse. Que les Prussiens sortent du territoire, ou qu’ils y restent pour le fumer. Si une indemnité est due, c’est par les ravageurs, non par les ravagés.
Le Paris du luxe et de la luxure brûle de retrouver, au prix de l’honneur, ses saturnales perdues; il n’a que trop voix au chapitre. C’est lui, jusqu’à présent, qui a fait la loi, qui la fait encore peut-être. C’est lui qui est la soumission et l’opprobre, caché derrière l’héroïsme.
Le Siècle doit en savoir quelque chose, car il touche de plus près à ce monde que les petites gens de la Patrie en danger.
*
L’estampe d’Honoré Daumier a été publiée un an avant l’article d’aujourd’hui, au temps où s’ouvrait à Rome le concile sur l’infaillibilité du pape. Je l’ai trouvée au musée Carnavalet, là.
Livre cité
Blanqui (Auguste), La Patrie en danger, recueil d’articles préfacé par Casimir Bouis, Chevalier (1871).
Cet article a été préparé en juin 2020.