Évidemment ses auteurs ne l’ont pas appelée la « première » affiche rouge. Malgré son importance historique (je trouve), elle est à peu près impossible à trouver. Nous nous contenterons pour la couverture de cet article de cette vilaine image d’une moitié de la reproduction (sur une double page…) dans un livre de Murailles politiques, sur Gallica, là. Où vous pouvez aller la regarder en entier. Pour la lire, eh bien, en voici le texte:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ

Comité central républicain

de défense nationale des vingt arrondissements de Paris

Citoyens,

Le 5 septembre, dès le lendemain de la proclamation de la République, un grand nombre de citoyens proposaient la constitution d’un COMITÉ CENTRAL RÉPUBLICAIN, émanant des vingt arrondissements de Paris, et ayant pour but de pourvoir au salut de la patrie, ainsi qu’à la fondation définitive d’un régime véritablement républicain par le concours permanent de l’initiative individuelle et de la solidarité populaire.

Depuis ce jour, les réunions publiques ont élu leurs Comités de défense et de vigilance dans chaque arrondissement.

Aussitôt que les arrondissements se sont trouvés représentés en majorité par quatre délégués chacun, le Comité central républicain a commencé ses opérations.

Il a successivement présenté au Gouvernement de la défense nationale les mesures suivantes, acclamées dans les réunions populaires:

1° Mesures de sécurité publique

Supprimer la police telle qu’elle était constituée, sous tous les gouvernements monarchiques, pour asservir les citoyens et non pour les défendre;

La remettre tout entière entre les mains des municipalités élues;

Nommer par quartier, dans les grandes villes, les magistrats chargés de veiller à la sécurité publique sous leur responsabilité personnelle et directe;

Dissoudre tous les corps spéciaux de l’ancienne police centralisée, tels que sergents de ville, agents dits de la sûreté publique, gardes de Paris;

Confier à la garde nationale, composée de la totalité des électeurs, et en particulier à des vétérans pris dans son sein, la mission d’assister les nouveaux magistrats de la police municipale dans l’exercice de leurs fonctions;

Appliquer aux magistratures de tous ordres les deux principes de l’élection et de la responsabilité;

Abroger toutes les lois restrictives, répressives et fiscales contre le droit d’écrire, de parler, de se réunir et de s’associer.

2° Subsistances et Logements

Exproprier, pour cause d’utilité publique, toute denrée alimentaire ou de première nécessité actuellement emmagasinée dans Paris, chez les marchands en gros et de détail, en garantissant à ceux-ci le paiement de ces denrées après la guerre au moyen d’une reconnaissance des marchandises expropriées et cotées au prix de facture;

Élire dans chaque rue ou au moins dans chaque quartier une commission chargée d’inventorier les objets de consommation et d’en déclarer les détenteurs actuels personnellement responsables envers l’administration municipale;

Répartir les approvisionnements classés par nature entre tous les habitants de Paris au moyen de bons qui leur seront périodiquement délivrés dans chaque arrondissement, au prorata: 1° du nombre de personnes composant la famille de chaque citoyen; 2° de la quantité de produits consommables constatés par les commissions ci-dessus désignées; 3° de la durée probable du siège.

Les municipalités devront encore assurer à tout citoyen et à sa famille le logement qui leur est indispensable.

3° Défense de Paris

Faire élire immédiatement par la garde mobile tous les chefs qui la doivent conduire au feu, ceux qui la commandent actuellement lui ayant été imposés jusqu’à ce jour;

Rallier au plus vite les éléments épars de cette héroïque armée, que la trahison de ses chefs a laissé écraser ou dissoudre et qui, organisée pour asservir le pays, n’a pas suffi pour le défendre;

Délivrer au plus vite à tous les citoyens des armes à longue portée et leur distribuer en même temps la quantité de cartouches et de munitions de guerre suffisante pour qu’ils soient en mesure de repousser toute attaque éventuelle;

Préparer par les soins des vingt comités d’arrondissement les moyens matériels et l’organisation du personnel nécessaire à la défense spéciale de chaque quartier;

Affecter aux divers services de la défense tous les locaux libres, tels qu’appartements abandonnés et monuments publics;

Utiliser à tous les travaux de la défense les habitants qui, pour un motif quelconque, ne seraient point appelés à y contribuer comme gardes nationaux.

Établir un contrôle populaire de toutes les mesures prises pour la défense;

Préparer dès maintenant les postes de défense intérieure, les communications secrètes et tous les engins de destruction susceptibles d’être employés contre l’ennemi, même par les femmes et par les enfants, Paris républicain étant résolu, plutôt que de se rendre, à s’ensevelir sous ses ruines.

4° Défense des départements

Décréter la levée en masse de tous les Français sans exception, et la réquisition générale de tout ce qui peut servir à la défense;

Appuyer toute organisation résultant de l’initiative populaire et ayant pour but de contribuer au salut de la République;

Commissionner des délégués généraux pour la défense nationale, chargés de se concerter avec les républicains des départements, afin de stimuler le zèle patriotique des populations, combattre les manœuvres réactionnaires, prévenir la trahison, précipiter la marche des volontaires au secours de Paris, et, au besoin, de se faire tuer à leur tête.

En présentant ces mesures d’urgence, les soussignés sont convaincus que le Gouvernement de la défense nationale se hâtera de les transformer en décrets pour le salut de la République.

Pour le Comité républicain et par délégation des comités d’arrondissement :

Les membres présents à la réunion du 13 au 14 septembre, G. Casse. — Ch. Chassin. — F. Chaté. — Chausse. — Cousin. — G. Cluseret. — Demay. — Ch. Dumont. — A. Dupont. — N. Gaillard. — G. Genton. — H. Hernu. — J. Johannard. — Kern. — Lanjalley. — Lefrançais. — Leverdays. — Longuet. — Longat. — P. A. Lutz. — A. Lecot. — É. Léger. — G. Mallet. — Mainier. — Marchand. — Millière. — Marchal. — Malon. — F. Mangold. — Myard. — G. Mollin. — É. Oudet. — M. Portalier. — J. Périn. — Pagnerre. — Philip. — Pillion. — Pindy. — Ranvier. — E. Roy. — E. Roullier. — Thélidon. — Thonnelier. — Toussaint. — É. Vaillant. — J. Vallès. — Vertut. — M. Woog.

*

Quarante-huit signataires, internationaux, blanquistes, ou ni l’un ni l’autre.

Cette affiche a été collée sur les murs de Paris sans doute le 14 (si l’imprimeur est allé vite) ou le 15. Elle a été reproduite dans la presse. Immédiatement dans Le Rappel (numéro daté du 16 septembre, paru le 15, donc). Dans La Patrie en danger seulement le 17. Le Journal des Débats la publie, lui aussi, le 17. Tiens, il y a longtemps que je n’ai pas parlé du Figaro sur ce site. Eh bien, il annonce, le 17, qu’il ne publiera pas l’affiche!

Nous avons vu (hier 15 septembre) Vésinier protester, à la réunion du club salle Favier, contre le mauvais accueil fait à cette affiche. Voici ce qu’en a écrit le journal Le Français dans son numéro daté du 17 septembre (c’est un journal du soir, il paraît aujourd’hui, 16 septembre, dans l’après-midi), avant de publier, intégralement, lui aussi, le texte de l’affiche, sans doute pour horrifier ses lecteurs:

Le Manifeste du parti révolutionnaire a causé hier une certaine émotion. On devait croire que les hommes de révolution suspendraient durant quelques jours, en face des Prussiens qui avancent et nous menacent, la manifestation de leurs espérances. C’était compter sans l’aveuglement des passions mauvaises. Il s’est retrouvé, ce vieux parti du 15 mai, des journées de juin. Barbès est mort, Caussidière est mort, Sohier est mort; mais Félix Pyat, Blanqui sont là encore, et ils ont groupé autour d’eux un petit bataillon. Jusqu’ici, le parti de la révolution avait conspiré et travaillé contre l’établissement de la liberté; il lui restait à conspirer contre l’indépendance nationale!

C’est un des groupes de ce parti qui a eu hier la hardiesse de faire connaître au public ses prétentions. Ils ont eu le détestable courage, au moment-même où les Prussiens atteignent les murs de Paris, d’attaquer l’ordre établi et d’adresser une mise en demeure menaçante au gouvernement de l’Hôtel de Ville.

Le premier moment de surprise passé, c’est un sentiment d’indignation qui a répondu à cette audace révolutionnaire, se faisant, à l’heure du combat, complice de l’étranger pour troubler la défense. L’affiche rouge a été lacérée, foulée aux pieds, avec le même élan qu’il y a huit jours avait été déchiré le numéro de la Marseillaise qui renfermait le détestable article du général Cluseret.

Puis la réflexion est venue, et les bons citoyens ont compris qu’il ne suffisait pas de lacérer une affiche et de mépriser certaines audaces; l’honneur de Paris étant intéressé à ce que la folie criminelle de quelques-uns fût solennellement dénoncée et condamnée.

Nous publierons demain une protestation rédigée en hâte cette nuit, et qui, à l’heure présente, est déjà couverte de signatures.

Debout et aux armes les honnêtes gens, les patriotes et les bons citoyens!

Ne laissons pas au parti de la Révolution l’initiative de l’audace, et soutenons franchement contre les révolutionnaires de carrefour le drapeau de la liberté, comme nous soutiendrons demain le drapeau de l’indépendance contre les étrangers qui approchent.

Le parti de la Révolution n’a pour lui qu’un petit nombre d’hommes divisés entre eux ; le grand parti de la liberté a sur son adversaire toutes les supériorités, celle du bon droit, celle du nombre, celle du courage; qu’il ait celle de a hardiesse.

François Beslay

Pour le cas où le nom de ce journaliste réactionnaire vous rappellerait quelque chose, eh bien, oui, c’est le fils de Charles Beslay — qui n’a pas signé cette affiche, mais qui a signé le texte « international » Au peuple allemand (voir notre article du 6 septembre), qui signera deux autres affiches rouges (20 septembre, 6 janvier)… et qui sera élu à la Commune dès le 26 mars prochain.

Cet article a été préparé en mai 2020.