Le Journal officiel daté du 1er octobre 1870 publie un décret sur le Mont-de-piété, dont le maire de Paris est si content que le Journal officiel daté du lendemain le republie:
Le maire de Paris s’empresse de porter à la connaissance de ses concitoyens le décret suivant :
Le Gouvernement de la défense nationale décrète :
Les objets engagés au Mont-de-Piété depuis le 19 juillet 1870, consistant en vêtements, sommiers, matelas, couvertures, pour un prêt n’excédant pas 15 francs, seront rendus aux déposants.
Le ministre des finances est chargé de pourvoir à la dépense qu’occasionnera l’exécution du présent décret.
Paris, le 1er octobre 1870.
Les membres du gouvernement de la défense nationale, GÉNÉRAL TROCHU, JULES FAVRE,
EMMANUEL ARAGO, JULES FERRY, GAMBETTA, GARNIER-PAGÈS, PELLETAN,
E. PICARD, ROCHEFORT, JULES SIMON.Le maire de Paris est certain d’être l’interprète de la population parisienne en remerciant le Gouvernement de la sollicitude qu’il témoigne aux familles nécessiteuses dont les chefs sont chaque jour sur les remparts pour la défense de la Patrie et de la République.
Hôtel de ville de Paris, le 1er octobre 1870.
Le maire de Paris, ÉTIENNE ARAGO.
Commentaire du Rappel, dans son édition du 3 octobre:
Le gouvernement donne satisfaction en partie à notre demande au sujet des monts-de-piété. Les objets engagés aux monts-de-piété depuis le 19 juillet 1870, consistant en vêtements, sommiers, matelas, couvertures, pour un prêt n’excédant pas 15 francs, seront remis aux déposants.
Qu’on borne la remise aux objets de première nécessité et dont la valeur médiocre est attestée par la médiocrité du prêt, soit; c’est aux déposants pauvres qu’il importe de venir en aide, et nous ne demandons pas qu’on rende les diamants. Mais pourquoi limiter la remise aux objets engagés depuis juillet 1870 ?
Nous voudrions qu’on remontât au moins jusqu’au commencement du printemps ; car c’est alors que les citoyens nécessiteux portent au mont-de-piété leurs vêtements d’hiver et leurs couvertures, pouvant s’en passer pendant l’été et ayant six mois devant eux pour gagner de quoi les reprendre. Or, l’été dernier n’a pu qu’aggraver leur misère, et voici le froid qui vient.
Un journal réactionnaire, maintenant, La France, le 4 octobre:
La mesure prise relativement à des objets d’usage journalier et de modique valeur engagés au mont-de-piété est excellente et ne peut que produire le meilleur effet dans la population parisienne. Mais ne devrait-on pas exiger que les reconnaissances fussent présentées par les propriétaires mêmes des objets? Sinon le gouvernement se sera grevé d’une somme relativement considérable au profit des individus qui achètent les reconnaissances du mont-de-piété, brocanteurs et marchandes à la toilette, gens en général peu dignes d’intérêt et qui n’ont, dans tous les cas, aucun droit à profiter du décret en question. Nous appelons l’attention de l’autorité sur ce point délicat.
Le Petit journal, le 6 octobre, raconte:
AU MONT-DE-PIÉTÉ
Au Mont-de-Piété le public était hier aussi nombreux, aussi pressé que la veille. À deux heures du matin les trottoirs des rues de Paradis et des Blancs-Manteaux étaient encombrés d’une foule grelottante où les femmes et les enfants se trouvaient en majorité. Tout ce monde a attendu jusqu’à neuf heures, criant, luttant pour conserver ses places contre les derniers arrivés qui, naturellement, voulaient se mettre au premier rang. Des gardes nationaux en grand nombre gardaient les portes, se promenaient dans les cours, stationnaient au pied des escaliers, cherchant à maintenir l’ordre dans ce public qui voulait entrer malgré les baïonnettes. Au lieu de trois personnes, l’administration du Mont-de-Piété en avait installé quatre pour activer le service; cependant deux mille trois cents personnes seulement ont pu retirer leurs objets engagés.
La porte s’ouvrant sur la rue de Paradis avait été consignée, on n’avait laissé ouverte aux réclamants que l’entrée de la rue des Blancs-Manteaux.
À quatre heures, lorsqu’on a fermé cette dernière issue, la foule s’est ameutée, a forcé le passage malgré les gardes nationaux et les gardiens et s’est précipitée dans les cours comme une avalanche.
Les guichets n’ont été baissés qu’à six heures, et deux mille personnes environ sont parties très-mécontentes d’avoir perdu leur journée Cependant il était matériellement impossible aux employés d’aller plus vite dans l’accomplissement de leur besogne. Du reste, aucune limite n’a été fixée pour retirer les objets que l’État fait rendre aux déposants. Dans huit ou quinze jours cette opération se fera aussi bien qu’aujourd’hui. La prescription n’atteindra pas le droit des pauvres.
Si l’on étouffe dans les salles où le public réclame sans avoir rien à débourser, les guichets payants sont en revanche peu fréquentés, le Mont-de-Piété ayant cessé ses ventes autant par intérêt que par humanité. Ceux dont le terme fatal est arrivé le voient prorogé à une date indéterminée.
Enfin l’article du Monde illustré daté du 5 novembre qui accompagne dans ce journal l’image de couverture (un dessin de Daniel Vierge):
Les dégagements au Mont-de-Piété
Autant qu’il l’a pu, le Gouvernement de la défense nationale a allégé les souffrances des classes pauvres et laborieuses pendant les durs moments que nous a faits la guerre. Une des premières mesures prises a été l’autorisation donnée de retirer sans remboursement les objets de literie engagés au Mont-de-Piété pour une valeur au-dessous de quinze francs.
Il paraît que l’empire, si fier en son temps de la prospérité qu’il donnait à la France, n’avait pas laissé ses bienfaits descendre jusqu aux couches populaires, car les pauvres familles qui ont bénéficié du décret libérateur ont été si nombreuses et se sont rencontrées en si grand nombre dans les cours, les escaliers et les bureaux de l’hôtel de la rue des Blancs-Manteaux, qu’on a dû prendre des mesures pour régulariser les dégagements. Que de matelas, que de draps de lit, que de précieuses nippes ont été rendus ainsi, à l’approche de l’hiver, à des ménages sur lesquels pèseront un peu moins les rigueurs du siège! Cela coûtera un million au Gouvernement, mais jamais million n’aura été mieux employé et, j’en jurerais sur ma cote personnelle, il ne se rencontrera pas en France un seul contribuable qui trouve que ses deniers ont été ce jour-là mal employés.
Ce que fera la Commune de Paris dans quelques mois sur la difficile question des Monts-de-piété, nous en avons déjà parlé sur ce site (voir cet article ancien).
Cet article a été préparé en juin 2020.