L’affiche utilisée en couverture — et datée d’aujourd’hui 2 octobre, quelques jours après la capitulation de Strasbourg — est au musée Carnavalet. Il est probable qu’on a trouvé que le bronze serait mieux utilisé à d’autres fins… en tout cas, la statue de Strasbourg est toujours en pierre, comme celles des sept autres villes de France présentes sur la place de la Concorde à Paris.
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Pour notre article d’aujourd’hui, une nouvelle d’hier — datée d’aujourd’hui –, la reparution de La Patrie en danger (je renvoie à l’article du 27 septembre) — et une nouvelle d’avant-hier — mais qui ne paraît que demain dans les journaux.
Je commence par cette dernière, copiée ici dans Le Siècle daté du 3 octobre.
La municipalité du onzième arrondissement a décidé à l’unanimité que, à partir de ce jour, l’enseignement donné aux enfants dans les écoles de cet arrondissement sera purement laïque. Les instituteurs seront choisis en dehors des corporations religieuses. Un avis fixant le jour de l’ouverture des classes sera prochainement publié.
Paris, 30 septembre 1870.
Les membres de là commission : Laloge, Tolain, Rebierre, Lépine, Jaud, Bony, Kneip, Malarmet, Delaire, Couturat, Doudeau, Derveaux, Potron, Guilmet, Avrial, Schmitte.
Le maire, Jules Mottu.
Blanchon, adjoint; Poirier, adjoint.
Je vous laisse reconnaître les noms des internationalistes Tolain et Avrial dans la commission municipale et j’annonce à celles ou ceux qui n’ont pas lu mes anciens articles consacrés à Jules Mottu (celui-ci et les suivants), que cette décision aura quelques suites. Nous les lirons dans quelque temps dans La Patrie en danger.
Qui justement reparaît.
Plus grand, sur deux pages (une feuille) au lieu de quatre, au prix de dix centimes au lieu de cinq. Ses rédacteurs s’expriment (journal daté du 2 octobre):
Notre réapparition
La Patrie en danger a été suspendue pendant trois jours. C’est la faute de ses rédacteurs, et surtout du rédacteur en chef.
Nous autres révolutionnaires nous avons l’esprit acéré contre les gouvernements rétrogrades, et la police des plus sinistres d’entre eux, cette police si terrible et si redoutée, vient parfois se briser contre notre vigilance implacable. C’est que l’intérêt de la grande cause est alors en jeu.
Mais, la bataille gagnée, nous redevenons simples comme des enfants. L’ennemi est écrasé, le terrain déblayé, nous n’avons plus devant nous des adversaires sérieux. La veille encore ils étaient de notre armée. Nous nous coudoyons avec eux comme les soldats divers d’un même drapeau.
Il se passe là quelques moments où nous restons complètement désarmés. Les transfuges qui d’un mouvement insensible se reforment sous l’ancienne bannière ennemie, pour en rallier et en exploiter les soldats, peuvent nous porter des coups que nous sommes impuissants à parer. Cet instant est court, mais cruel. Nous ne savons nous défendre que par devant, jamais de côté, ni par derrière. Mais dès qu’on est ramené à faire face, on mesure et on aborde le péril. La bataille recommence.
Sans force contre l’intrigue, nous nous retrouvons devant l’hostilité. Qu’elle se déclare donc, et chacun à ses rangs!
Les rédacteurs de la Patrie en danger ont été arrêtés, assaillis de cris de mort, traînés à l’Hôtel de Ville. De soi-disants gardes nationaux ont cerné de nuit la rue où s’imprimait le journal, et lui ont mis sous la gorge la menace d’incendie. C’est bien. Nous avons désormais à qui parler. Nous ne demandons pas davantage.
Notre feuille n’est point une spéculation. Elle ne s’est jamais inquiétée du gain, mais uniquement de la propagation des idées et de la défense sérieuse de notre pauvre patrie.
Tout entière à la rédaction, elle a complètement abandonné l’administration à un entrepreneur qui imprimait et publiait à son compte. Nous ne savons si c’était pour lui une mauvaise affaire. Nul souci de notre part à ce sujet.
Tout le monde a cru à des bénéfices pour le journal: il tirait, nous a-t-on assuré, à 40,000. Nous faisons l’humble aveu de notre ignorance sur ce point. Ce n’était ni notre affaire, ni notre préoccupation.
Un beau jour, l’impresario nous déclare qu’il ne peut continuer, à moins d’un subside pécuniaire, qui n’existe pas dans notre bourse. C’est à prendre ou à laisser. Nous laissons, il le faut bien. Le journal cesse brusquement de paraître.
Heureusement, dans la grande crise qui étreint le pays, toute conviction, tout dévouement ne se sont pas évanouis. Une feuille sincère et désintéressée trouve beaucoup d’ennemis, c’est vrai, mais elle compte aussi des adhérents enthousiastes.
Des clameurs accueillent notre disparition. Pourquoi cette éclipse soudaine? Est-ce désertion, violence ou détresse? Non. C’est abandon instantané par le gérant matériel. Quel est le motif ou le prétexte de cet abandon? Nous avons déjà fait l’aveu de notre simplicité ignorante. Ces mystères ne sont point à notre portée.
Ce qui nous est démontré, c’est notre insuffisance commerciale. Grave défaut. Celui qui ne sait pas un peu intriguer ou tripoter par les temps qui courent est un assez pauvre homme. Nous avions mis le numéro à cinq centimes. Le prix serait suffisant, s’il revenait tout entier au journal. Mais il n’en touchait que la moitié, et si à ce taux, un entrepreneur peut compter sur un succès, des hommes de propagande seraient fort empêtrés pour se tirer d’affaire.
Sous le coup de cette expérience, nous prenons le parti d’imiter d’autres journaux républicains qui se vendent dix centimes. Mêmes frais, mêmes prix. C’est une aggravation pour la bourse des prolétaires, nos seuls soutiens. C’est malheureusement une nécessité pour nous. Le peuple avisera.
Cet article a été préparé en juillet 2020.