La une du numéro daté du 4 octobre de La Patrie en danger, qui paraît aujourd’hui 3 octobre, est entourée de noir.
En signe de deuil.
On a appris à Paris la capitulation de Strasbourg, le 28 septembre. C’est Lacambre qui s’exprime le premier:
Toul et Strasbourg viennent de succomber!… Le Gouvernement de l’indéfense nationale attend-il, pour se servir utilement des 600,000 hommes enfermés dans Paris, que ce Paris si énergique, si décidé à se défendre jusqu’au dernier souffle, soit anéanti par les projectiles prussiens ou mort de faim?…
Il serait temps, à la fin, de tenter autre chose que des reconnaissances stériles qui ne nous débloquent pas et nous coûtent des pertes irréparables sans compter le découragement!…
A-t-on entrepris d’éteindre cet enthousiasme admirable de la Garde nationale, capable de tous les succès, en la fatigant dans des manœuvres, utiles sans doute, surtout quand on a du temps de reste, mais dont on pourra se passer si on marche à l’ennemi avec la détermination bien arrêtée de l’exterminer.
Souvenez-vous un peu plus, citoyens, que nous sommes 600,000 dans Paris et que les Prussiens ne sont que 350 à 400,000.
Lacambre
Et il insiste:
Gouvernement de la défense!
100,000 combattants avec quatre cents pièces d’artillerie de campagne pour rétablir les communications entre Paris et la France par Orléans. Si 100,000 hommes ne suffisent pas, prenez-en 200,000, mais ne continuez plus le système du héros de Sedan et débloquez-nous. — Si vous faites tuer des hommes, que leur mort au moins soit utile à cette pauvre patrie démantelée, déshonorée, foulée par l’invasion et livrée sans merci à la trahison et à la réaction.
Lacambre
Suit « La Dictature militaire », article de Blanqui que nous avons lu dans notre article du 30 septembre, vous savez,
L’avocat est tout-puissant, dans le silence des armes. Mais quand l’ennemi est aux portes, son prestige s’évanouit.
Suit un « Le terme » par Gustave Tridon, parce qu’il va falloir payer le terme, en ce début octobre, un article qui est loin de valoir celui de Jules Vallès il y a… seulement neuf mois. Quelques autres articles et… retour à Strasbourg, avec la circulaire du ministre de l’intérieur (vous ne croyiez quand même pas que Gambetta avait écrit pour La Patrie en danger?!?):
Citoyens,
Le gouvernement vous doit la vérité, sans détours, sans commentaires.
Les coups redoublés de la mauvaise fortune ne peuvent plus déconcerter vos esprits, ni abattre vos courages.
Vous attendez la France; mais vous ne comptez que sur vous-mêmes.
Prêts à tout, vous pouvez tout attendre. Toul et Strasbourg viennent de succomber.
Cinquante jours durant, ces deux héroïques cités ont essuyé avec la plus mâle constance, une véritable pluie de boulets et d’obus.
Épuisées de munitions et de vivres, elles défiaient encore l’ennemi.
Elles n’ont capitulé qu’après avoir vu leurs murailles abattues crouler sous le feu des assaillants.
Elles ont, en tombant, jeté un regard vers Paris, pour affirmer une fois de plus l’unité et l’intégrité de la patrie, l’indivisibilité de la République, et nous léguer, avec le devoir de les délivrer, l’honneur de les venger!
Vive la France! Vive la République!
Léon Gambetta
Le ministre était un avocat…
Petit mystère sur l’identité du journaliste (qui accorde Strasbourg au masculin et) dont le journal recopie ensuite ce
Paris a du cœur dans le ventre!
Aux armes, citoyens!
Strasbourg a succombé à la force…
Aux armes, citoyens!
Strasbourg, l’héroïque, le sublime, a subi le martyre de la faim, de la soif, de l’humiliation; — il s’est sacrifié…
Aux armes, citoyens!
La statue de Strasbourg, vénérée de tous les patriotes, demande des vengeurs…
Aux armes, citoyens!
Les sujets du roi Guillaume, les suppôts de Bismarck doivent être exterminés…
Aux armes, citoyens!
Il y a un mois à peine, la France a proclamé la République au cri de: Vive la Nation!
Aux armes, citoyens!
La République universelle sauvera la France et les sujets de toutes les nations…
À toi, Allemagne!
Vive la République universelle!!!
Aux armes! aux armes! aux armes! trois fois aux armes!!!
Strasbourg s’est sacrifié.– C’est à nous de le venger!
Vive la République universelle!
Aux armes, citoyens!
Arnould,
l’un des rédacteurs-propriétaires du
Journal de la Guerre,
Journal de la République
Par contre, il y a peu de doute sur l’identité de l’auteure de l’entrefilet suivant — même s’il semble y avoir doute sur le genre de son amie écrivaine.
Strasbourg
Nous venons d’être mis [sic] en arrestation à l’Hôtel de Ville, André Léo [le correcteur de La Patrie en danger ne connaissait peut-être pas André Léo…], moi et deux autres citoyennes, comme troublant l’ordre public par des manifestations prussiennes, pour avoir demandé, avec un grand nombre de citoyens et citoyennes qui s’étaient réunis au pied de la statue de Strasbourg, que la première des armées françaises formées par la province allât à la délivrance de Strasbourg. Et nous disions: il ne faut pas que Strasbourg périsse, nous ne voulons pas de cette tache sur notre République.
Or nous ne savions pas, pendant que la foule venait signer notre pétition et que les gardes nationaux et les petites dames, restes de l’empire, riaient et nous insultaient, nous ne savions pas que Strasbourg avait succombé!
Et maintenant, nous irons dans toutes les réunions publiques dire: Il faut que Strasbourg soit vengée!
Louise Michel
Et pourtant… le service des remparts n’a toujours pas appelé les citoyennes, comme le rappelle la même Louise Michel dans sa deuxième intervention dans le journal de ce jour:
Aux citoyennes des remparts
Citoyennes,
En attendant que le service des remparts nous appelle, il ne nous est pas permis de rester oisives.
Dans des jours comme les nôtres l’instant qu’on n’emploie pas au service de la patrie laisse un remords.
Nous vous prévenons donc qu’à notre prochaine réunion il vous sera fait appel pour nous aider à trouver ou à créer de l’ouvrage.
La misère monte et le peuple de la République veut du travail et non l’aumône. Nous comptons sur vous.
Louise Michel
Ah, mais, quant à Strasbourg, le gouvernement, comme on le lui demande, va faire quelque chose, et cela arrive, juste après, sous le titre « Minuit (Communications officielles) », regardez ça! C’est l’affiche que j’ai utilisée en couverture hier. On ne s’en lasse pas!
Le Gouvernement de la défense nationale,
Considérant que la noble cité de Strasbourg, par son héroïque résistance à l’ennemi pendant un siège meurtrier de plus de cinquante jours, a resserré les liens indissolubles qui rattachent l’Alsace à la France;
Considérant que, depuis le commencement du siège de Strasbourg, la piété nationale de la population parisienne n’a cessé de prodiguer, autour de l’image de la capitale de l’Alsace, le témoignage du patriotisme le plus touchant et de la plus ardente reconnaissance pour le grand exemple que Strasbourg et les villes assiégées de l’Est ont donné à la France;
Voulant tout à la fois perpétuer le souvenir du glorieux dévouement de Strasbourg et des villes de l’Est à l’indivisibilité de la République et des généreux sentiments du peuple de Paris,
Décrète:
Article 1er. La statue de la ville de Strasbourg, qui se trouve actuellement sur la place de la Concorde, sera coulée en bronze et maintenue dans le même emplacement, avec inscriptions commémoratives des hauts faits de la résistance des départements de l’Est.
Article 2. Le ministre de l’instruction publique est chargé de l’exécution du présent décret.
Fait à paris, à l’Hôtel de Ville, le 2 octobre 1870.
Les membres du Gouvernement de la défense nationale.
(Suivent les signatures.)
Au moins Gambetta évoquait le devoir de délivrer, l’honneur de venger…
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L’image du bombardement de Strasbourg est conservée à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg, on la trouve sur Gallica, là.
Cet article a été préparé en juin 2020.