Le péril grandit, nous explique Blanqui aujourd’hui 4 octobre, dans le numéro daté du 5 de La Patrie en danger.

Mais, avant de vous livrer son article, je reviens, par amitié pour Auguste Vermorel, à la question des traîtres. Dans l’article du 28 septembre, j’ai cité un communiqué du Comité central républicain paru dans ce numéro, celui d’aujourd’hui. Il est accompagné d’un chapeau éditorial d’Henri Verlet, sous le titres « Les traîtres », bien que, Henri Verlet le remarquait, il serait plus juste de dire « Les calomniateurs ». Et contient la lettre suivante — je vous avais dit qu’Albert Theisz était un ami de Vermorel:

À l’occasion des accusations de connivence avec le gouvernement déchu mises en circulation depuis quelques jours contre plusieurs citoyens, le citoyen Vermorel, dont le nom avait été prononcé, nous a prié de l’accompagner auprès du citoyen Rochefort, membre du Gouvernement provisoire, qui, par une accusation portée à la tribune du Corps législatif en janvier dernier, avait mis antérieurement en suspicion la moralité politique du citoyen Vermorel.

Le citoyen Vermorel a mis en demeure le citoyen Rochefort de le disculper ou de le confondre, maintenant que toutes les pièces pouvant établir sa situation sont entre les mains du gouvernement.

Le citoyen Rochefort, admettant la justice de la démarche faite auprès de lui, a promis de s’enquérir afin de donner complète satisfaction au citoyen Vermorel, et, après enquête faite, il lui a adressé la lettre suivante:

Paris, le 3 octobre 1870

Citoyen,

J’ai vivement regretté de n’avoir pu me trouver hier au rendez-vous pris. J’étais, du reste, à la préfecture de police, où les renseignements que j’ai pris établissent que votre nom n’a jamais été cité dans aucun rapport, non plus que sous-entendu dans aucune pièce.

Plusieurs communications d’anciens agents compromettent, en effet, un certain nombre de personnes; mais, sans donner à des rapports dont les signataires n’offrent aucune garantie plus d’importance qu’il ne faut, je puis vous affirmer que vous n’y êtes désigné nulle part.

Vous pouvez, citoyen, faire de cette lettre l’usage que vous jugerez convenable.

Salut et fraternité

Signé: Henri Rochefort

Albert Theisz, rue de Jessaint, 12. — Édouard Roullier, 29 rue Gracieuse. — Henri Roullier, 80 rue Lepic.

Oui, oui, le péril grandit! De plus en plus de Prussiens aux portes, et le gouvernement comme obstacle à la défense…

Le voici:

Le péril grandit

Toul et Strasbourg sont pris. 80,000 hommes et l’artillerie de siège vont renforcer les Prussiens. On est sans nouvelles de la province. L’ombre s’épaissit autour de nous.

Pourquoi le Gouvernement fait-il les ténèbres? Pourquoi cache-t-il ses dépêches? D’après l’Électeur libre, bien placé pour savoir [car lié à Ernest Picard], l’Hôtel de Ville a reçu du citoyen Crémieux [qui, depuis le 12 septembre, représente le gouvernement à Tours] un long rapport qui lui a fait éprouver une douloureuse surprise.

Pas un mot de ce rapport dans le Journal officiel, pas même une simple allusion.

Est-ce donc ainsi qu’un gouvernement doit traiter Paris assiégé, Paris qui lui a imprudemment confié le sort de la France? Lorsque toutes les poitrines sont haletantes d’anxiété, attendant une parole du pouvoir, pour craindre ou pour espérer, le pouvoir se tait; il cache les nouvelles graves qui lui parviennent, il trompe la cité.

Il a dit la prise de Strasbourg et de Toul, c’est vrai. Mais pourquoi? Parce qu’il s’agit d’un fait de guerre qui ne dépendait pas de lui, et dont la responsabilité ne lui incombe que pour une faible part.

Les événements de Tours, au contraire, pèsent de tout leur poids sur son incapacité et ses funestes tendances: à travers les hiéroglyphes de M. Picard, on devine aisément que M. Crémieux a laissé perdre la situation en province, et compromis, peut-être d’une manière irréversible, les destinées de la patrie.

Tout est ambigu, obscur et menaçant dans ce style d’Hiérophante [prêtre instruisant des initiés].

Nous sommes convaincus, dit la feuille Picard [L’Électeur libre], que l’amiral Fourichon fait son devoir et met tout en œuvre pour organiser la défense nationale.

Cela signifie qu’elle est convaincue du contraire, et ce qui accentue davantage cette signification, c’est le regret exprimé par le journal que des commissaires généraux énergiques n’aient pas été envoyés en province.

Le Gouvernement n’en est pas à se repentir de cette négligence,

s’écrie l’écrivain, et il demande la révocation immédiate du Gouvernement de Tours; son remplacement par des commissaires généraux expédiés en ballon.

Ce langage est fait pour donner de justes alarmes. M. Picard n’est pas un républicain tellement ardent, qu’il n’y ait lieu d’être frappé de surprise en le voyant tourner court aux mesures révolutionnaires.

Ce qui ressort de ces logogriphes sinistres c’est que nous n’avons à Tours, ni gouvernement, ni armée, ni action politique; les feuilles légitimistes achèvent d’éclaircir le mystère par leur audace et leurs forfanteries. Le royalisme est maître sur les bords de la Loire et, bien loin de secourir la République et Paris, il ne rêve que leur destruction.

Ici, le Gouvernement se défie de la population parisienne autant que Bonaparte lui-même; ses procédés sont moins violents, son aversion est aussi prononcée. Toutes ses sympathies sont pour les feuilles réactionnaires. Les anciens journaux du César déchu ont passé au service de l’Hôtel de Ville, gratuitement peut-être, et en simples volontaires, mais leur appui n’en est pas moins acquis aux hommes de la direction actuelle.

Qui se soutient, se ressemble. Les intérêts sont les mêmes, et l’ennemi commun, c’est la Révolution.

Les feuilles dites libérales emboîtent le pas avec quelques simagrées, pour faciliter leurs évolutions dans l’avenir. Elles blâment les lenteurs, les tergiversations de l’autorité, mais elles disent raca aux républicains opposants [elles les méprisent] et chantent, comme sous Bonaparte, l’antienne de l’union, du concours absolu.

C’est au nom de la défense qu’elles réclament cette abnégation, et le plus grand obstacle à la défense, c’est le Gouvernement lui-même. Depuis le 4 septembre, il n’a cessé de la compromettre, et par ses mesures politiques et par ses mesures administratives et par ses mesures militaires. Il nous perd, et on crie « Maintenez-le »; il nous conduit aux abîmes, et on crie « Suivez-le ».

Le premier acte de la défense est d’écarter qui rendent la défense impossible.

Blanqui

*

Le péril grandit, mais les femmes travaillent, comme le montre ce dessin de Paul Hadol représentant des ouvrières fabriquant des cartouches au cirque des Champs-Élysées, qui vient du livre Femmes de France, et du musée Carnavalet.

Livre cité

Trailles (Paul et Henry)Les femmes de France pendant la guerre et les deux sièges de Paris, Polo (1872).

Cet article a été préparé en juin 2020.