Dans notre article du 10 octobre, nous avons vu des gardes de la 7e compagnie du 169e bataillon s’adresser au général Tamisier contre leur commandant Blanqui. Le journal La France avait publié leur déclaration avec des commentaires. Elle a été publiée aussi par Le Gaulois, le 14 octobre aussi, avec ce complément:

Ces messieurs nous ont affirmé que tous les hommes du 169e bataillon, à l’exception de ceux des 1re et 8e compagnies, ont signé cette pièce.

C’est Blanqui qui s’exprime maintenant (en vert) dans La Patrie en danger datée du 17 octobre (je sais, je suis un peu en avance, mais l’abondance de l’actualité m’y oblige…).

Le lendemain, ce même journal, Le Gaulois, a inséré les quelques lignes ci-après, servant de post-scriptum à l’élucubration de la veille:

Tous les capitaines et officiers des 2e, 3e, 4e, 5e, 6e et 7e compagnies du 169e bataillon, et M. Naud, porte-drapeau au même bataillon, ont signé la protestation que nous avons publiée hier en tête de nos colonnes, — contre les doctrines politiques et l’incapacité militaire absolue de M. Blanqui.

Dès le lendemain, l’ordre suivant était signifié au 169e bataillon:

Le président du Gouvernement, gouverneur de Paris, vu l’art. 9 du décret du 27 septembre 1870;

Attendu que le droit de révocation ne s’applique pas seulement à la répression des fautes individuelles, mais qu’il a été institué comme mesure d’ordre public; 

Considérant que de sérieux dissentiments se sont manifesté dans le corps des officiers du 169e bataillon de la garde nationale;

Attendu que les causes de ces dissensions ne permettent aucune tentative de conciliation;

Sur la proposition du général commandant supérieur des gardes nationales;

Arrête:

Art. 1er.– Le cadre des officiers du 169e bataillon de la garde nationale est dissous par mesure générale de licenciement.

Art. 2.– Les élections auront lieu immédiatement dans le 169e bataillon, conformément aux prescriptions de la loi.

Le général commandant supérieur de la garde nationale et le maire du XVIIIe arrondissement sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté.

Fait au quartier-général, le 13 octobre 1870.

Le président du gouvernement, gouverneur de Paris
TROCHU

Pour ampliation,
TAMISIER.

La première nouvelle de dissentiments sérieux survenus dans le corps d’officiers du 169e bataillon m’a été donnée par le Gaulois du 14 octobre; la seconde par l’ordre de licenciement des cadres du bataillon.

Jusque là, pas un nuage n’avait troublé les rapports du chef de bataillon avec ses officiers; pas un signe de dissentiment ne s’était fait jour. Pas la moindre discussion ne s’était élevée sur un sujet quelconque.

Dès lors, j’ai dû prendre la pièce sans signatures, insérée dans le Gaulois, pour une de ces spéculations ignobles qui sont le métier de certaine presse. 

Deux choses surtout me confirment dans cette idée: d’abord le ton provocateur et grossier d’un factum qui contraste si étrangement avec la courtoisie habituelle de nos relations, puis l’épithète d’instigateur lancée au chef du 169e bataillon.

Je n’ai fait ni tenté aucune manifestation, armée ou non, et je n’ai jamais fait aucune ouverture ni dit un seul mot sur cette question aux officiers ou aux gardes. Je ne leur ai pas même parlé de politique.

Il me semble bien étrange que des subordonnés se permettent d’ériger les opinions politiques de leur chef en cause d’indignité, alors que ces opinions ne se manifestent que dans un journal, et n’ont jamais figuré dans les affaires intérieures du bataillon. C’est là une des plus violentes atteintes portées à la liberté de penser et d’écrire. 

Enfin, ce qui me démontrait l’origine apocryphe du libelle inséré dans le Gaulois, c’est la déclaration spontanée de trois officiers sur quatre, de la 3e compagnie du 169e. La voici:

Les soussignés, officiers de la 3e compagnie du 169e bataillon, déclarent fausse et mensongère l’affirmation qu’ils aient signé une protestation dirigée contre le commandant Blanqui. Non-seulement ils n’ont point apposé leur signature à cette pièce, mais ils la réprouvent complètement.

Signé: Garcin père, capitaine en premier;
Vaucher, capitaine en second; Garcin fils, lieutenant.

De leur côté, les officiers des 1re et 2e [sic, pour 8e] compagnies ont signé, avec leurs gardes, la déclaration suivante:

Les citoyens soussignés déclarent formellement être étrangers aux manœuvres ayant pour but de demander la démission du citoyen Blanqui, et continuent à le reconnaître comme leur chef de bataillon; ils considèrent comme nulles et non avenues toutes les démarches partielles tendant à sa révocation.

Signé: dans la 1re compagnie: Mayer, capitaine en premier; Goumont, capitaine en second; Piger, lieutenant; L’Huillier, lieutenant en second; Counat, sous-lieutenant; Leclerc, sous-lieutenant.

Dans la 8e compagnie, Berns, capitaine en premier; Grenette, capitaine en deuxième; Pautonnier père, lieutenant en premier; Courcelles, lieutenant en deuxième; Lapie, sous-lieutenant.

Averti enfin par l’ordre de licenciement du général Trochu, j’ai voulu connaître les noms des officiers qui avaient participé à la pièce publiée dans le Gaulois, je n’ai pu parvenir à les rejoindre, ni à échanger avec eux une parole. Ils m’ont évité avec un soin tout particulier, et ne sont pas venus au rapport, après l’exercice, malgré l’ordre.

Mais de prompts renseignements m’ont enfin donné la clé de ces manœuvre souterraines. La plupart des promoteurs du complot étaient, avant le 4 septembre, des ennemis déclarés de la République. Le principal agent de l’intrigue a gagné sa croix d’honneur au coup d’État du 2 décembre.

Un autre, mon complice en 1860, dans une affaire qui m’a coûté quatre ans de prison, faisait partie de la police bonapartiste. Il s’est fait élire officier au 169e, comme ancien militaire, et a repris contre moi son service policier, pour le compte du gouvernement bonapartiste ou pour celui du gouvernement actuel, je ne sais.

Prodigue de démonstrations affectueuses, de protestations de dévouement, il calomniait et déchirait par derrière le chef qu’il flagornait par devant.

C’est par de tels moyens qu’on est parvenu à égarer des hommes loyaux et crédules. On leur a persuadé que s’ils n’étaient ni vêtus ni équipés, c’était par la volonté de leur commandant. On leur a répété ceci:

Le commandant trouve et dit que quinze sous par jour sont assez pour vous.

Comment des gens sont-ils assez simples pour ajouter foi à de pareilles impostures? Quoi! il n’y a pas plus de trois semaines, un Républicain-Socialiste est acclamé chef de bataillon à l’unanimité, en n’invoquant pour titre que les opinions et les actes de toute sa vie [le 14 septembre, voir notre article du 15], et aujourd’hui on le somme de déguerpir parce qu’il n’est pas bonapartiste et contre-révolutionnaire. 

À qui demander compte d’un tel revirement?

Ce n’est point à la presse immonde de l’ex-police, plus audacieusement calomniatrice à cette heure qu’elle ne le fut jamais sous Pietri; c’est au gouvernement de l’Hôtel de Ville, dont cette presse est devenue la milice.

Que les Républicains mesurent le chemin parcouru et regardent devant eux où il aboutit: à l’abattoir; et déjà les assassins sont prêts comme en 48. Ils préludent à l’égorgement par l’outrage et la calomnie. Qu’ils y songent: ils ont à ce moment à défendre et la République et leur vie.

Blanqui.

*

Auguste Lançon a dessiné cette fabrique de carton [ajouté le 13 octobre — merci au « fidèle lecteur » qui m’a suggéré de rectifier — j’avais écrit « fabrique de canon »] entre La Courneuve et le Bourget en octobre 1870, et cette estampe se trouve au musée Carnavalet.

Cet article a été préparé en juillet 2020.