On l’a compris, beaucoup de militants révolutionnaires, blanquistes souvent, mais pas seulement, se sont fait élire commandants de leurs bataillons. Les manifestations à l’Hôtel de Ville des jours précédents (voir nos articles du 5 et du 8 octobre) ont attiré l’attention sur ce fait.
Nous avons vu il y a déjà longtemps que la manifestation du 8 avait entraîné la révocation d’Eugène Varlin, j’en profite pour signaler que sa lettre que Le Réveil a publiée en date du 11 octobre a aussi été publiée par La Patrie en danger (dans son numéro daté du 12 octobre).
Si des éléments réactionnaires du 193e ont pu « débarrasser » ce bataillon de son commandant Varlin, on peut imaginer que d’autres éléments tout aussi réactionnaires ont tenté la même opération avec d’autres. Ce fut en effet le cas.
Le 10 octobre, une députation du 169e s’adresse au général Tamisier, qui commande la Garde nationale:
Général,
Les soussignés, faisant tous partie de la 7e compagnie du 169e bataillon, ont l’honneur de vous déclarer qu’ils sont tous prêts à donner leur vie pour le salut de la République, mais qu’ils répudient de la manière la plus formelle toute manifestation armée ou non armée, toute parole, tout écrit, qui aurait pour but de forcer l’action du gouvernement de la défense nationale dans lequel ils ont la confiance la plus illimitée; qu’ils considèrent les manifestations faites par plusieurs bataillons comme antinationales, en ce sens qu’elles ne peuvent que jeter la désunion dans les rangs de la garde nationale.
En conséquence, les soussignés verraient avec regret leur commandant être l’un des instigateurs de ces manifestations dans lesquelles ils déclarent qu’ils ne le suivraient pas.
Les soussignés, gardes nationaux, déclarent en outre qu’ils protestent énergiquement contre les doctrines politiques émises par leur commandant, le citoyen Blanqui, qui, suivant eux, tendent à provoquer la guerre civile. Ils protestent de même contre l’incapacité absolue dudit commandant en fait de manœuvres militaires, et, par ces motifs, ils déclarent qu’il ne peut rester à leur tête.
Vive la République ! Mort aux Prussiens !
Paris, le 10 octobre 1870.
Cette lettre est publiée dans La France datée du 14 octobre, sous le titre « L’incapacité de Blanqui », avec des commentaires appropriés:
Chaque jour amène un nouveau mécompte pour ces infortunés démagogues qui s’étaient évidemment trompés de date, et avaient confondu 1870 avec 1793.
Le lecteur prendra sans doute avec plaisir connaissance de la protestation suivante
avant… et
Après une défaite infligée aux Prussiens, rien ne saurait nous plaire davantage qu’une leçon semblable donnée à nos démagogues contemporains. M. Blanqui a eu le tort de se croire un drapeau. On vient de lui prouver qu’il n’est qu’un épouvantail.
après. Ceci semble être la suite d’une réunion, le 10 octobre, aux Folies-Montmartre. Voyez La Presse du 11 octobre:
Une réunion orageuse, présidée par M. Blanqui, commandant du 169° bataillon de la garde nationale, a eu lieu hier au soir, dans l’ancienne salle Robert (Folies-Montmartre). Beaucoup d’officiers et de soldats assistaient à cette séance, où l’on devait proposer et discuter le renouvellement de M. Blanqui comme chef de bataillon.
Le discours de M. Blanqui, qui a approuvé hautement la manifestation faite avant-hier à l’Hôtel de Ville et revendiqué le rétablissement de la commune, a été mal accueilli par le public, qui a interrompu plus d’une fois l’orateur et s’est nettement prononcé pour le gouvernement de la défense nationale.
M. Blanqui, après avoir vainement tenté de continuer son discours au milieu du bruit, a été obligé de descendre de la tribune. Ce matin, toutes les compagnies du 169° bataillon ont décidé que M. Blanqui ne serait pas réélu.
Et Le Figaro du 12 — qui traite en même temps le cas du 212e et de Pilhes:
On annonçait hier soir qu’à la suite d’une réunion du 169e bataillon de la garde nationale, qui a eu lieu à Montmartre, toutes les compagnies étaient résolues à repousser la candidature de leur chef, M. Blanqui, qui avait voulu se soumettre à l’épreuve d’une réélection. La conclusion du discours prononcé par M. Blanqui avait soulevé beaucoup de murmures. Une dissension du même genre paraît s’être élevée entre le 212e bataillon et son commandant, M. Pilhes, qui a été un des principaux acteurs de l’échauffourée du 14 août, à la Villette. M. Pilhes a soutenu non sans raison peut-être, que la journée du 14 août était un 4 septembre venu vingt jours trop tôt; mais la Ia majorité du bataillon n’a pas goûté la subtilité de son argument et a réclamé énergiquement la démission du commandant. L’affaire en est là.
Voir notre article du 13 octobre pour la suite de l’histoire du 169e. Il y a aussi le cas de Victor Jaclard, commandant du 158e (encore un bataillon du 18e).
Dans La Patrie en danger, datée du 14 octobre, un ordre du jour daté du 12, et qui fait allusion à des faits qui se sont produits le 10 — aujourd’hui, donc:
Le 158e bataillon
Ordre du jour. — 12 octobre 1870
Mes chers camarades,
Vous avez appris les faits qui se sont produits dans la journée du 10, au poste du Château-Rouge.
Deux officiers, dont l’un chef de poste, tous deux dégoûtant[s] d’ivresse et furieux de réaction, ont tenté de vous soulever contre votre commandant.
Les gardes, indignés, ont fait eux-mêmes justice des coupables, en opérant leur arrestation, que j’ai maintenue à mon arrivée.
Le général Tamisier, commandant supérieur de la garde nationale, a cru devoir prendre ces gens sous sa protection; il a envoyé l’ordre de les mettre en liberté.
Ainsi, une autorité émanant je ne sais d’où, a foulé aux pieds l’autorité dont vous m’aviez investi; l’arbitraire s’est déclaré supérieur à vos suffrages.
Une telle situation est pour moi intolérable, et je viens, non entre les mains du général, mais entre les mains du bataillon qui m’a élu, déposer ma démission.
Je pensais marcher plus longtemps à votre tête, combattant, du même coup, les Prussiens du dehors et les Prussiens du dedans.
C’est avec tristesse que j’abandonne cet espoir; je vous laisse mes regrets amers, et j’emporte le souvenir ineffaçable de vos bravos frénétiques qui, maintes fois, ont acclamé, en ma présence, la République, la vraie République, non celle qui en prendrait le masque, pour mieux composer avec la monarchie, qui, complice de l’envahisseur, essayerait de faire, à notre barbe, la traite de l’honneur et du sang français.
Un dernier mot.
La réaction monte; rappelez-vous le passé. Rappelez-vous comment tombent les Républiques, comment s’abîment les plus grandes et les plus héroïques nations.
Républicains, prenez garde à vous;
Adieu, chers camarades, à tous une poignée de main fraternelle.
Votre ex-commandant,
Victor Jaclard
Victor Jaclard a été réélu (voir La Patrie en danger datée du 28 octobre).
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La cantine du bastion 29 (à La Villette) utilisée en couverture est au musée Carnavalet.
Cet article a été préparé en juillet 2020.