Nous revoici à l’Académie des sciences, où nous avons laissé ces messieurs, il y a déjà trois semaines, discutant de nourriture, surtout du pain et de sa fabrication, mais aussi de café, de cacao, et de soupe à l’ail (et au pain).

Depuis une semaine, on parle beaucoup de viande, quai Conti. On a entamé, lundi dernier, un débat sur les modes de conservation de la viande. Un des secrétaires perpétuels l’a lancé ainsi:

Dès que la menace d’un siège à soutenir a rendu nécessaire la concentration sur Paris d’une quantité de bétail capable de nourrir sa population pendant sa durée, on a compris qu’il fallait porter tout l’effort sur le bœuf, le mouton et le porc.
La population de Paris consomme volontiers du veau; mais, dans les circonstances présentes, mieux valait assurément garder le lait des vaches laitières pour les enfants et les malades que de le livrer aux veaux de boucherie. On n’a donc pas amené de veaux.

La population de Paris consomme volontiers aussi du porc, sous toutes les formes. Malheureusement, on n’a pu en faire entrer une quantité suffisante aux besoins de la consommation normale; l’époque n’était pas favorable.
La base principale de l’alimentation de Paris en viande repose donc sur le bœuf et sur le mouton.

Certes, mais comment le conserver?

Différentes méthodes de salaison ont été évoquées (permettant de conserver la viande plus ou moins longtemps — mais était-il nécessaire de la conserver très longtemps? c’était une question).

Bien entendu, il a été question du beurre,

Ainsi, Paris manque de beurre; non-seulement le beurre frais n’y arrive plus, mais tous les efforts tentés pour y faire parvenir de larges quantités de beurre salé ont été impuissants.
Mais on sait que le beurre peut être suppléé par la graisse de bœuf, non par sa totalité, mais par ce produit de première qualité qu’on désigne sous le nom de graisse de rognon, et qui rivalise, en effet, avec le beurre de cuisine.

Les os et la gélatine ont engendré une discussion indépendante sur la gélatine, qui devait durer plusieurs semaines et dont je ne dirai pas plus.

On a essayé, a dit un des respectables savants, de saler des animaux entiers. Un botaniste est intervenu sur l’utilisation des plantes culinaires rustiques. Un chimiste, l’éminent M. Chevreul, a fait remarquer que les épinards étaient nourrissants — à bas les épinards, vivent les bananes, aurais-je glissé si j’avais été présente, mais évidemment il n’y avait pas de bananes…

Il a été question du moyen de conserver les viandes en évitant les salaisons…

Dans une des dernières séances de la Société d’Acclimatation, M. E. Simon, consul de France en Chine, rappelait quelques-uns des procédés culinaires employés par les Chinois et les Mongols. Au moment de préparer leurs provisions de chasse ou de voyage, ces peuples réduisent la chair des bœufs et des moutons en une poudre sèche, qu’ils mélangent avec de la farine d’avoine, de maïs, etc.

et du pemmican qu’utilisent les trappeurs de la baie d’Hudson.

Plus tard, on parlera du boudin de sang de bœuf… et le 21 novembre, on finira par arriver à la viande de cheval, au cours d’une fort longue séance où l’on aura préalablement entendu une communication bien venue sur l’histoire du chat domestique dans l’antiquité.

On n’arrivera aux œufs et à leur conservation qu’à la séance du 23 janvier. Mieux vaut tard…

Il est remarquable qu’aucune des ces discussions n’ait donné lieu à la présentation de recettes de cuisine. Que mangeaient ces messieurs?

*

Le dessin de Daniel Vierge, sur l’approvisionnement de Paris avant le siège, que j’ai utilisé en couverture, est au musée Carnavalet, là.

Les Comptes rendus de l’Académie des sciences sont sur Gallica. Pour le volume concerné (jusqu’à la fin décembre), ils sont exactement là. Et, à partir de janvier, .

Cet article a été préparé en mai 2020.