Si, si, il y a un article de ce titre dans La Patrie en danger, dans le numéro daté du 22 octobre. Si vous ne me croyez pas, allez-y voir (en cliquant sur le lien précédent). Le voici, d’ailleurs.
Dieu protège la France
Les membres de la défense ont fait inscrire sur les nouvelles pièces de monnaie à l’effigie de la République cette phrase consolante: « Dieu protège la France. »
Ce n’est pas une prière, c’est une affirmation.
Ainsi, il est entendu que Dieu nous protège, qu’il nous a toujours protégés et nous protégera toujours.
Quel bonheur!
Mais alors, citoyens du Provisoire, pourquoi vous acharner à la défense? Pourquoi fortifier Paris? Pourquoi fermer les portes de la ville? Qui vous dit que l’invasion prussienne n’est pas l’un des plus grands effets de la protection divine? Auriez-vous la prétention de sonder les voies de la Providence? Loin de vous cette pensée impie. Sabaoth est avec nous, nul ne l’ignore. Sabaoth a un plan, lui et quel plan! Dites donc à Trochu de remettre le sien dans ses cartons. Souvenez-vous du plan Lebœuf.
Et maintenant que vous avez su prouver tout l’intérêt que prend l’Être suprême à notre bonheur, retournez tranquillement dans vos foyers, et priez. Priez avec Jules Favre et comme Jules Favre. Et la patrie sera sauvée.
Gabriel Brideau
Dans l’auteur, nous reconnaissons un des condamnés de « l’Affaire de La Villette ». Dans son article, nous reconnaissons, outre l’anticléricalisme que je ne saurais reprocher à nos amis blanquistes, le « plan Trochu » (voir notre article du 15 octobre). Et, dans toute cette histoire, nous reconnaissons une devise dont Maxime Vuillaume nous a déjà parlé sur ce site.
La République du 4 septembre a dû faire frapper des pièces. Gabriel Brideau s’y prend un peu tard. La presse a déjà commenté ces nouvelles pièces. Je ne résiste pas au plaisir de citer ici l’inimitable Figaro (dont les journalistes mériteraient de s’appeler Jean Ratpahune), ici en date du 26 septembre.
L’Avenir national nous apprend que la Monnaie frappe depuis quelques jours des pièces de cinq francs à l’effigie de la République : on a repris le coin de 1848, cette tête lourde et commune couronnée d’épis, dans laquelle il est difficile de reconnaîtra la belle et séduisante France. Au revers figure la couronne de laurier et de chêne, sans la légende : Liberté, Égalité, Fraternité.
Sur l’exergue de la pièce, on lit : « Dieu protège la France. » Est-ce bien le moment de dire cela?
L’Avenir eût voulu qu’on ressuscitât les trois figures symboliques de la première république, mais les Hercules, les Justices et autres allégories mythologiques sont bien usées, bien peu en rapport, avec notre courant d’idées modernes. Peut-être vaudrait-il mieux se contenter d’un simple faisceau, qui symboliserait à jamais le spectacle bien rare d’une union presque unanime.
Cette tête « lourde et commune » n’en finira pas de représenter la République, sur les pièces ou sur les timbres. Elle a encore remplacé Pétain sur les timbres de 1945 — comme elle remplace, en cet automne 1870, Napoléon III, sur les pièces et sur les timbres.
Les Hercules, Justices et autres allégories mythologiques (datant de la République de 1848) ont été utilisés quelques mois plus tard (voir l’article de Maxime Vuillaume déjà cité).
Quant au faisceau, il avait été jadis le « pile » de pièces dont le « face » était le profil de Louis XVI « roi des Français » — il était alors surmonté d’un bonnet phrygien. Il a en effet été utilisé à nouveau, mais surmonté d’une francisque, ce qui était moins compromettant, en 1904 — hélas, le journaliste du Figaro était déjà mort.
Et, comme nous le savons, le « Dieu protège la France » n’a disparu qu’après la séparation de l’Église et de l’État (pas celle de la Commune, celle de 1905).
Si je comprends bien ce que je lis dans les journaux de province en octobre, ces pièces d’argent, fabriquées à Bordeaux, sont mises en circulation le 11 octobre. Je ne sais pas ce qu’il en est de Paris.
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J’ai copié l’image complète de la pièce « Cérès » de 1870 (même si celle de l’image a été frappée en 1871) sur cette page (cliquez) d’un site spécialisé. Que je remercie pour l’autorisation d’utiliser cette image.
Cet article a été préparé en juin 2020.