« Pénible accident », comme dit Trochu, le combat du Bourget, a eu lieu les 28, 29 et 30 octobre. Pour résumer en quelques citations:

Le général de Bellemare, le 29 octobre à 7 heures du soir, crie victoire au Bourget:

Le feu continue par intermittence, comme hier. Pas d’attaque d’infanterie; nous sommes en très bonne position; nous tenons et nous y restons.

Les résultats du combat d’hier au soir ont été importants ; le terrain en avant de nos tirailleurs est couvert de cadavres prussiens ; un de leurs officiers, blessé, est prisonnier.

Et pourtant…

30 octobre

Reprise du Bourget par les Prussiens. Au moment où Paris se réjouissait de l’occupation de ce village et y voyait un succès de bon augure, l’incurie du commandement militaire permettait à l’ennemi de reprendre la position.

Il y avait au Bourget trois ou quatre mille hommes au plus, servis par trois pièces de canon et une mitrailleuse.

Ce matin, à sept heures, les Prussiens ouvrent uneviolente canonnade sur le village. Une trentaine de pièces amenées dans la nuit jettent une grêle d’obus. Les maisons volent en éclats, brûlent, s’effondrent.

Nos soldats, surpris, s’abritent derrière les espérant que l’attaque se bornera à cette terrible canonnade.

Mais point; vingt mille Prussiens approchent; une de leurs colonnes attaque le Bourget par le nord, sur la route de Lille; l’autre tourne le village et y pénètre par le côté de Saint-Denis. Alors s’engage un combat à la baïonnette. Fusils français et fusils prussiens se croisent dans les mèmes créneaux; on se tue à bout portant.

Quatre mille contre vingt mille!

Trois compagnies sont faites prisonnières; les autres parviennent à s’échapper par la route d’Aubervilliers.

Écrit Adolphe Michel, qui ajoute un « curieux » rapport du général Schmitz.

Le village de Drancy, occupé depuis vingt-quatre heures seulement, ne se trouvait plus appuyé à sa gauche, et, le temps ayant manqué pour le mettre en état respectable de défense, l’évacuation en a été ordonnée, pour ne pas compromettre les troupes qui s’y trouvaient.

Le village du Bourget ne faisait pas partie de notre système général de défense son occupation était d’une importance très secondaire, et les bruits qui attribuent de la gravité aux incidents qui viennent d’être exposés sont sans aucun fondement.

Pour le chef d’état-major de Trochu, cette perte était donc insignifiante. Ce ne fut pas le cas pour les Parisiens, et c’est ce que nous raconte maintenant Victorine Brocher.

On ne sait pas très bien à partir de quelles sources elle a écrit son livre — longtemps après les faits. Des souvenirs, évidemment, mais aussi tant de passages extrêmement précis… Sans doute avait-elle des notes?

Si elle fait une erreur de date, sa description de l’angoisse en ces jours de la fin octobre mérite d’être citée. Tout le texte en noir vient de son livre.

*

25 octobre, combat héroïque du Bourget, pris et repris; finalement vaincus, nos défenseurs furent écrasés par le nombre des ennemis, qui étaient bien organisés; ils avaient une trentaine de pièces de canons.

Je crois utile de faire intervenir ici un fragment de la proclamation du général Trochu.

Le pénible accident survenu au Bourget, par le fait d’une troupe qui, après avoir surpris l’ennemi, a manqué absolument de vigilance et s’est laissé surprendre à son tour. Dépêche officielle: on compte 34 officiers et 449 soldats tués. [Nous retrouverons la phrase de Trochu le 1er novembre.] 

Cette déclaration a vivement affecté l’opinion publique. Le général Trochu ne dit pas que nos soldats avaient été braves et que, n’ayant en réalité que deux pièces de canon, ils ont été vaincus par le nombre.

Dans le fait, le général ne considérait l’affaire du Bourget que comme une non-valeur, parce qu’elle n’entrait pas dans son plan. L’invraisemblable était l’absence de toutes communications avec le dehors. Depuis quarante jours, personne n’avait de nouvelles de sa famille, nous avions pour prison les murs d’enceinte des fortifications de Paris ; nous étions séparés de la France et du monde entier.

L’angoisse morale n’est pas moindre que le besoin matériel de l’alimentation journalière ; assurément cette situation était plus cruelle encore. On commençait à voir le vilain côté de la guerre.

Au Panthéon, il y avait une grande tribune, au-dessus de laquelle il y avait un écusson représentant le navire de la Ville de Paris, surmonté d’un faisceau de drapeaux, au sommet un drapeau noir, dans les plis funèbres les noms de Strasbourg, Toul, Châteaudun ; il flottait au gré du vent en signe de deuil ; au-dessus de l’estrade, une grande bande portant cette inscription : « Citoyens, la patrie est en danger ; enrôlements volontaires des gardes nationaux. » Une foule immense gravissait les marches de la tribune, des hommes allant se faire inscrire, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants.

Les femmes étaient remplies de courage et engageaient leurs maris à prendre les armes pour la défense de la patrie, on sentait une force électrique qui se dégageait. De grandes et généreuses choses pouvaient être accomplies, ces multiples ­dévouements étaient dignes des temps les plus héroïques de notre histoire.

Malgré tout, le peuple avait pour mot d’ordre : soyons calmes devant l’ennemi, pas de désunion.

Cette confiance magnifique qui transporte les montagnes et fait accomplir des prodiges, le gouvernement de Paris ne la possédait pas. Dès le commencement du siège, le gouvernement avait dit que la défense était une héroïque folie.

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Paris apprend, en même temps, la capitulation de Metz. Sans avoir même combattu, Bazaine livre cent soixante dix mille hommes qui sont faits prisonniers et envoyés en Allemagne.

Notre Hérisson raconte:

Le 27 octobre, le journal Le Combat, un organe sang de bœuf, annonça d’une façon précise que le maréchal Bazaine avait envoyé un officier pour traiter de la capitulation de Metz avec le prince Frédéric-Charles. C’était vrai, car ce même jour était signée la capitulation de Metz. Mais personne n’en savait rien, personne ne s’y attendait, et cette nouvelle tomba comme un obus au milieu de Paris assiégé. Le gouvernement en fut le premier surpris, la démentit en termes maladroits, se fermant volontairement toute issue pour battre en retraite dans le cas où elle se confirmerait, traitant le maréchal, qui venait en réalité de rendre son armée, de glorieux Bazaine, et Le Combat de journal prussien.

Eh bien… Après tous ces mensonges, toutes ces trahisons… il me semble que nous sommes prêts pour une journée insurrectionnelle! Elle aura lieu le 31 octobre.

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Le dessin de Daniel Vierge, représentant un épisode de la bataille du Bourget, est paru dans Le Monde illustré daté du 12 novembre.

Livres cités

Brocher (Victorine)Souvenirs d’une morte vivante Une femme dans la Commune de 1871, Libertalia (2017).

Michel (Adolphe), Le siège de Paris, 1870-1871, A. Courcier (1871).

D’Hérisson (Maurice d’Irisson), Journal d’un officier d’ordonnance: juillet 1870-février 1871, Ollendorff (1885).

Cet article a été préparé en juin 2020.

[Ajouté le 8 décembre 2020. Voir aussi la belle et excellente page des archives de Paris sur les cent cinquante ans de la guerre franco-prussienne et plus précisément son article sur le 28 octobre 1870.]