Dans son numéro daté du 19 novembreLe Monde illustré publie des portraits des maires élus dans les dix premiers arrondissements de Paris. Pourquoi les dix premiers? Eh bien, pour commencer… sauf que la suite ne parut jamais. Trop compliqué… dans les dix-neuvième et vingtième notamment.

Une belle brochette de bourgeois réactionnaires, dont je ne vous ai gardé que quelques-uns. Parmi ceux-ci, vous verrez Tirard agir au début de la Commune, et Hérisson marier Tony-Moilin avant son exécution à la fin…

Quand même un honnête républicain, d’ailleurs défendu par La Patrie en danger, Théodore Bonvalet, maire du troisième arrondissement, en haut à droite.

Mais nous ne sommes que le 5 novembre et ces messieurs ne sont pas encore élus.

Dans La Patrie en danger d’aujourd’hui, numéro daté du 6 novembre, deux listes:

Les deux paroles d’honneur

Dans la soirée du 31 octobre, deux engagements ont été pris:

L’un par le peuple, de lâcher ses prisonniers et d’attendre les élections de la Commune, en abandonnant l’Hôtel de Ville;

L’autre, par Messieurs de la défense nationales, de faire les élections de la Commune et de n’exercer aucune poursuite, sous aucun prétexte, contre ceux qui se retireraient volontairement.

Le peuple a tenu son engagement.

Le Gouvernement n’a point fait élire la Commune, et, pour comble d’infamie, nous a ramenés au beau temps des arrestations bonapartistes.

Ont signé les Rédacteurs présents:
Balsenq, Alfred Breuillé, Brideau,
Caria, Dillon-Kavanagh, Flotte,
Gois, Albert Goullé, Henri Verlet

Les arrestations

De nombreuses arrestations ont été opérées hier dans la matinée. On nous assure qu’elles se continueront cette nuit.

Toujours comme après le plébiscite impérial!
Le citoyen Vésinier a été arrêté hier à sept heures et demie du matin, par un commissaire de police, escorté de trois agents.
Le citoyen Jaclard a été arrêté à huit heures.
Notre ami et collaborateur Tridon a été arrêté.
Le citoyen Raoul Rigault, commissaire de police, a été arrêté. Il est relâché.
Le citoyen Cyrille a été arrêté.
Le citoyen Ranvier a été arrêté.
Le citoyen Millière a été arrêté.
Le citoyen Félix Pyat a été arrêté.
Le citoyen Edmond Levraud a pu échapper à l’exécution du mandat dirigé contre lui.
Le citoyen Mottu a été arrêté.
Le citoyen Vermorel a été arrêté.
Le citoyen Razoua a été arrêté.

Henri Verlet

Avant de passer à la deuxième liste, je consulte Le Rappel daté du 6 novembre, dans lequel je lis, sous le même titre, 

L’opinion jusqu’ici portait le gouvernement; voici maintenant que la réaction l’entraîne.

Hier il a ordonné, — à froid, le péril passé, l’excitation de la lutte calmée, — l’arrestation de plusieurs des citoyens qui ont pris part à la manifestation du 31 octobre.

Félix Pyat, arrêté à midi, a été conduit au dépôt de la préfecture de police.

Les citoyens Flourens et Blanqui ont pu s’échapper.

On a arrêté encore MM. Razoua, Vermorel, Ranvier, Maurice Joly, Pillot, Ducoudray, Peyrouton, Goupil, Lefrançais, Vésinier, Tridon, Cyrille, etc.

Le citoyen Razoua, au moment de son arrestation, venait d’être réélu chef de bataillon à l’unanimité.

Une proclamation de M. Jules Favre disait le matin: « Que ce jour solennel marque la fin des divisions qui ont désolé la cité. »

Et quelques heures après, les divisions recommencent, les représailles sévissent, et par le fait de ce gouvernement dont trois cent mille voix viennent de maintenir le pouvoir.

Mais revenons à La Patrie en danger.

Élections municipales

Liste de candidats

Il faut qu’aucun électeur ne déserte le scrutin.

Il faut avoir bien soin de faire suivre les noms des candidats du qualificatif maire ou adjoint [la règle du jeu va changer, voir ci-dessous].

Il ne faut pas perdre de vue que les voix données aux candidats comme adjoints ne leur seront pas comptées pour l’élection de maire.

[Je complète, en bleu, par la liste d’adjoints proposée par La Patrie en danger dans son numéro daté du 9 novembre.]

IIIe arrondissement

Bonvallet, maire
Cleray, adjoint
Mousseron, adjoint
Antoine Arnaud, adjoint

Ve arrondissement

Bertillon, maire
Regnard, adjoint
Treilhard, adjoint Régère

VIe arrondissement

[blanc] maire
André Rousselle, adjoint [plus dans la liste du 9]
Edmond Goupil, adjoint
Eugène Varlin, adjoint + Alphonse Humbert

IXe arrondissement

Ulysse Parent
Massol
Carteret

XIe arrondissement

Jules Mottu, maire
Blanchon, adjoint
Poirier, adjoint
Tolain, adjoint

XIIIe arrondissement

Antoine Rocher
Léo Meillet
É. Duval

XVIIe arrondissement

Docteur Villeneuve, maire [proposé comme adjoint le 9]
Mégy, adjoint
Malon, adjoint
Gérardin, adjoint [n’est plus proposé le 9]

XVIIIe arrondissement

Clemenceau, maire
Ferré, adjoint [n’est plus proposé le 9]
Lafond, adjoint
Jaclard, adjoint + Dereure

XIXe arrondissement

Jules Vallès, maire
Oudet, adjoint
Vésinier, adjoint
Tridon, adjoint

XXe arrondissement

Blanqui, maire [n’est plus proposé]
Flourens, adjoint
Germain Casse, adjoint
Ranvier, adjoint. [élu maire, n’est plus proposé comme adjoint le 9]

Au dernier moment, nous apprenons que l’élection des adjoints est renvoyée à lundi.

On ne votera aujourd’hui que pour les maires.

Toujours les mêmes atermoiements déloyaux.

*

Ici quelques commentaires s’imposent. Des blanquistes, bien sûr. Des républicains bourgeois. Mais aussi Benoît Malon et Eugène Varlin. Ce qui m’avait le plus étonnée, c’était l’omission du treizième arrondissement… rattrapée pour l’élection des adjoints.

Il y a eu le plébiscite le 3 novembre.

Il y a un premier tour pour les maires, le 5 novembre, treize maires sont élus, dont, parmi ceux soutenus par La Patrie en danger, Bonvalet, Mottu — brillamment, loin devant Arthur de Fonvielle — et Clemenceau. Le docteur Villeneuve n’a obtenu, dans le XVIIe, que 567 voix, et Jules Vallès 350 dans le XIXe, loin derrière Charles Delescluze. Dans le XXe, les voix d’extrême gauche, très majoritaires se sont partagées entre Ranvier, Millière et Flourens (je lis les résultats dans Le Rappel daté du 7 novembre). J’avoue n’avoir pas bien compris la manipulation qui a fait qu’on n’a pas voté pour Blanqui…

Commentaire de Gustave Flourens sur l’élection de Mottu:

Un des maires, nommés le 4 septembre, s’était signalé entre tous par son ardent dévouement aux intérêts de ses administrés. Les dictateurs naturellement l’avaient révoqué. Car il avait déplu à la confrérie. Il avait osé, l’infâme, préférer à l’enseignement clérical, qui fait des sujets, l’enseignement laïque, qui fait des citoyens. Il avait osé reprendre possession, au nom de sa municipalité, de locaux usurpés par les frères ignorantins, ces suppôts des jésuites. Pour tous ces méfaits impardonnables, il avait été révoqué, et Jules Simon, cet hypocrite qui, sous l’Empire, se faisait une popularité en plaidant pour l’enseignement laïque, s’était bien gardé de le soutenir. Les électeurs remirent le citoyen Mottu à la tête de la mairie qu’il administrait si bien.

Il y a donc ensuite un deuxième tour pour les maires, le 6 novembre. Delescluze est élu maire du XIXe et Gabriel Ranvier maire du XXe avec 7735 voix (je suppose que la consigne de vote était claire, cependant 20 électeurs ont préféré voter pour Millière et 12 pour Flourens…) (cette fois, je lis les résultats dans Le Rappel daté du 8). L’élection de Ranvier est annulée par le gouvernement — il est dans la liste des arrêtés ci-dessus.

Il y a encore le premier tour de l’élection des adjoints le 7 novembre. Dans le XVIIIe, Jaclard, Lafont et Simon Dereure sont élus, mais où est passé Ferré? Les adjoints de Jules Mottu sont élus tous les trois. Le XXe élit Flourens, Millière et Lefrançais. Et, dit Le Rappel daté du 9 novembre,

Le vingtième arrondissement, qui avait élu pour maire le citoyen Ranvier, a nommé hier adjoints, les citoyens Flourens, Millière et Lefrancais,

De sorte que tous les membres de la municipalité de l’arrondissement sont ou en prison ou sous le coup d’un mandat d’amener.

Le gouvernement va-t-il nommer un maire et des adjoints d’office ? Grave empiétement sur les droits des électeurs.

Ne ferait-il pas mieux, en présence du rejet de l’armistice, et quand la défense a besoin de toutes ses forces, — de rendre à la liberté les citoyens élus et, par la même occasion, tous les autres prévenus ?

Je remarque que Gustave Lefrançais n’était pas sur la liste de La Patrie en danger

Le résultat du deuxième tour de l’élection des adjoints (dans Le Rappel daté du 11 novembre) donne Benoît Malon, élu dans le XVIIe.

Beaucoup d’abstentions. Blanqui commence son article, dans La Patrie en danger datée du 9 novembre, ainsi:

Le scrutin désert. Quatre cinquièmes d’abstentions. Les maires nommés par des minorités impalpables. Paris tombe dans le marasme.

Ce que « confirme » Le Soir daté du 7 novembre:

Les abstentions ont été beaucoup plus considérables au scrutin du 5 novembre qu’au scrutin de l’avant-veille.

Pourquoi ? Les électeurs seraient-ils déjà las d’exercer leur prérogative de souverains ?

Tous calculs faits, nous trouvons que ces abstentionnistes sont au nombre de 123,930. C’est un fait d’autant plus regrettable qu’il a permis aux communalistes de triompher dans plusieurs arrondissements.

Livre cité

Flourens (Gustave)Paris livré, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1871.

En parlant d’élections municipales… cet article a été préparé en juin 2020.

[Ajouté le 8 décembre 2020. Voir aussi la belle et excellente page des archives de Paris sur les cent cinquante ans de la guerre franco-prussienne et plus précisément son article sur le 5 novembre 1870.]