Avant de donner la parole à Gustave Flourens sur la question du bois de chauffage, je signale la liste qui ouvre La Patrie en danger datée du 15 novembre:
Les Républicains en prison
La République de Trochu tient sous ses verroux [orthographe d’époque] les citoyens:
Tridon,
Jaclard,
Vermorel,
Vézinier,
Maurice Joly,
Cyrille,
Ranvier,
Tibaldi,
Félix Pyat,
Razoua,
Ducoudray,
Pillot,
Lardeur,
Goupil, etc., etc.On recherche avec un acharnement digne de Lagrange, les citoyens:
Blanqui,
Flourens,
Millière,
Eudes,
Edmond Levraud,
Sapia,
Régère, etc., etc.Sommes-nous en République ou en monarchie?
Il serait temps de l’avouer.Henri Verlet
Il y a quelques oublis et heureusement quelques « etc. »
Quatre jours plus tard, dans le numéro daté du 19 novembre, l’article « Les Républicains en prison » rappelle les dossiers de quelques-uns des « patriotes que l’on retient à la Conciergerie », le commandant Cyrille, le commandant Jaclard, Lefrançais (qui certes manquait dans la première liste), le commandant Ranvier, le commandant Razoua, Paolo Tibaldi, Tridon, Vésinier, Vermorel.
Ils se gèlent certainement à la Conciergerie, et ce sera pire dans le donjon de Vincennes (voir notre article du 25 janvier). La parole à Gustave Flourens qui, lui, n’est pas, pas encore, en prison à la date d’aujourd’hui, mais qui écrit un peu plus tard (après le 8 février 1871, si je lis bien) et qui nous dit tout sur le bois de chauffage — la citation en vert.
*
L’hiver, il faut du bois pour se chauffer. C’est ce que tout le monde sait, le suisse de M. de la Palisse le savait, Jules Ferry l’ignore. Vous verrez le dernier commandant de place forte assiégée s’assurer qu’il y a des provisions de bois en suffisance dans toutes les caves; s’il n’y en a pas assez, faire couper du bois vert, et le mettre sécher. Les froids arrivent, Paris tout entier grelotte, M. Jules Ferry, prend sa bonne plume. Ce jour-là il a marché sur un poète, sur un Legouvé quelconque, il est d’un lyrisme effréné. Il annonce aux Parisiens « que les dures nécessités de la guerre l’obligent à un cruel sacrifice. Cette couronne d’ombrages et de verdure qui fait le charme et la joie des environs de Paris, il va l’abattre. Il va l’abattre, avec discernement, sur une grande échelle ». On ne pouvait plus poétiquement parler de bûches.
Mais, malheureux, vos bûches sont vertes. Comment les faire brûler dans ces petits poêles en fonte qui sont l’unique moyen de chauffage des ouvriers parisiens, des deux tiers de la population. Comment attendre quatre ou cinq jours que vous les ayez abattues. Nous souffrons de la faim, il faut bien cuire nos aliments; nous souffrons du froid, nos greniers sont si glacés. Désespérés, plusieurs s’en vont prendre ces planches qui servaient de clôtures aux terrains vagues et indiquaient les futures rues d’Haussmann. On saisit ces malheureux, on les emprisonne. Nous avons vu à Mazas [où il est bientôt arrivé] de pauvres pères de familles, condamnés à six mois de prison par les juges inamovibles de l’Empire qui siègent au Palais de Justice, pour avoir pris le morceau de bois destiné à cuire un peu de soupe à leurs petits enfants. Sans doute ce sont là « ces gredins » dont parle Trochu dans une de ses premières lettres aux Parisiens : « cette classe spéciale de gredins qui n’aperçoivent dans les malheurs publics que l’occasion de satisfaire des appétits détestables ».
Nous craignons beaucoup, M. le général Trochu, que, malgré toute votre sagacité, vous n’ayez fait une grave erreur, et que cette classe spéciale de gredins, qui voient dans les malheurs publics l’occasion de satisfaire des appétits détestables, ne soit pas où vous pensez. Nous irions la chercher dans les palais de tous ceux que le siège a enrichis, fonctionnaires et spéculateurs, plutôt que dans les greniers où n’a pas cessé d’habiter la misère. Nous aimerions mieux avoir pris une planche pour chauffer nos enfants, et expier ce crime à Mazas, nous aimerions mieux être le « repris de justice » qui a « volé » une planche, et que vous flétrirez à cause de cela pendant le reste de sa vie, que d’être « l’honnête homme » qui a livré Paris!
Le gredin, c’est celui qui nous a laissé mourir de faim et de froid par incurie. Le gredin, c’est celui qui a pris dans nos forêts du bois nous appartenant, ne coûtant que la peine d’être coupé, et qui nous l’a ensuite vendu si cher. Comment vouliez-vous, M. Jules Ferry, qu’avec nos trente sous de gardes nationaux nous puissions acheter le bois vendu par vous trois francs? Le gredin, c’est celui qui a souffert que de malheureux soldats, blessés pour nous défendre, fussent déposés dans des locaux humides, étroits, malsains, sous des hangars en planches, couchés sur des grabats infects. Tandis que le mot « ambulance » décorait tant de palais. Indigne spéculation, on écrivait « ambulance » sur sa maison pour la protéger contre le pillage si complaisamment annoncé par Trochu et Favre, et auquel personne, excepté eux, n’a songé dans Paris. Ces deux hypocrites s’y sont très-bien pris pour diviser la population, afin de la gouverner et de la trahir plus aisément. On mettait à toutes ses fenêtres, on mettait sur son toit le drapeau international de Genève, pour indiquer la présence de blessés et se protéger contre le bombardement. Peine perdue, les Prussiens auraient eu trop à faire s’ils avaient dû, avant de tirer un obus, s’inquiéter de tant de drapeaux. Mais on ne recevait presque pas de blessés. Deux ou trois pour la grimace. De vastes salons restaient déserts et inutiles, tandis que régnait sous les hangars un encombrement meurtrier.
Une Commune républicaine aurait développé dans tout Paris un immense esprit de fraternité, aurait occupé les femmes à soigner les blessés au lieu de les laisser oisives, aurait employé tous les logements inoccupés. Disciple du jésuite Jules Favre, député des couvents du faubourg Saint-Germain, M. Ferry s’inquiétait fort peu des blessés. Il s’inquiétait surtout de ne pas déplaire, en occupant leurs hôtels, à ses amis du « noble faubourg ». Ceux-ci ont eu pourtant le mauvais goût de ne pas le réélire [Jules Ferry a été élu député des Vosges le 8 février 1871].
*
De cet endroit, celui de l’image de couverture, le cours de Vincennes à la porte de Vincennes, on voit aujourd’hui la Tour Eiffel entre les colonnes du Trône… mais l’image est bien d’époque, et je l’ai trouvée au musée Carnavalet.
Livre cité
Flourens (Gustave), Paris livré, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1871.
Cet article a été préparé en juillet 2020.