De l’affiche (infâme) qui nous sert aujourd’hui de couverture (et qui vient du musée Carnavalet), Lissagaray écrit:

Une proclamation indignée dénonça les insurgés comme « les partisans de l’étranger », seule ressource des hommes du 4 Septembre dans leurs crises honteuses. Par là seulement, ils furent Jacobins. Qui servit l’étranger, du Gouvernement toujours prêt à traiter, ou des Parisiens toujours acharnés pour la résistance ? L’histoire dira qu’à Metz une armée immense, encadrée, instruite, de vieux soldats, se laissa livrer sans qu’un maréchal, un chef de corps, se levât pour la sauver de Bazaine, tandis que les Parisiens sans guides, sans organisation, devant deux cent quarante mille soldats et mobiles acquis à la paix, firent reculer de trois mois la capitulation et la vengèrent de leur sang.

En même temps, qu’il s’apprêtait à la capitulation, le gouvernement prenait des mesures contre les révolutionnaires.

Le Gouvernement ferma les clubs et lança de nombreux mandats d’arrêt. Quatre-vingt-trois personnes, la plupart innocentes, a dit le général Soumain, furent arrêtées. On saisit cette occasion pour envoyer Delescluze, malgré ses soixante-cinq ans et la bronchite aiguë qui le minait, rejoindre à Vincennes les détenus du 31 octobre jetés pêle-mêle dans le donjon humide. Le Réveil [journal de Delescluze] et le Combat [journal de Félix Pyat] furent supprimés.

De cet internement à Vincennes, il en a été question, à propos d’Auguste Vermorel, dans un article précédent. Revenons donc aux Souvenirs de Gustave Lefrançais (la citation en vert):

25 janvier 1871.

Nous sommes environ cent vingt entassés pêle-mêle à Vincennes, dans une des grandes chambres du donjon, donnant sur les fossés où Bonaparte fit fusiller le duc d’Enghien.
Nous y avons tous été amenés hier soir vers huit heures en voitures cellulaires escortées de cavalerie, pour protéger notre transfèrement.
On nous avait empilés jusqu’à trois par cellule dans la voiture, alors qu’un seul détenu peut s’y mouvoir à peine!
Dès le 23, nous avions été remis au secret à la Conciergerie, Vermorel, Tibaldi, Vésinier, Ranvier et moi, tous nos autres camarades ayant été successivement élargis.
Nos nouveaux compagnons à Vincennes ont été arrêtés à la suite de la journée du 22.
À notre arrivée dans une immense chambre, où pourtant nous grouillons littéralement, nous trouvons Delescluze en proie à une fièvre intense provoquée par une bronchite des plus sérieuses.
Élu maire de La Villette après le 31 octobre, il a toujours soutenu les mesures révolutionnaires dans les entrevues des municipalités avec la Défense.
Celle-ci n’a pas manqué de l’englober dans l’affaire du 22 janvier.
Quoique très malade déjà, il a voulu quand même accompagner son vieil ami Léclanché, qui vient de mourir, de la petite vérole noire, et c’est à la sortie du cimetière qu’il a été arrêté [il s’agit de Léopold Leclanché, un républicain de 1848, qui a été enterré (civilement) au cimetière Montmartre le 23 janvier — Delescluze n’avait plus de journal, il a été arrêté, mais Le Siècle daté du 24 janvier a publié une notice nécrologique qu’il a écrite sur son ami]. On n’a, cela va sans dire, tenu aucun compte de son état maladif, nos prétendus républicains au pouvoir ayant tout particulièrement en haine les plus actifs ennemis de l’Empire.
Pour comble, et bien que notre transfèrement ici fût prévu depuis au moins vingt-quatre heures, on ne s’est même pas donné la peine de remédier à l’état délabré de la salle où nous sommes parqués.
Les fenêtres sont à peu près sans vitres et ne ferment pas, les ferrures étant démontées. Un poêle énorme occupe le milieu de la chambre, mais il n’y a point de tuyaux et l’intérieur est en ruines.
Il fait un froid de loup [sur les températures qu’il a fait cet hiver, voir notre article du 26 décembre]. La neige tombe fine et serrée sur nos matelas, chassée qu’elle est par une violente bise.
Un pauvre diables est aussi atteint de bronchite comme Delescluze et tousse à faire pitié. Le hasard l’a précisément placé juste en face d’une fenêtre et le vent lui arrive droit dessus.
Nous faisons appel à la bonne volonté des camarades, et bientôt Delescluze et le citoyen Magne sont placés sur plusieurs matelas qui les isolent du carrelage vraiment glacial, puis adossés au poêle qui les abrite ainsi des morsures de la bise et des rafales de neige.
Tous ces arrangements sont dus surtout à l’initiative de Vermorel, qui y apporte un entrain du diable. La première nuit se passe ainsi, moins épouvantable qu’elle ne menaçait de l’être pour nous tous. 

Et si vous voulez savoir ce qu’ils ont mangé… lisez donc l’article ancien! — ou les Souvenirs de Lefrançais.

Livres cités

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Lefrançais (Gustave)Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).

Cet article a été préparé en juillet 2020.