Connaissez-vous Émile Dereux? Peut-être pas. La chanson que publie La Patrie en danger dans son numéro daté d’aujourd’hui 15 novembre a une petite notoriété.
Elle a été reproduite dans les deux recueils Les Poètes de la Commune, et surtout elle a été admirablement enregistrée par Armand Mestral sur le beau disque La Commune en chantant en 1971. Vous pouvez l’écouter en lisant cet article. Et si vous n’avez pas le disque, elle est là (cliquer). En voici le texte:
N’hésitez pas à cliquer sur l’image pour l’agrandir. Une très belle chanson et, ma foi bien d’actualité, et même un peu en avance: le 15 octobre, Émile Dereux savait déjà qu’on avait « rendu Paris ».
Mais qui dont est Émile Dereux?
Il est né le 20 octobre 1836 à Valenciennes. Son père était principal de collège. Lui-même, de profession, était comptable.
Il écrivait dans L’Action maçonnique (et donc, je suppose, était franc-maçon).
Nous l’avons déjà rencontré sur ce site, et déjà comme auteur de chansons. La chanson s’appelait Les Argousins de la presse et paraissait, de façon très adaptée, dans La Marseillaise le 18 mai 1870 — le dernier numéro avant la suspension. Je vous laisse aller regarder le journal en cliquant ici (la reproduction que nous avons est vraiment trop vilaine pour être incluse dans un article!).
C’était un ami de Gustave Lefrançais et on le voit avec lui dans plusieurs pages de ses Souvenirs. Ils participent ensemble notamment à une manifestation pour la paix le 16 juillet 1870.
Comme d’autres blanquistes, Émile Dereux a accepté de devenir commissaire de police après le 4 septembre, mais il a démissionné dès le 9 octobre — c’est-à-dire après le 8 octobre. Sa lettre, publiée par La Patrie en danger dans son numéro daté du 11 octobre, a été largement reprise dans la presse. La voici:
Paris, le 9 octobre 1870.
Au citoyen A. Dubost, secrétaire général de la préfecture de police.
Citoyen,
Après un premier refus et des hésitations trop justifiées aujourd’hui, j’ai accepté les fonctions de commissaire de police, sur l’assurance qui m’avait été donnée que l’administration de M. Kératry pouvait devenir honnête.
Depuis lors, la préfecture, loin de s’amender, a repris l’allure qu’elle avait sous Pietri, avec cette différence que les nouveaux commissaires, presque tous républicains, sont soigneusement écartés de l’action secrète de la police dictatoriale.
Nul ne peut, en effet, se méprendre sur la proposition singulièrement tardive de M. Kératry, touchant la Préfecture. Sa police centrale sera nominalement supprimée; de fait elle subsistera.
Je n’en veux d’autre preuve que les scènes d’hier.
Les mouchards, déguisés en gardes nationaux, ont opéré sur la place de l’Hôtel-de-Ville, comme aux beaux jours des Corses. Aux immondes calomnies, aux accusations stupides, aux brutalités sauvages dont les patriotes ont été victimes, il était aisé de reconnaître la présence des argousins de la réaction royaliste.
Je ne saurais, d’ailleurs, partager un instant de plus la solidarité d’un Gouvernement qui, par son attitude hypocrite et son langage perfidement provocateur, s’ingénie à défier la patience du peuple, rend la guerre civile possible, et exploite l’état de siège pour nous refuser le droit le plus légitime, celui d’élire les membres de notre Commune.Je vous prie, en conséquence, de me considérer comme démissionnaire.
Salut et égalité,EMILE DEREUX,
commissaire de police du quartier de la Roquette.
Dans ses Souvenirs, Gustave Lefrançais parle d’une démission après le 31 octobre, mais c’est une erreur, il dit aussi, et ce n’est pas une erreur, qu’Émile Dereux et le baron de Ponnat ne voulaient pas se faire « les argousins de la réaction ».
Émile Dereux n’était plus commissaire mais il était artilleur. Et il écrivait des chansons. Nous en avons déjà rencontré deux, Les Argousins de la presse et Paris pour un beefsteak. Aujourd’hui même sans doute il est en train d’en écrire une autre, Ma Marianne, qui ne paraîtra, dans La Patrie en danger, que dans le numéro daté du 25 novembre — je devrais dire « un des numéros datés du 25 novembre » (nos amis de La Patrie en danger se sont « plantés » sur les dates, et ce numéro, le numéro 75, celui qui contient la chanson Ma Marianne, devrait porter la date du 24 novembre, puisque le précédent, le numéro 74, porte celle du 23). Bref, je suis sûre que vous ne voulez pas attendre dix jours que la chanson soit publiée, en voici donc le texte. Elle est moins connue que la première, mais elle est aussi acérée politiquement!
Et si, pour des projets perfides / Un Cavaignac ressuscitait / C’est contre les liberticides / Que Marianne tirerait!
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Et après? Eh bien, je vous donne rendez-vous le 6 janvier pour la suite de l’histoire d’Émile Dereux. Quant à son canon, nous en reparlerons avant, le 27 novembre, précisément.
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Un grand merci à Maxime Jourdan pour les renseignements qu’il m’a gentiment donnés sur Émile Dereux, son état civil mais pas seulement!
Livres cités
Les poètes de la Commune, Les Éditeurs français réunis (1951).
Choury (Maurice), Les Poètes de la Commune, préfacé par Jean-Pierre Chabrol, Seghers (1970).
Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).
Cet article a été préparé en juin 2020.