Aujourd’hui, 23 novembre,

alors que le siège dure depuis plus de deux mois, — a lieu, aux abords de Bondy, la première rencontre de la garde nationale avec les Prussiens. Deux compagnies de guerre du 72e bataillon, — Passy, — sous la conduite du commandant de Brancion, effectuent pendant deux à trois heures une reconnaissance au cours de laquelle quelques coups de fusil sont échangés. Quatre gardes nationaux sont blessés.

(Je cite Duveau, en vert.) C’est à Bondy, mais c’est un bataillon de Passy… La défense nationale continue à ne pas faire confiance aux bataillons des quartiers ouvriers.

Les élus du vingtième sont toujours en prison ou recherchés, l’élection du maire Gabriel Ranvier (qui avait aussi été commandant du 141e, bataillon du onzième) a même été annulée (voir nos articles des 11 et 19 novembre).

Je donne aujourd’hui la parole (en vert) à un élu du dix-huitième — en réalité il l’a déjà prise lui-même, la parole, en écrivant le 11 novembre une lettre publiée dans La Patrie en danger datée du 17 novembre (j’ai un peu de retard, aujourd’hui, mais ce que dit Victor Jaclard n’est pas absolument sans lien avec la timide opération de Bondy):

Aux citoyens

du 18e arrondissement

Prison de la Conciergerie, 11 nov. 1870

Citoyens, 

Vous m’avez élu adjoint à la mairie de votre arrondissement. C’est au fond de la cellule où m’a jeté la réaction — en attendant qu’elle me traîne devant une cour martiale — que cette nouvelle inespérée est venue me surprendre.
J’en suis heureux et fier.
Heureux; car c’est de votre part une protestation courageuse; vous avez montré que vous n’étiez ni dupes ni complices.
Fier; car l’honneur est en raison de la grandeur de la tâche.
Un double danger nous menace:
Au-dessus de nos têtes, le talon de Guillaume; sous nos pieds, le cloaque orléaniste. Le premier a déjà réduit la moitié de la France. Le premier a déjà réduit la moitié de la France; quant au second, nous y sommes enfoncés jusqu’aux lèvres.
Et l’on ne paraît pas s’en douter! Les chassepots sont muets, les vivres s’épuisent, les désastres se succèdent; les royalistes conspirent et le pouvoir les protège; le peuple s’endort et les canons ne se fondent pas.
Au lieu d’envoyer aux Prussiens quatorze armées, on leur envoie M. Thiers; au lieu de les battre, on négocie.
On négocie quoi? — Ils ont osé l’avancer! — la paix, la capitulation, c’est-à-dire Paris livré comme Metz, Strasbourg, Sedan et tant d’autres.
La paix, c’est-à-dire les Prussiens dans nos rues, à notre table, dans nos foyers.
La paix, c’est-à-dire un comte de Paris vendant la France à Bismarck, comme Capet [Louis XVI] à Brunswick [celui qui fut battu par les armées révolutionnaires à Valmy], — mais cette fois au rabais, et se contentant pour prix de sa forfaiture d’une couronne ébréchée de quelques provinces.
La paix, alors que pas un de nous n’a été appelé ni à tirer, ni à recevoir un coup de fusil.
Et soixante jours ont été perdus à négocier ce trafic.
Et nous étions là, cinq cent mille, attendant l’arme au pied, qu’il plût à la Prusse de signer le marché, et de ratifier notre éternel déshonneur.
Allons, n’est-ce pas l’heure de secouer notre léthargie? Faut-il, pour nous réveiller, le tocsin des bombes? Allons! le temps presse. Les jours sont devenus des siècles dans l’existence de la patrie. Demain peut-être, pour elle, la mort ou… le triomphe.

Citoyens du XVIIIe arrondissement,
Vous m’invitez par vos suffrages à me joindre à vous pour conjurer le péril.
J’accepte, car je me sens le cœur plein d’ardeur patriotique et de foi républicaine.
L’outrage fait à Metz, ma ville natale, la trahison qui l’a livrée, demandent vengeance. Je vengerai Metz en essayant avec vous de sauver la France.

Citoyens,
Retenu derrière ces murs, je n’ai pu venir devant vous exprimer ma profession de foi. Elle eût été courte. En deux mots, la voici:
La guerre à outrance! la République à tout prix!

Victor Jaclard
Commandant révoqué du 158e bataillon,
adjoint à la mairie du XVIIIe arrondissement.

*

La belle photographie de Victor Jaclard que j’ai trouvée au musée Carnavalet est due à Eugène Thiébault. Il a indiqué au verso:

Jaclard Victor, adjoint au 18e [ceci date la photographie de 1870]
cap. de la 17e légion [ceci semble dater de la Commune]

Signalement:
30 ans [ce qui n’aide pas à choisir: Victor Jaclard est né le 18 décembre 1840]
cheveux et sourcils châtains
yeux bruns
nez moyen
bouche petite
menton rond
visage ovale
taille 1,65 m

Sans doute la présence du signalement date ces mentions d’un moment où Victor Jaclard était recherché, avant son arrestation en juin 1871 ou après son évasion à l’automne.

Livre utilisé

Duveau (Georges)Le Siège de Paris, Hachette (1939).

Cet article a été préparé en août 2020.