Gustave Flourens a attiré notre attention sur l’importante « surmortalité » du siège de Paris (voir notre article du 20 décembre). Je vais conclure ce mois de janvier en revenant à cette question, pas pour une étude précise mais pour relever la façon dont on en a parlé à l’époque (dans cet article, j’identifie les citations en vert).

Voici Le Soir daté du 3 janvier, dans une « Causerie scientifique »,

il ne faut pas trop se préoccuper de la mortalité qui frappe actuellement les enfants nouveau-nés. Il n’en meurt pas plus que dans les autres années à la même époque; seulement au lieu de mourir en province [chez des nourrices] et d’y paver les cimetières de petits Parisiens, ils succombent à Paris. Peut être même la proportion est-elle moins grande, car à cause de la difficulté de se procurer des nourrices, beaucoup de mères ont pris le parti de nourrir elles-mêmes leurs enfants. Elles ne s’en trouvent que mieux et les enfants aussi.

Ne nous en préoccupons donc pas… Page suivante, dans le même journal:

On lit dans L’Opinion nationale:

Le nouveau bulletin hebdomadaire des décès de la ville de Paris dénote une aggravation du mauvais état sanitaire de la cité; on devait s’y attendre en raison de la continuation de la plus rigoureuse température que l’on ait eue depuis bien longtemps, rigoureuse surtout à cause de sa durée.
Par rapport aux deux semaines précédentes, il y a eu un excédent de 552 décès. Voici du reste les chiffres de comparaison qui sont plus significatifs que toutes les phrases;

[Les nombres donnés dans le tableau qui suit concernent, dans l’ordre, les semaines du 11 au 17 décembre, du 18 au 24 et du 25 au 31]

Variole 391 / 388 / 454
Scarlatine 11 / 11 / 5
Rougeole 22 / 19 / 19
Fièvre Typhoïde 173 / 221 / 250
Érysipèle 16 / 14 / 10
Bronchite 190 / 172 / 258
Pneumonie 131 / 147 / 201
Diarrhée 103 / 73 / 98
Dyssenterie 38 / 30 / 51
Choléra 2 / 3 / 0
Angine couenneuse 9 / 6 / 13
Croup 12 / 11 / 16
Affections puerpérales 15 / 6 / 8
Autres causes 1615 / 1627 / 1897

Totaux 2728 / 2728 / 3280

Ainsi la mortalité causée par la variole, la fièvre typhoïde, la bronchite, la pneumonie, la diarrhée, la dysenterie et les causes diverses s’est beaucoup accrue. Les autres maladies ont beaucoup diminué leurs ravages. Le résultat ne peut être attribué qu’aux fatigues et aux privations du siège, supportées au milieu de circonstances météorologiques extrêmement dures. 

« Privations » veut sans doute dire qu’on meurt de faim… D’ailleurs, on meurt surtout de chagrin, nous dit Goncourt (le 26 décembre 1870):

En ce moment une grande mortalité à Paris. Elle n’est pas absolument produite par la faim. Et les morts ne se composent pas uniquement des malades et des maladifs, achevés par le régime, les privations continuelles. Cette mortalité est faite beaucoup par le chagrin, le déplacement, la nostalgie du chez soi, du coin de soleil que possédaient les gens des environs de Paris.

N’en déplaise à ces messieurs, on meurt beaucoup dans les quartiers où personne ne possède de coin de soleil. Le maire du 19e arrondissement s’en est préoccupé. La motion qui suit est parue dans Le Réveil, mais je l’ai lue citée dans le Journal des Débats daté du 4 janvier:

Le même journal [Le Réveil, donc] dit que la motion suivante a été présentée par le maire du 19e arrondissement, d’accord avec ses adjoints et après s’en être entendu avec quelques-uns de ses collègues. En voici le Ie texte:

Considérant qu’après plus de cent jours de siège, Paris, menacé tout à la fois par la famine et par une armée allemande, n’a plus rien a attendre que de lui-même;
Que cette situation, si pleine de périls, a été manifestement amenée par la direction donnée a la défense;
Considérant, d’autre part, que, privé, absolument comme sous l’empire, du droit de gérer ses propres affaires, Paris les voit abandonnées à l’arbitraire d’un délégué du gouvernement qui dispose des ressources de la ville et lui mesure, à son gré, la vie morale et la vie matérielle;
Que, fût-elle bienfaisante, cette dictature serait encore une insulte pour le peuple de Paris, dont l’excellent esprit s’est suffisamment affirmé par quatre mois de souffrances supportées sans mot dire;
Mais que tous les actes de cette administration, marqués au coin de l’imprévoyance et de l’irrésolution, sont la négation systématique de la loi de solidarité qui doit, sous l’institution républicaine, présider au règlement des intérêts municipaux, et surtout en temps de siège, alors que l’activité individuelle est confisquée au profit de la défense;
Que la misère et le mécontentement croissent d’heure en heure, qu’avant peu le désespoir aura seul la parole dans les quartiers populeux où l’insuffisance de l’alimentation, le mauvais état des logements, le manque de vêtements et de chauffage multiplient les maladies et la mortalité dans d’effroyables proportions;
Qu’il y aurait tout à craindre et pour la tranquillité publique et même pour la défense, si une large satisfaction n’était pas immédiatement donnée aux nombreux et légitimes griefs de la population;
Qu’on ne saurait plus se reposer, à tous égards, sur l’initiative exclusive du gouvernement ni de son délégué à la mairie centrale;
Qu’il y a donc lieu d’aviser d’urgence, au nom de la patrie en danger, et sans, bien entendu, porter atteinte aux droits supérieurs du peuple, toujours maître de faire connaître sa volonté;
Les maires et adjoints des arrondissements de Paris régulièrement élus par leurs concitoyens et ayant seuls, quant à présent, qualité pour les représenter,

Après en avoir délibéré en présence du citoyen ministre de l’intérieur et du délégué à la mairie centrale,

Déclarent :

Qu’à partir de ce jour, ils se constituent en permanence sous la sauvegarde de la population de Paris, de la garde nationale et de l’armée, à l’effet de proposer, suivant les circonstances, telles mesures qu’il appartiendra pour le salut de Paris et de la République. 

Rassurez-vous, le ministre de l’intérieur (ce « pauvre Jules Favre »), a refusé de mettre cette proposition aux voix (parmi l’assemblée des maires).

Tout ceci était avant le bombardement. Sur celui-ci, je copie les chiffres que donne George Guillaume dans son livre:

Le premier obus qui soit entré dans Paris a franchi l’enceinte en arrière du fort de Vanves, dans l’après-midi du 6 janvier. La première victime frappée mortellement l’a été rue Fermat, 14, derrière le cimetière Montparnasse.
Le jour qui précéda la reddition de Paris, il y eut encore 4 morts et 9 blessés, qui terminèrent cet inutile sacrifice d’existence.
En somme, Paris a perdu 31 enfants, 23 femmes et 53 hommes, soit 107 personnes tuées sur le coup. De plus, une partie des blessés, qui s’élèvent au nombre de 276, n’ont survécu que peu de temps à leurs blessures. Parmi ces 276 blessés, on compte 36 enfants, 92 femmes et 148 hommes.
Tués ou blessés, le total est donc de 67 enfants atteints, 115 femmes et 201 hommes, ce qui donne un total général de 384 personnes frappées par les obus de l’empereur d’Allemagne.
Ajoutons encore, pour compléter cette triste statistique,
que les jours les plus sanglants ont été ceux du 8 au 9, du 9 au 10, du 13 au 14 et du 14 au 15,
jours pendant lesquels le nombre des victimes a dépassé le chiffre de 30.

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Je vous renvoie aussi au décompte des jeunes mortes du onzième arrondissement en janvier 1871 dans un ancien article.

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L’estampe anonyme représentant une cantine municipale est au musée Carnavalet.

Livres cités

Goncourt (Edmond de)Journal des Goncourt — Deuxième série — Premier volume 1870-1871Charpentier (1890).

Guillaume (George), Souvenirs d’un garde national pendant le siège de Paris et pendant la Commune, Librairie générale de Jules Sandoz, Neuchâtel (1871).

Cet article a été préparé en septembre 2020.