Et maintenant, on va parler des élections — sans cesse. Nous n’y couperons pas.

Par amour pour les trains — amour à vrai dire assez platonique ces temps derniers –, parce que nous avons vu comme Victorine avait eu du mal à se rendre à Orléans (notre article du 29 janvier), parce qu’il faudra bien que des trains circulent pour apporter à Paris le ravitaillement, venu d’Angleterre, notamment (nous en parlerons le 17 février), parce qu’il faudra bien aussi que les (futurs) élus se rendent à Bordeaux où siègera — avant Versailles — l’Assemblée nationale, pour toutes ces raisons, voici quelques nouvelles glanées (sans méthode) dans les journaux datés des 1er et 2 février.

Le Rappel daté du 1er février:

M. Petiet, directeur du chemin de fer du Nord est mort hier d’une attaque d’apoplexie, au moment où il venait se de [sic] concerter avec un général prussien pour le rétablissement de la voie.

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À partir de demain, les trains reprendront leur service d’heure en heure sur tout le parcours du chemin de fer de ceinture.

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Les tabliers mobiles qu’on a fabriqués récemment dans les ateliers de la Compagnie du Nord vont être employés à la réparation des ponts de chemin de fer qu’on avait dû faire sauter la veille de l’investissement.

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Le Petit Journal daté du 1er février:

RÉTABLISSEMENT DES COMMUNICATIONS

Sur la ligne d’Orléans, les trains marchent de Juvisy a Vierzon, mais ils sont exploités par les Prussiens.
De Paris à Juvisy, la ligne étant coupée, on ne peut s’y rendre que par route de terre. Mais une fois à Vierzon les lignes sont françaises et l’on peut circuler dans le reste de la France, excepté à Tours, dont les approches ferrées sont interrompues.
La voie de terre est la seule qui y conduit.

La ligne de l’Ouest est la plus maltraitée, les rails sont enlevés en partie depuis Mantes jusqu’à Rouen.
On ne peut même aller de Paris que jusqu’à Suresnes.
La voie de fer est interrompue jusqu’à Versailles. Il en est de même de Rouen à Caen; de sorte que les marchandises partant du Havre devront passer par Amiens pour atteindre la ligne du Nord et revenir à Paris.

Si nous parlons de la ligne du chemin de fer de Lyon, nous trouvons la voie en assez bon état, sauf quelques lacunes faciles à combler.
Il suffira donc de peu de jours pour la réparer.
Déjà, les ouvriers sont à l’œuvre.

Le ravitaillement se fera dans le plus bref délai, sauf par Rouen, obligé de faire long détour pour nous arriver.
Les farines seront les premières à faire leur apparition dans la capitale, et des achats considérables ont été faits par le Gouvernement sur tous les grands centres de la France et de l’étranger. 

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La Patrie, 1er février:

Toutes les compagnies de chemins de fer s’occupent activement du rétablissement de leurs communications; jusqu’ici, du reste, le premier travail à faire consiste à vérifier l’état de la voie dans le grand rayon de Paris.

Sur la ligne de Lyon, un train d’employés a poussé hier jusqu’à la Gare-aux-Bœufs [sur la rive droite de la Seine, où eut lieu un des combats du 29 novembre], en face de Choisy-le Roi; mais, arrivé là, les postes allemands n’ont pas permis le parcours ultérieur du train; ils consentaient bien à laisser la locomotive continuer sa route, mais ils ont interdit le passage des voitures renfermant les employés envoyés pour les besoins du service.

Aujourd’hui [31 janvier] une nouvelle exploration de la ligne a dû avoir lieu par une simple machine, et on présumait qu’elle pourrait pousser jusqu’à Melun: c’est à une heure de l’après-midi que la locomotive destinée à ce parcours a dû quitter la gare.

Sur le chemin d’Orléans, on a poussé, avant-hier dimanche [avant-hier dimanche est le 29 janvier, donc aujourd’hui est bien le 31 janvier], jusqu’à Choisy-le-Roi, où la machine a été obligée de s’arrêter et de revenir à Paris; mais un employé de la Compagnie s’est, nous assure-t-on, rendu à pied jusqu’à Juvisy, afin de s’assurer de l’état de la voie, qu’on craignait de trouver assez endommagée.

Nous savons que la ligne principale de l’Est est également l’objet des premières investigations nécessaires pour reconnaître l’état de viabilité du chemin de fer.

Quant au service de banlieue, au sud de Paris, on annonce qu’il sera repris très incessamment jusqu’à Charenton, et d’ici, présume-t-on, à quatre ou cinq jours, sur la la ligne de Vincennes [de la gare de la Bastille, emplacement de l’actuel Opéra, jusqu’à Saint-Maur en ce temps-là], où le combustible fait défaut pour les besoins d’une reprise immédiate de circulation.

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Le Français, 2 février:

L’administration de la Compagnie d’Orléans s’occupe activement de la réparation de la ligne, peu endommagée d’ailleurs, et qui pourrait être rendue promptement à la circulation si les autorités prussiennes y mettaient plus de bonne volonté. De Paris à Juvisy, la voie ferrée appartient à la Compagnie française; sauf à Choisy, où ii existe une tranchée que quelques tombereaux de sable suffiraient à combler, la route est libre. De Juvisy à la Motte-Beuvron, en Sologne, l’exploitation est faite entièrement par une compagnie prussienne, suivant un tarif particulier. De la Motte-Beuvron à Vierzon, le chemin de fer est inexploité. La ligne passe à cet endroit sur le territoire réputé neutre par la convention. À Vierzon, où sont nos avant-postes et où nous aurions, parait-il, 60,000 hommes, recommence l’exploitation par la Compagnie française. Des négociations sont engagées entre le directeur de la Compagnie nationale et le directeur de la Compagnie allemande pour raccorder toutes ces lignes. On espère que ces négociations aboutiront, mais on n’est pas certain de pouvoir épargner aux voyageurs de nombreux changements de voitures et de perceptions, variant de distance en distance, suivant les tarifs appliqués. Il parait, dans tous les cas, certain que la seule ligne qui sera ouverte pour se rendre tant à Bordeaux qu’à Nantes sera celle qui traverse la Sologne. Les Prussiens manifestent, dit-on, la prétention de conserver après la signature de la paix l’exploitation qu’ils font en ce moment de plusieurs de nos chemins de fer, sauf à déduire du chiffre de l’indemnité de guerre qu’ils réclament le chiffre des perceptions qu’ils réaliseraient ainsi. 

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Si le chemin de fer de l’est est sous contrôle prussien, il semble qu’il soit possible d’atteindre, sinon Paris, du moins la proche zone d’occupation prussienne, puisque Sophie Kowalevski et son mari l’ont fait, ces jours-ci, précisément (voir cet ancien article).

Avant de lâcher mon article de ce jour et la date du 1er février, une belle réflexion que fait, sous la signature de son secrétaire de rédaction P. David, l’éditorialiste du Journal des Débats (daté du 1er février):

nous savons de combien de milliards et de flots de sang un peuple peut un jour payer la gloire de conserver sous un globe de verre, au musée des Souverains, un petit chapeau et une redingote grise qui, achetés tout neufs à la Belle-Jardinière, ne coûteraient pas trente francs.

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Évidemment le tableau de Turner n’a rien à voir, c’est pour le plaisir, c’est en Angleterre et c’est en 1844 — au moins, cette fois, ce n’est pas un anachronisme! Et la vitesse de la locomotive ne peut se comparer à celles des trains dont il est question dans cet article. La reproduction de ce tableau vient de la National Gallery à Londres (et sur leur site, vous pourrez même zoomer assez sur leur belle image haute résolution pour voir le lièvre qui court devant la Luciole).

Cet article a été préparé en octobre 2020.