Composé dans une « cachette ténébreuse », ce « dernier mot » est imprimé, recto et verso, en format in-folio et sur quatre colonnes.

J’en donne ici quelques extraits — avec des liens sur le texte intégral.

Auguste Blanqui y fait le point sur « ce qui a été et aurait pu être ». Il y étudie en particulier la question des responsabilités. Celles du gouvernement:

L’heure des impudences est passée. La commission de l’Hôtel de Ville apparaît désormais ce qu’elle n’a cessé d’être : une délégation du roi de Prusse ; la capi­tulation lui a donné l’estampille officielle. Bismarck règne et gouverne à Paris. Et ce n’est pas d’hier. C’était se déclarer l’agent de l’ennemi que de prendre la direction de la défense nationale, en disant tout haut, comme Trochu : « La résistance n’est qu’une folie héroïque » et, comme Ernest Picard: « On se défendra pour l’honneur, mais tout espoir serait chimérique ». Croire une chose impossible et l’entreprendre, c’est, en effet, de la démence. Mais cette démence s’appelle trahison quand l’entreprise est la défense in extremis de la patrie, et qu’on est libre de décliner ce fardeau. L’action de Trochu et de Picard était un crime, leur propos était une sottise.

Mais aussi celles de la presse:

Ne cherchons pas à nos infortunes des causes ima­ginaires. Laissons la métaphysique. Paris ne doit accuser que lui-même, sa crédulité, sa faiblesse. Jamais le monde n’avait vu pareil spectacle : toute une population courant à sa perte sous prétexte de l’éviter, et buvant jusqu’à la lie, au nom de son salut, le breuvage empoisonné dont on sait qu’elle va mou­rir ! La presse toujours est la grande coupable, le vrai foyer de la gangrène publique. Parmi ces jour­naux qui hurlent à l’envi contre le « gouvernement de la déroute », les uns, avec un machiavélisme infer­nal, l’ont poussé de tous leurs efforts vers l’abîme, criant : « Au Prussica ! » pour nous mieux livrer aux Prussiens. D’autres, plus discrets, ont aidé de leur com­plaisance, en haine de la république. Quelques-uns ont laissé faire et laissé passer, par respect de la force. Les moins mauvais ont tonné, pleuré, supplié, mais n’ont eu garde d’agir et de barrer le passage. Exceptons Le Combat, qui a gardé sa ligne droite. Tous, enfin, à divers degrés, ont été complices.

Paris, ses fortifications, sa maîtrise des chemins de fer — c’était, d’après Blanqui, l’élément de succès. Éloigner les femmes et les enfants — leur nombre et la façon de les acheminer — en contrepartie et en sens inverse l’arrivée des troupes. Le détail des récoltes de la Beauce, les moulins pour transformer le blé en farine

et l’on se souvient que le pain a manqué en décembre, tandis que les magasins regorgeaient de blé. Les avo­cats [le gouvernement regorge d’avocats] ne sont pas tenus de savoir que le pain se fait avec de la farine et la farine avec du blé.

Les moutons et les bœufs de l’ouest et du centre, etc., etc.

Certaines propositions sont certainement critiquables — Dommanget a notamment contesté la confiance de Blanqui dans les chemins de fer.

Voyez pourtant comme dans ce « dernier mot » tout est détaillé, chiffré, précis.

Maintenant, il faut des armes. La grande ville, au 4 septembre, en était presque dépourvue. Le ministre de la Guerre, Dejean, avait déclaré à la tribune que l’État possédait plus de deux millions de chassepots. Il mentait sans doute. Le public n’a jamais rien su de précis sur cette question. L’Hôtel de Ville ne l’a pas mieux renseigné que les Tuileries. Le plus simple, en tout cas, était d’aviser. Donc, ordre aux divers arse­naux d’expédier incontinent, par chemin de fer, tous les chassepots, fusils à tabatière, fusils à piston en magasin, ainsi que les poudres et munitions de guerre. Envoi, par les arsenaux maritimes, de tous les gros canons de marine, jusqu’à concurrence de trois mille, avec les munitions pour les servir. Ordre aux préfets de faire partir les ouvriers armuriers de vingt à cin­quante ans, leurs femmes et enfants restant à la charge de l’État durant l’absence du chef de famille. Ordre d’envoyer les ouvriers de toutes les fabriques d’armes et fonderies de l’État, Saint-Étienne, Châtellerault, Ruelle, Indret, etc., ainsi que les outillages pour la fabrication des chassepots. Les ouvriers des forges de la Nièvre, les mécaniciens du Creusot, dirigés sur Paris. Les fers, aciers, bronzes, cuivres, étains, plombs, salpêtres et soufres expédiés sans délai par les che­mins de fer. Tous les canons également. Des trains de houille se succèdent sans relâche, venant des mines de la Loire, de l’Aveyron, du Gard, d’Anzin (avec détour par Lille). On demande même la houille à Mons et à Charleroi, pour Lille et Paris, à Newcastle pour le Havre, si elle peut arriver à temps. Achat de pétrole, d’huile à brûler. Des bateaux de charbon et des trains de bois descendent en grand nombre du Morvan par l’Yonne et la Seine. Tous ces matériaux étaient indis­pensables pour fabriquer des chassepots. Il n’en exis­tait probablement pas alors plus de trois cent mille disponibles. Le reste avait été la proie de l’ennemi. Il fallait donc en créer rapidement des quantités énormes. De là, nécessité impérieuse d’avoir les métaux, les charbons, les outillages déjà construits et enfin des ouvriers mécaniciens par milliers.

Contrairement au « plan de Trochu » occulte, funeste et d’ailleurs inexistant (voir notre article du 15 octobre), ce plan-ci est magistralement conçu — et il ne s’agit pas d’un « je vous l’avais bien dit », ou d’un « fallait qu’on » — relire, pour s’en convaincre, les articles au jour le jour dans La Patrie en danger.

Il est d’ailleurs étonnant que Casimir Bouis, publiant trois mois plus tard ces articles en volume (le livre est paru le 12 mai 1871), n’ait pas inclus ce « dernier mot ». Qui en forme une parfaite conclusion.

Je ne pourrais mieux conclure cet article qu’en citant Gustave Geffroy:

L’accusation de haute trahison et d’attentat contre l’existence de la nation, c’est la conclusion formulée par le révolutionnaire qui s’impose critique militaire, général, et administrateur, par l’homme qui aurait assumé la direction et la responsabilité d’une intelligence si lucide, d’un cœur si ferme, par le patriote ardent qui restera l’historien amer et clairvoyant du siège de Paris.

Auguste Blanqui termine de prononcer ce dernier mot, puis quitte Paris pour Bordeaux et le Lot.

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Le texte du dernier mot (environ six mille cinq cents mots) est un peu long pour un article de blog, je vous en livre une version pdf. Vous pouvez aussi le lire sur ce beau site (d’une université anglaise) et plus précisément sur cette page (le site est en anglais mais les textes sont en français et/ou traduits).

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L’image (du recto seul, sur le site) dont j’ai extrait la couverture de cet article est au musée Carnavalet.

Livres utilisés

Blanqui (Auguste), Un dernier mot, Châtelain (1871), —  La Patrie en danger, recueil d’articles préfacé par Casimir Bouis, Chevalier (1871).

Dommanget (Maurice), Blanqui, la guerre de 1870-71 et la Commune, Domat (1947).

Geffroy (Gustave)Blanqui L’Enfermé, L’Amourier (2015).

Cet article a été préparé en juillet 2020.