La Carmagnole est un « journal éphémère », que j’avais raté dans « ma » liste de journaux — mais je l’y ajoute en écrivant cet article — et pourtant, il a bien une notice dans le Dictionnaire de la Commune de Bernard Noël.

Très rarement à Paris et donc encore moins souvent dans les lecteurs de microfilms de la Bibliothèque nationale de France, j’ai (re)découvert les articles que je cite ici dans le livre de George Guillaume — et je les cite d’après ce livre. La parole à Touchatout, un pseudonyme de Léon-Charles Bienvenu, l’éditeur de La Carmagnole (en vert). Il commence par avertir les… lecteurs du Figaro, invitant

les bons ventrus à qui son titre déplaisait de ne plus la déchirer sur les boulevards,

car,

si la Carmagnole n’est pas le rire qui menace, elle est peut-être le rire qui avertit. Ainsi, messieurs, qui avez bien dîné, ne la brûlez plus sur le boulevard. C’est bête. On vous laisse lire le Figaro, n’est-ce pas? 

George Guillaume cite ensuite un long article résumant les griefs des Parisiens contre les membres du gouvernement, en commençant par… Jules Favre, que « Touchatout » semble avoir détesté particulièrement:

Sur la route de Bordeaux:

— Halte-là… Qui vive?,..
— Jules Favre.
— Avance au mot de ralliement!
— République!… J’ai pleuré allant à Ferrières, j’ai pleuré à Ferrières, j’ai pleuré en revenant de Ferrières. Cinq mois après, j’ai pleuré en allant à Versailles, j’ai pleuré à Versailles, j’ai pleuré en revenant de Versailles. Je voudrais, en pleurant aller pleurer à l’Assemblée de Bordeaux.
— La République n’a que faire d’un Danton épluchant des oignons… Au large!…

Sur la même route passent ensuite Trochu (je passe aussi), puis Thiers (qui s’apprête à un retour en force):

— Halte-là! Qui vive?
— Thiers.
— Avance au mot de ralliement.
— République… J’ai finassé à Londres, j’ai finassé à Vienne, à Pétersbourg, à Versailles [voir notre article du 10 novembre]; malgré mon sourire fin, toutes les cours étrangères m’ont roulé, et si je me suis efforcé de ne pas faire craindre aux rois la simili-République de 1870, j’ai réussi également à ne pas la leur faire respecter. Je désire aller finasser à Bordeaux, puisque je ne suis bon qu’à ça.
— La République n’a que faire des sourires fins des vieux diplomates ratatinés; toute le diplomatie d’un Républicain consiste à tendre la main aux peuples et à montrer le poing aux rois. Au large!…

Passe ensuite Ernest Picard, puis c’est Jules Ferry:

— Halte-là!.. Qui vive?
— Jules Ferry.
— Avance au mot de ralliement.
— République.
— Tu dis ça sans rire?…
— J’ai organisé les bronchites aux portes des boucheries, j’ai pensé, au cœur de l’hiver, qu’il serait peut-être temps de songer à donner des ordres pour que l’on s’occupât d’examiner s’il n’y aurait pas lieu de prendre une mesure pour préparer des projets de coupes de bois. J’ai saisi juste le moment où il n’y avait plus de de terre pour les réquisitionner,  ça en a fait quintupler le prix; plus tard j’ai levé la réquisition, ça a été la même chose. Quand tout Paris a eu acheté du sucre à trente-deux sous la livre, j’ai fixé un prix maximum de vingt sous; ça a fait vendre ce qui restait en cachette à quarante sous. J’ai tout fait pour affamer, altérer, amaigrir et ruiner toute la population, mais j’ai déclaré dans plus d’une proclamation qu’elle avait été admirable de dévouement.
— La République n’a que faire d’un Pétion [maire de Paris en 1791-92] qui ne trouverait pas douze cents francs d’appointements dans la quincaillerie. Au large!…

Tentent ensuite de passer Pelletan, Garnier-Pagès, Arago, etc., etc. Touchatout, sans pitié, les envoie tous au large avec leurs prédécesseurs. Voici finalement Gambetta:

— Halte-là!.. Qui vive?
— Gambetta.
— Avance au mot de ralliement.
— La République ou la mort…
— Qu’as-tu fait, que veux-tu faire pour elle?
— Ils la croient morte, je crois qu’elle respire encore, ma foi en elle est mon seul mérite.
— Passe, citoyen.

Touchatout aimait donc bien Gambetta. Il remit Jules Favre en scène dans un autre numéro:

UNE ENTREVUE A VERSAILLES.
I.

BISMARCK, furieux. — Savez-vous bien, monsieur Jules Favre, que je suis fort mécontent.

JULES FAVRE. — Son Excellence m’étonne, nous faisons tout notre possible pour lui être agréables. En ce moment encore, on fond tout le bronze disponible à Paris afin de le remettre à son Excellence sous forme de pièces de 7 rayées.

BISMARCK. — Assez… pas d’observations… D’ailleurs, il ne s’agit pas de cela… Un esprit funeste anime votre capitale… Prenez garde, monsieur, vos républicains feront tant qu’ils lasseront ma patience.

JULES FAVRE. — Croyez, Excellence, qu’ils me gênent au moins autant que vous.

BISMARCK, se montant. — Savez-vous bien, monsieur, que je puis laisser vos Parisiens mourir de faim?

JULES FAVRE. — Je le sais, Excellence!

BISMARCK. — Et ensuite, que je puis les foudroyer tous en dix heures!

JULES FAVRE. — Oh! Excellence, une fois qu’ils seraient morts de faim, ça leur serait peut-être égal.

BISMARCK. — Assez, monsieur, je n’aime pas ce genre de plaisanteries; si j’ai dit une bêtise j’en ai le droit, je suis vainqueur.

JULES FAVRE. — Oui, Excellence.

BISMARCK. — Je me résume, monsieur, je veux que tout se passe en France avec le plus grand ordre; je ferai lancer sur Paris cinquante obus à pétrole par calembour que se permettra M. Rochefort à l’assemblée de Bordeaux.

JULES FAVRE. — Oui, Excellence.

BISMARCK. — Ensuite, au premier cri de vive la République! qui poussé sera poussé dans n’importe quel coin de la France, j’arrête le ravitaillement de Paris. Allez! j’ai dit.

JULES FAVRE, sortant. — Oui, Excellence.

BISMARCK, rappelant Jules Favre dans l’escalier. — Ici, monsieur.

JULES FAVRE. — Qu’y a-t-il pour le service de Son Excellence ?

BISMARCK. — C’était pour que vous fermiez votre porte.

II.

JULES FAVRE, seul dans son sur coupé la route de Sèvres. — Oh! misères! humiliations! je pleure en dedans et je bois mes larmes!

LE VENT soufflant par la fente de la portière. — C’est le sort de ceux qui dédaignent les peuples d’être humiliés par les rois.

III.

Dans son cabinet, Jules Favre dicte à son secrétaire une lettre destinée aux journaux:

M. Jules Favre a eu aujourd’hui une longue entrevue avec le grand-chancelier d’Allemagne, qui l’a beaucoup félicité sur l’attitude de la population parisienne pendant le siège. Discutant pied à pied le terrain avec une grande autorité, M. Jules Favre a amené M. de Bismarck à d’importantes améliorations dans les conditions de l’armistice.

IV.

LES LECTEURS PARISIENS, à la vue de cette note. — As-tu fini?

*

Il y a plusieurs numéros de La Carmagnole au musée Carnavalet, c’est ainsi que j’ai trouvé l’image de couverture de cet article.

Livres cités

Noël (Bernard)Dictionnaire de la Commune, Flammarion (1978).

Guillaume (George)Souvenirs d’un garde national pendant le siège de Paris et pendant la Commune, Librairie générale de Jules Sandoz, Neuchâtel (1871).

Cet article a été préparé en septembre 2020.